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roit bien hc’fiter fur l’ antiquité d’une pierre gravée
qui repréfônteroit une tête de vieillard ;
mais il n’ hc'fitera pas de même fur'la copie d’ une
tête idéale qui repréfentera la beauté dans le
jeune âge. (Article extrait de /V iu c k e lm a n h .')
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ILLUSION, (fubft. fém. ) Le but des a rts -
qu’on appelle arts d’imitation , eft fixé par
cette dénomination même. Us doivent imiter
la vérité, mais ces imitations ne doivent pas
fctre prifes pour la vérité même. S i'e lle s ref-
fembloient parfaitement à la nature , fi elles
pouvolént être prifes pour elle , elles n’ excite-
roient plus aucun léntiment d’ admiration ni de
plaifir. Par exemple, fi une fymphonie, qui
imité un orage , étoit prife pour un orage véritable,
elle n’ exciteroit aucun lentiment d’admiration
pour le muficien , & feroit même naître
un fentiment défagréable de crainte chez les
perfonnes que les orages intimident. On applaudit
des palTages de mufique qui imitent le bruit
d’ un carolfe , ou celui des marteaux qui tombent
fur l’ enclume : mais fi V illüfion étoit affez par- .
fa ite , pour qu’on crût entendre en effet un
bruit de marteaux ou de voitures, perfonne ne
s’aviferoit d’ applaudir, & l ’on auroit tout aufli
peu de plaifir que- lorfqu’on paffe à côré d’ un
carolfe, ou devant l’attelier d’ un forgeron.
Paflbns de la mufique à la poëfie : fi le fpeélateur,
qui voit une-tragédie, fe faifoitune illüfion allez
forte pour croire qu’ il eft témoin -d’ une aélion
véritable , il n’éprouveroit le plus fouvent qu’ un
fentiment d’horreur, & fuiroit cette même fcène
qui ne l’attache que parce qu’elle lui caufe
'feulement une illüfion imparfaite, dont il fe.nt
le preftigé en même temps qu’ il s’y livre. Enfin
un fpeélateur qui verroit un tableau repréfen-
tant un ch ien , & qui croiroit voir un chien
véritable, éprouveroit une fenfation aufli ind ifférence
que lorfqü’il rencontre un chien furfon
pa{fage ; mais fi le tableau repréfentoit un lion,
loin de le regarder avec plaifir , il ne fongeroit
qu’ à prendre la fuite. Quelle femme loutien-
droit le fpeélacle du maflacre des innocens, fi
le tableau lui caufoit une entière illüfion 7 Quel
homme verroit fans horreur, Judith tenant la
tête fan gl an te d’Holophérne ?
Il n’eft point de ferpent ni de monftre odieux
Qui, par l’art imité , ne puifTe plaire aux yaux.
Cela eft vrai ; mais fi l’ imitation pouvoitêtre
portée jufqu’ à l 'illüfion complette, ces.monftres,
ces ferpens feroient frémir au lietf de plaire.
Nous ne parlerons pas de la fculpture qui
eft aufli un art d’ imitation , car qui prendra
jamais une ftatue de marbre ou de bronze pour
un homme viyarit l
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Cependant Les perfonnes qui ne connoifîent
point l’a r t , placent dans Villufioti la perfeétiori
de la peinture. Cette erreur n’ eft pas nouvelle.
Les anciens ont célébré les raifins de Zeuxis
que des oifeaux vinrent becqueter , 8c le rideau
de Parrhafius qiii trompa Zeuxis lui-mêriie. Il
eft vrai que l’ artifte, en prenant les précautions
néceffaires pour la manière dont il ex pofe
fes ouvrages , peut opérer une illüfion complette
par des peintures de fruits , de rideaux , de bas-
reliefs, d’ orneméns d’architeélure, & d’autres
objets ierriblabiés ; mais il ne fera jamais prendre
pour la vérité même un tableau qui fuppofera
des plans variés & un certain enfoncement.
S i donc 1 ’’illüfion étoit la première partie de la
peinture, la plus grande g lo ire , dans.ee genre,
feroit rëfervéè aux peintres qui ne traitent que
les plus petits détails de la nature, 8c le dernier
de tous les genres feroit celui de l’hiftoire ,
parce qu’il fe refufe plus que lés autres à la
parfaite illüfion.
