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fut regardé comme un beau modèle ; tour ce
qu’on pût faire de mieux, fut de rejetter la
nature difforme ; mais on étoit encore loin de
diftinguer la belle nature de la nature commune
: cette fécondé époque de Part fut très-
longue, & même, pour la plupart des peuples
, elle ne fut point remplacée par une
époque plus brillante.
Les a r ts , cultivés long-temps avec de foi-
bles progrès dans l’Orient & en E g ypte , paf-
sèrent enfin chez un peuple lenfible, né pour
connoître le beau , pour l’aimer, pour le cner-
cher en tout : c’étoit les Grecs. Ils les cultivèrent
d’abord d’une manière barbare ; car tels
doivent toujours être les premiers pas : ils les
portèrent enfuite à un degré qu’il ne fut jamais
permis aux Egyptiens de franchir : bientôt ils
lurpafsèrent des maîtres trop peu dignes de les
avoir long-temps pour difciples , & devinrent
enfin les maîtres de tous les fiècles qui de-
voient fu iv re , de tous les peuples qui dévoient
fe policer. Nous pouvons du moins jufqu’ à présent
tenir ce langage , puifque nous fommes.
encore leurs humbles élèves dans les parties1
capitales des arts ; celles qui tiennent à la
beauté des formes, & à la grandeur de l’ ex-
preflion.
Ils connurent ce que n’ avoient pas fu découvrir
les Egyptiens, que la nature a du mouvement
& de l’ expreflion , & ne tardèrent pas
à fencir qu’elle a la beauté, que cette beauté,
eft fon vrai cara&ère, & qu’ elle cefle d’ être
-elle-même toutes les fois qu’ elle s’ en écarte.
Dès lors imiter la nature, ou exprimer la beauté y
devint pour eux la même.chofe. Peut-être renfermèrent
ils l’ idée de la beauté dans la figure
humaine, & négligèrent - ils de la chercher
dans les autres phénomènes de l’ ëxiftence : mais
au moins , dans la repréfentation de l’homme,
ils combinèrent tout pour parvenir au beau.
'tu Tout chez eux , d it'M . Hagedorn, jufqu’à
» l ’expreflion du corps en agitation & de la
sj nature foiiffrànte, eft éloigné de toute con-
» torfior. & de toute'attitude capable de Méfier
& la bienféance -, défauts qui font devenus do-
» minans par. la fuite des temps. »
.» L’antique nous fait voir, continue cet ama-
3) teur délicat & fenfible, que pour choifir des
» -beautés . de détail, il falloit que l’oeil lire
» l’ artifte fût e x ercé , & que pour lier cès
» beautés; il étoir eflentiel que fon jugement
•» eût conçu des idées abftraites d’ une forte de
» beauté qu’ il ne trouvoit pas réunie dans les
.» objets individuels. S’ il s’ agifloit de donner
» un air plus noble à un corps d’ailleurs très-
» b e au, ou d’ embellir quelques - unes de fes
» parties, défe&ueufes relativement au tout
» enfemble , l’art fuppléoit aux négligences de
*> la nature. En combinant l’ exprefiiqn de l’ ame
» la plus élevée avec le corps le mieux con-
N A I
» formé, l’ artifte atteignoit à cette beauté fu-
» b lime dont l’original s’étoit préfenté à Ta pen-
» fée. »
C’ eft donc la nature qui eft la première maî-
trefie de l’artifte pour les formes, les proportions
, l’ expreflion : mais après avoir pris, en
difciple docile, les leçons qu’ elle lui donne,
il doit concevoir l’ orgueilleux projet de la
lurpafler ; non qu’il lui foit accordé tie créer
quelque beauté dont ellp ne lui ait pas offert
le modèle •, mais parce qu’ il peut réunir des
beautés qu’ elle ne lui offrirait jamais affem-
blées en un même modèle.
Elle eft aufîi le premier guide du peintre
pour le clair-oblcur 8c le coloris ; mais dans
ces parties encore, il fe trouvé des beautés
difperfées que l’artifte peut réunir : il y entre
beaucoup de choix, beaucoup d’ idéal, ajoutons
même beaucoup de convention.
