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les toiles, les couleurs , 8c une miférable fubfif-
tan c e , il fe trouvoit heureux parce qu’il' pou-
voit étudier l’ antique & Raphaël. C’ eft. ainfi
qu’ avec une paflion vive & fa cile à fatisfaire,
on peut trouver le bonheur dans le fein de
l ’ infortune, comme les âmes vulgaires que ne
tranfporte aucun goût dominant, n’éprouvent -
qu’ une langueur douloureufe dans le fein de
la profpérite.
Le Poufjîn avoit d’autant plus de peine à fub-
fifter de ion talent, qu’ il y a dans les arts une
forte de mode, & que fa manière étoit fort
éloignée de la mode dominante. D’ailleurs l’ar-
tifte ne devient pas aifément célèbre quand I
l ’homme n’ eft pas connu , & le PouJJin vivoit
dans la plus grande retraite.- I l . fut une fois
obligé de donner pour huit francs un tableau
dont un jeune peintre un peu moins inconnu
ht une cop e qu’il vendit le double.
Au lieu de travailler à multiplier le nombre
de fes ouvrages pour fuppléer par la quantité à
la foibleffe du prix qu’ il en recevoir, le P oujjîn, .
animé de ce courage que donne un violent
amour des arts , confacroit la plus grande partie
de fon tems à l’étude. Lié avec le fculpteur Du-,
quefnoy, fi connu fous le nom de François
Flamand, il copioit les antiques au crayon,
il les modeloit en bas ou en plein re lie f , il les
mefuroit dans toutes leurs parties : il fe prome-
noit dans les vignes , & dans les lieux les plus
écartés de la campagne de Rome •, confidérant
& dellinant les ftatues des Grées & des Romains,
fixant dans fa mémoire ou fur le papier les vues
les plus agréables , 8c faififfant les plus beaux
effets de la nature. I l efquiffoit tout ce qui
pouvoir lui fervir un ,jour , arbres , terraffes,
accidens de lumière , compofitions d’ hiftoire,
difpofitions de figures , ajuftemens de draperies,
armes , vêtemens & uftenfiles des anciens.
Pou vo it-il fe plaindre de la pauvreté, lorfque
chaque foir il rentroit dans fon humble logis pour
y ajouter de nouvelles richeffes au tréfor qu’ il
aecumuloit ? Des témoins de fa vie l’ auroient cru
malheureux ; & tous fes inftans étoient des
jouiffances.
I l ne faut pas croire qu’ il perdît pour l’ art les
inftans où il ne manioit ni les pinceaux , ni
le crayon , ni l ’ébauchoii^. I l appliquoit alors
fon efprit à chercher la raifon des beautés qu’ il
avoit obfervées , il approfondiffoit par la méditation
la théorie de fon a r t, il étudioit la
géométrie , & fur-tout l’ optique , il reprenoit
avec un lavant chirurgien les anciennes études
anatomiques qu’ il avoit faites à Paris, il les re-
paffoit dans les écrits & fur les planches de Vé-
fale. I l mettoit à profit le tems même où il
marchoit dans les rues , oblërvant les paffans,
leurs phyfionomies , leurs attitudes, les plis
de leurs habits , le jeu des pallions qui fe peigne!
ent fur leurs vifages ; & fi quelques-unes
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de ces obfervations lui fembloient dignes dfêtre
confervées , il en faifoit des efquiffes légèies.
Son génie avoit de trop grandes conformités
avec celui de Raphaël, pour que ce ne fût pas
le maître auquel il donnât la préférence fur
tous les autres. Le Dominiquin recevoit fon fe«
cond hommage, il étudioit le Titien peur le
coloris > on affure même qu’ il copia quelques
tableaux de ce maître *, & f i , dans la fuite , il
négligea d’obferver fes principes , ce fu t , fans
doute, par une détermination réfléchie.