» On voit , dit Félibiën , de,certaines re-
» marques qu’Annibal Carrache a faites fur les
» vies des peintres de Va fari, 8c à l’endroit
» où il eft" parlé de Jacques Baffan, il dit :
» Jacques B affan a été un peintre, excellent &
» digne d é plus grondés louanges que celles
» que Va fa ri lui donne, parce qu'outre les
» beaux tableaux qu'on voit de lui , i l a fa i t
; » encore de ces miracles quori rapporte des
» anciens Grecs , trompant p a r fo n a r t , non
» feulement les bêtes, mais les hommes : ce que
«x j e puis-témoigner, puifqirétant un jou r dans
»' f a chambre, je fus' ttompé moi-même y avan-
j> çant la main pour prendre un livre que j e
» croyois un v rai livre , & qui ne Vétoit qu'en
» peinture ».
E ft-il bien certain qu’Annibal ait fait cette,
note? Mais s’ il l’a fa ite , il ne faut pas.fe laifler
féduirepar quelques mots peu réfléchis, écïiap-
pés à ce grand artifte. Surpris d’avoir été trompé
lui-même par un ouvrage dé l’art', il a m is ,
fans y bien fonge r, trop d’importance à: cette
petite aventure : mais on peut être bien sûr qu’ il
h’auroit pas donné 1 un de fes moindres tableaux
d’hiftoire pour le livre peint & découpé du
Baffan. ■
Nous pourrions ajouter bien des chofes fur
Vilïufion'. mais nous croyons'plus convenable
de laifler parler M. Cochin, artifte non moins
célèbre par la sûreté de fon jugement & la pureté
de fon goût, que .par les talens. (A r tic le
de M- L hvesque. )
ILLUSION dans la peinturer. S i l’on obfèrve
à quel degré d’illüfion la- peinturé peut atteindre
, on trouvera qu’ elle parvient à tromper les
y e u x , au point de mettre lés fpeélatéurs dans
la •n.éceffité d’ employer le toucher.pour s’ aflurer
de la vérité , lorfqu’ il eft quéftion d’objets d,q
peu de faillie , tels que des moulures, des bavi
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reliefs & autres objets femblables-, mais que,
l’illüfion s’ affoiblit lorlque les mêmes objets
prélencent un ou deux pieds de faillie. Nous
accorderions encore qu’ elle peut avoir lieu au
premier inftant,dans les tableaux de fleurs,
de fruits ou d’ autres repréfen'ations fans mouvement
, quoique ce ne foit ordina rcment qu’ avec
le fecours de quelque effet de lumière ménagea
delïïn , joint à quelque motif qui oblige
le fpe&ateur.à rèfter à une affez grande diftance
de ces imitations , pour empêcher les regards
d’en juger avec autant d’exaétirude qu’ils le
feroient fans cetobftacle -, mais il eft fans exemple
qu’ un tableau de plufieurs figures , expofé
au grand jour , ait jamais fait. croire'à perfonne
que les* objets repréièntés fuflent en effet des
hommes véritables.'.
Nous ne nous arrêterons, donc pas à quelques
faits qu’on p'ourroit alléguer en. faveur de la
pofïibilïtë 'de V illüfion dans la reprçfentacion
dè la figuré'humaine, tel que le bufté d’un
abbé peint par Charles Coypel , q u i , découpé 8c placé dans une galerie derrière une table ,
& dans lin jour convenable, a trompé plufieurs
perfonnes , jufqu’ au point de,ies engager à-le
fàluer. Outre' que ce fait n’admet peint dans ce
tableau un degré de faillie au delà de "celui
jufqu’où nous avons pofe que la peinture peut
faire illüfion ,vpiulq.u’ il n’ y avoit point de fonds
derrière la toile , il e ft; aife.de yoir que cette
èrfem- ne: vénoit que du peu d’attention avec
laquelle les perfcnners trompées, jettoient quelques
regards indirects de ce côté, ainfi que de
l’adrefle avec laquelle on tenoit cette peinture
éloignée, des yeux., 8c dans un jour qui
empêchbit d’ en juger au premier abord. On
n’ ignore pas que cette illüfion , qui né naît que
de la furprife & de l’ inattention , peut être produite
par les plus mauvais ouvrages , ainfi qu’ il
arrive' fouvent au premier afpeét de ces peintures
découpées qui repréfenten.t une balayeufe,
un fiiifle Êcc. , & perfonne n’ en a jamais conclu
qu’ elles euflent atteint le vrai but de.
l ’art. •
Ofons ajouter que cette efpèce tfillujion v ;
prVfeàla rigueur , feroit une prétention aulfi
vaine qu’ abfurde de la part de l’ artifte , fur-
tout dans les fsijets combinés de divers objets,
& avec des ciftances confidérables fuppolees*
émr’ eûx.