Le malheur de l’artifte eft d’avoir des juges
qui ne connoïflent pas les beautés qu’ il leur
foumet : elles leur plairont cependant, non par
un jugement motivé, mais par fenttiment. Le
vulgaire voit la nature & ne’ fait pas la voir;
l’oeil feul exercé de-l’ artifte apperçoit ce qu’ elle
: cache aux autres yeux'. Quel homme étranger
à l?art connoît la pureté $e ces contours qui
terminent les belles formes, & de ces milieux
qu'ils renferment; le jeu varié des lumières,
des demi-teintes , des ombres & des reflets ;
ces nuances multipliées ^ces paflages infenfibles
qui conduifent du jour a fa privation ; ces variétés
infinies de couleurs dans ce qui paroît
n’ être qu’une feule couleur ? On peut même
dire que , dans cette clafle des connoiflances ‘
le peintre l ’ emporte beaucoup fur le ftatuaire,
parce qu’ il confidère la nature comme ayant
des formes & de la couleur, & que le fta-
tuàire ne la contemple que relativement aux
’ formes : mais combien celui-ci trouve dans cette
partie feu 1 e d’obfervations qui échapperont tou-
jours à ceux qui n’auront point partagé fes
études t
I l faut, avant que l’art fe perfeélionne , que
des générations d’artiftes fe fuccèdent pour s’inf-
truire mutuellement; il faut que les générations
nouvelles apprennent des générations écoulées
, la manière de bien voir la nature. A la
naiflance de l ’a rt, comme nous l’avons remarq
ué , les artiftes ne la virent que comme le
vulgaire ; dans fon enfance , ils la virent
sèche, roide & monotone; c’ eft ainfi que la
voyoient les peintres gothiques. Les artiftes
parvinrent enfuite à la voir belle : mais les
peintres eux-mêmes n’y voyoient guère encore
que les beautés qui étoîent apperçues par les
ftatuaires ; c’ eft peut-être ainfi que la virent
toujours les Grecs. Enfin T itien , Rubens; & c .,
virent moins bien les beautés de fes formes,
& tout ce que les grands ftatuaires ont ad-
NÉG
«ùre en elle ; maïs ils découvrirent toutes les
beautés que répand à fa furface le jeu des lumières’&
des ombres, & la variété des couleurs.
I
Lors même que l’ art eft parvenu a per-
feélion , il refte toujours des artiftes qui y dans
la. nature, ne voyent guère bien que fes formes;
d’autres que les effets, qu’y caufe' la lumière ,
d’autres que le charme^des couleurs; d’ autres
enfin J q u i, deftinés |far la nature à n’avoir
jamais que les yeux du vu lgaire, n’apperce-
vront toujours que très-imparfaitement lés objets
même que leurs maîtres leur indiquent.
( Article de M . L e v e sq u e . )
NA TU R E L ( a d j.) Ce qui eft conforme à
la nature. On fe fert aufli de ce mot fubftan-
tivement ; on dit qu’ un ouvrage eft fa it ,
deffmé, peint d’après le naturel, qu’il faut
confulcer le naturel, & e .
NÉGLIGENC E , NÉGLIGENC E S. ( fub. f.)
J ’expliquerai au mot négliger le fens général
que le mot négligence , aulingu lie r, peut avoir
relativement à la peinture; je vais entrer dans
quelques détails fur celui qu’ il a lorfqu’on l’em-
ploye (ce qui arrive le plus ordinairement) au
pluriel ; car alors-il a une acception fenfiblement
différente. En effet, fi l’on dit : i l y a de la négligence
dans ce Poème, on paroît en attaquer
l ’enfemble ; fi l’on dit : i l y a des négligences y
on veut faire entendre que quelques parties ,
ou Amplement quelques détails n’ont pas été
travaillés avec afiez de foin I & cela n’attaque
pas aufli eflentiellement l’ouvrage.
I l en eft de même dans les ouvrages de peinture
: ce tableau eft fa i t avec négligence veut
dire que l’ enfemble , que toutes les parties
font négligées. I l y a des négligences dans ce
tableau fignifie que quelques parties ne font
pas aflèz étudiées bu affez terminées.