Enfin , le Cardinal Barberin revint à Rome
après avoir terminé fes ambaffades de France
& d’Efpagne *, il employa, il fit connoître
les talens du PouJJin , & fi ce grand artifte ne
parvint pas aux richeffes qu’il méprifoit, il ceffa
du moins de connoître l’ infortune. La mort de
Germanicus fut le premier tableau qu’ il peignit
pour ce Cardinal. I l ne fit jamais d’avance le
prix des ouvrages qu’on lui demandoit •, il écri-
voit derrière la toile le prix qu’il mettoit a fon
tableau quand il étoit termine , & cette valeur
étoit toujours modique, eu égard au talent & a
la réputation de l’artifte. I l refufoit conftam-
ment de recevoir aucune fomme fupérieure a
l’ eftimation que lui-même avoit faite ; on lui.
avoit envoyé cent écus pour le raviffement de
Saint-Paul, il en renvoya 'cinquante. Aufli ar-
riva-t«il que des ouvrages dont il n’avoit demandé
que foixante écus, en furent vendus
mille peu d’années après.
Sa réputation vint de Rome en France. I l
y fut mandé par le miniftre des Noyers qui
avoit la furintendance des bâtimens du Roi,
& ne fe rendit qu’ avec peine à cette invitation.
I l eut un logement aux Tuilleries &
le titre de premier peintre du Roi : mais ces
honneurs furent bientôt empoifonnés par les
manoeuvres de l’ énvie. Le .Vouet, fes eleves,
& ju fq u ’ au Payfagifte Fouquieres, critiquaient
amèrement les ouvrages qu’ il mettoit au jour,
& même ceux qu’il n’avoit pas encore faits;
on cabaloit contre lui auprès du Miniftre.
I l obtint un congé pour aller à Rome chercher
fa femme & arranger fes affaires, 8c il
fe promit bien en partant de ne plus revenir.
I l mourutà Rome en 1 6 6 5 à l’âge de foixante-
onze ans. I l lui auroit été facile de s’enrichir,
s’ il eût voulu profiter de l’ empreffement avec
lequel on cherchoit à fe.procurer de fes tableaux ;
mais il avoit choifi par goût l’ etat de médiocrité,
il avoit infpiré à fa femme la meme
modération, & ils n’avoient pas même un feul
domeftique pour les fervir.^
Quoiqu’ il foit aifé de diftinguer fes tableaux
de ceux 4 © tous les autres maîtres, il s’etu-
dioit cependant à en varier la maniéré & le
ton, leur donnant une touche plus ferme ou
| plus molle, une teinte plus gaie ou plus auftère ,
* un fite plus riant ou plus fauvage, une lumière
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plus large ou plus refferrée v iv a n t les fujets
qu’ il avoir à traiter & l’ uupreflion qu’ il fe pro-
pofoit de faire. I l avoit applique a la peinture
la théorie des modes que les Grecs »voient
introduits dans la mufique, le Dorien pour les
fentimens graves & férieujt, le Phrygien pour
les pallions véhémentes, le Lydien pour les affections
douces & agréables, l’ ionique pour les ;
fêtes, les baccanales & les danfes. C eit ce
qu’ il nous apprend lui même par une de fes
lettres. Mais s’ il fe plaifoit à varier fes fujets
& la manière de les traiter, il croyoit qu il
étoit indigne de l’ art de traiter des fujets qui
manquaffent de nobleffe.
Ses compofitions toujours profondément^ oc
judicieufement penfées lui ont mérité le^ titre
de peintre des gens d’ efprit : fon attention a
obferver rigoureufement toutes les parties du
coftume pourroit lui faire donner aufli le titre
de peintre des fava.ns. Quelques belles parties
qu’aient poffédées les grands maîtres , je ne
crois pas que les ouvrages d’ aucun d’eux laif-
fent d^aufii profonds fouvenirs -, & cela vient
de l’attention qu’ avoit le PouJJin de fortifier
par tous les moyens de l’ art réunis , l’ impreflion
qu’ il vouloit exciter. Quand on a vu une fois
le tejlament d ’E udamidas, la mort de Germanicus
, VArcadie , on s'en reffouvient toujours ,
fèc l’on ne s'en rappelle jamais la mémoire^ fans
éprouver une fenfation fo rte , & fe livrer a des
réflexions profondes. >
Aufli le but qu’ il fe propofoit conftamment,
&c qu’ il croyoit être celui de l’ a r t , étoit de
parler à l’ ame -.tous fes effortstendoient à frap- -
per ce but. On peut même avancer que ce principe
lui avoit fciit nég lige r, non la couleur,
car|il avoit celle qui convenoit à fon o b je t, -
mais les alléehemens du coloris t il auroit craint
de d i f t t e e le fentiment & la réflexion par la
fenfation paffagère du plaifir des yeux -, il fe
propofoit d’attacher & non de briller. Je ne
doute pas que le coloris du PouJJin , ce coloris
tant de fois critiqué, n’ entre ‘pour beaucoup
dans la Caufe de l’impreflion profonde & durable
que font fes tableaux. En e ffe t, s’ il eft
v r a i, comme chacun peut aifément l’obferver
en faifant un retour fur lui-même , qu’ un grand
éclat foit un obftacle au recueillement intérieur,
il faut reconnoître que jamais artifte n’a mieux
connu que lui le devoir du peintre qui ne fe
propofe l’avantage de plaire que commè un
moyen qui conduit à inftruire.