Parmi tous les obftàcles qui s’y oppofent ,
nous n’ en ébferverons que quelqués-uns qui foi^t
la- fuite naturelle de notre manière de fentir
& de juger. Cette habitude que nous avons
de ju g er , & l’épreuve que nous faifons journellement
de la lumière fur les fur f a c e s de
quelque couleur qu’ elles foient, fuffiroient feules
pour déceler le manque de réalité.
S’il eft permis de. hafarder quelques idées
particulières fur ce fujet ? ne féroit-on pas
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'onde à penfer que cette faculté dô re&ifier
es erreurs des fens, acquife par l’ expérience 8c prefque fans reflexion, eft principalement
l’ effet de la fenfation que le plus eu le moins
de force de la lumière produit fur les yeux !
Si les enfans font aifVment trompés aux plus
grofîiers objets d’illüfion , 8c qu’ il n’en foit
pas de même lors que l’experience a perfectionné
en eux la faculté de juger ; n’ eft-il pas vrai-
femblable que le- fentiment de l’impreflion de
la ïarruière eft pareillement fufceptible de perfectibilité,
quoique peut-être,dans un moindre
degré, 8c qu’enfin nous parvenons, par une
gradation infenfible, à .éprouver dés,-différences
entre les divers degrés de force avec lefquels
elle agit fur nos y eux -, & , par ce fentiment,
à juger avec affez de certitude des diftances
& des fur faces?
I l s’ enluivroit de la que les rayons réfléchis
par une furface plane, venant de la même
diftance, & confervant un degré de force égale
entr’eux , on ne peut empêcher , quelqu’arti-
ficë'qu’on employé, que cette furface ne paroifle
telle qu’elle eft. Ce principe admis nous fe roit
concevoir une des caufes :de ce qui eft
confirmé par l’ expérience de tous les temps ;
c’ eft que tout efpcir à? illüfion ? prife à la r igueur,
eft refufe à la peinture-, quand elle
entreprend des fujets un peu compliqués quant
aux faillies inégales, 8c aux diftances fuppo-
fées entre les objets.
Par une fuite de cette fuppofition, qu’on croit
pouvoir établir comme une vérité, on obfer->
vera q'ue cequ i doit s’ oppofer le plus à Vilïufion
dans la peinture, c’eft la fauflecé-inévitable des
ombres qui défignent les enfoncement. Le
peintre ne peut imiter les enfoncement ombrés
que par des couleurs obfcures, étehciies fur
une furface plane toujours fufcejt ble , quelque
couleur qu’on y ait pofle, de réfléchir la ‘lumière
avec un degré de force relatif à la difr '
tance réelle. O r , il doit réfiilter de la connoif-
fance que nos yeux nous donnent du véritable
plan de cette fu rface , oppole à l’ idée
d’ enfoncement que le peintre a voulu faire
naître , une contrariété qui décele la fauffeté.
Aufli peut-on remarquer que les défauts qu’on
trouve à reprendre dans les plus grands maîtres
, quant à l ’ e ffe t, regardent prefque toujours
leur manière d’ombrer -, ce qui peut contribuer
à prouver que le faux néceffité dans la
peinture, vient toujours des ombres. On re proche
aux uns de tomber dans des tons rouf-
sâtres • aux autre«, bleuâtres; à quelques-uns,
violâtres ou verdâtres.
Ce défaut paroît même inévitable'à la rigueur,
quoiqu’ il foit peut-être dans l’ ordre des poffi-
bilités' de le rendre moins fenfible. Une des
raifons que l’on croit pouvoir en donner, c’ eft
qu’ outre l’ impofïibilitè de dompter entièrement