Ce mot, lorfqu’ il n’ eft pas pris dans fon acception
la plus fe vè re , à plus fouvent rapport
au ftyle qu’ aux autres parties. On dit
très-fréquemment : i l y a des négligences, de
grandes négligences dans le fty le de tel A uteur,
de tel ouvrage. Dans la peinture, c’ eft au dbffin
que s’applique aufli plus ordinairement cette
même expreflion , qui n’ emporte pas une critique
abfolue de l’ ouvrage du peintre.
Cette relation confirme le rapprochement
qu’ on peüt faire à quelques égards entre le
defiin dans l’ art de la peinture, & le ftylé dans
î’ éloquence & la poëfie. Cependant on compare
aufli quelquefois le ftyle à la couleur ; c’eft qu’ on
peut s’aitacher dans ce que nous nommons1
fty le en général, à la correétion , comme dans
le deflin ; & qu’on peut y confidérer aufli ie
caraétere qui a un rapport, mais moins e x a é l,
avec la couleur. Si l’on regarde le ftyle ou la
maniéré d’écrire relativement à la partie gram-
NÉ G m matïcaïe , il eft bien véritablement pour l’éloquence
& la poéfie , ce vqu’eft le defim P0'^
la peinture. Si l’on envifage le ftyle fous le rapport
des nuances dont font fufceptibles les i
férens caraSères qu’ un orateur ou un poete
peut lui donner , U fe rapproche de la couleur;
mais, pour ne pas infifterfur ces rapprochemens ,
dont on fait fi fouvent un ufage peu éclairé,
& qui d’ ailleurs ne peuvent jamais être d une
juftefle extrême , je me contenterai de dire
que les négligences qui bleflent la correction
du deflin , ont pour caufes principales, le peu
d’habîtude de defliner d’après l’ antique & la
nature choifie ; par conféquent l’ ignorance des
règles primordiales, fondées fur la cannoiflance
de l’Oltéologie & de la Myologie. Il eft poflible
encore que la vivacité du caradère du peindre,
la mobilité & l’impatience de fon imagination
occafionnent dans fes ouvrages des négligences
de correétion dont il s’apperçoit & que fon caractère
ne lui permet pas de corriger.
II eft des artiftes qui n’ exécutent point avant
que d’avoir bien conçu , & d’ autres qui exécutent
au même inftant qu’ ils conçoivent. No
voyons nous pas ainfi & trop fouvent dans la
fociété, des hommes qui parlent, pour ainfi dire >
avant que d’avoir penfé? Le peintre qui conçoit
vivement, & dont le caraétère eft prompt & impatient
, voudroit que fa main & fon pinceau
puflent agir avec la même rapidité que fon imagination
: on obferve que la plume qui ne trace .
que des fign e f, & que la langue Aême qui ne
produit que des fons rapides, ne peuvent fu ivre
la promptitude de la penfée; a bien plus
forte raifon, le pinceau qui doit imiter phyfi-
quement les objets , & qu’ il faut reprendre à
plufieurs fo is , pour repréfenter les moindres détails,
fe trouve-t-il d’une lenteur fouvent dé-
fefpérantre pour l’artifte qu’ entraine l’ impé-
tuofité de la penfée. S’ il n’ eft pas aflez habitué-
à la correétion des formes, pour que P in ft in â ,
pour ainfi dire, les exécute fidèlement, etï quelque
forte à fon infçu ; il ne peut manquer de
pécher contre cette correétion. I l eft alors
néceflaire qu’ il revienne fur fes pas ,• mais il
eft cependant des beautés attachées à cet accord
de rapidité qu’ on aime à remarquer entre
la main qui exécute, & l’ ame qui conçoit.
On a regret à les facrifier & l’ on finit fouvent
par fe pardonner des incorreétions, des négligences
, en penfant qu’il vaut mieux être animé
, fpirituel, plein de chaleur que corrèét.
Le juge l’eroit tenté de penfer quelquefois
comme l’artifte; mais celùi qui traite des préceptes
de la peinture , dont la repréfen-
tation phyfiquement jufte des objets qu’ elle
imite , eft la bafe eflentielle, ne peut approuver
les négligences : en effet leur abus trop
facile attaquerait le fondement de l’ a r t , & de
proche en proche, pourrait le faire dégénérer