Et il ne faut pas croire que ce foit par un
menfonge contre la nature que le Pouffin ait
éteint l’ éclat qui auroit nui à fon projet. I l avoit
obfervé que les carnations n’ont toute leur fraîcheur
, 8c les couleurs , toute leur v ivac ité ,
que vues de près , mais qu’ elles s’éteignent lorf-
qu'ellesTont vues à une certaine diftance, &
que c’ eft par un menfonge, 8c pour fatisfaire
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plutôt les yeux que la raifon que les peintres
donnent à des objets, qui font cenfés a une distance
confidérable de l’oe il, le brillant qu’ ils
ne peuvent avoir que lorfqu’ ils en font voifins.
I l eut donc la fatisfa&ion de rendre la vérité ,
en même-tems qu’ il rejettoit une forte de coquetterie
contraire à la fageffe de fes vues.
S’ il n’ a pas conftamment imité les Vénitiens
dans l’épanchement des ombres 8c des lumières
par grandes maffes , c’ eft qu’ il n’ a pas cru que
l’art dût fe propofer d’ imiter le plus fouvenf
ce qui eft offert le plus rarement par la nature.
I l croyoit que , fans .-recourir à cet artifice , on
avoit affez de moyens de détacher les objets par
la dégradation des teintes, 8c par l’ interpofi-
tion de l’ air en plus ou moins grande quantité,
en proportion dés diftances.
Toujours fidèle au principe d’ infpirer au fpec-
tateur du recueillement & non de la diftraâion,
il n’a répandu dans fes compofitions que des
richeffes-grandes, nobles & fimples , de belles
maffes d’ archite£lure; , 8c non des ornemens de
détail ; de fuperbes payfages 8c non des jardins
de plaifance -, des draperies majeftueufes 8c non
des parures. On lui a reproché d’avoir quelquefois
trop multiplié les plis , 8c il n’ eft pas ab-
folument au-deffus de cette critique.
S’ il ne reffemble à aucun moderne , ce n’étoït
pas non plüs avec les modernes qu’il avoit
cherché à s’établir une concurrence. I l avoit
étudié-l’art des anciens dans leurs ftatues, leurs
bas-reliefs & les veftiges de leurs peintures.
Par ce qu’ il en connoiffoit, il avoit tenté dé
pénétrer ce qu’on ne peut plus connoître , c eft-
a -d ire , la manière des Apelles & des autres
héros de l’ art antique , leur façon de concevoir
, les principes qu’ ils s’étoient formes , &
d’après ces obfervations & ces méditations, il
travailloit à faire revivre la peinture des anciens.
Nous fommes loin de vouloir déprimer la
beauté des parties que les modernes ont ajoutées
à la peinture , & qui paroiffenr. avoir été abfo-
lument inconnues des anciens : mais quand on
penfe à l’ extrême profondeur de jugement
qu’ ont montrée les Grecs dans toutes les chofes
fur lefquelles nous pouvons les ju g e r , on eft
tenté de croire que les beautés dont ils n’ont
pas fait choix n’étoient que des beautés inférieures
qui auraient nui à céllés dont ils fa i-
foient les objets de leurs travaux , & l’on n’ eft
pas loin .de prononcer que le PouJJin , en cherchant
à reffufeiter l’ârt pittoréfque des Gre c s,
a ouvert aux artiftes la plus belle route qu’ ils
puiffent fe propofer de fuivre.
M ais, éloigné de la Franc e , & plus admiré
qu’imité, il n’ a e u , comme noüs l’avons d it,
aucune influence fur l’ inftitution de Vecole
Françoife. C’ eft l’ un de fes ennemis & de fes
perfécuteurs qu’on peut regarder comme le fondateur
de cette éco le, parce que ce font fes