
de ceux qui les regardent de trop près, ils
paroîtroient de leur véritable point de vu e , ou
trop mois, ou indécis , ou foioles. Ainlî le mente
du Peintre eft vraiment alors de charger,
mais relativement aux effets de la perfpeCtîve.
linéale, qui peut fe démontrer par des règles
pofîtives; ou de la perfpe&ive aerienne, qui eft,
intelle&ueilement au moins , fulceptible d’être
démontrée.
Si l’on ne corfîdcre le mot chargé que comme
déflgnant un défaut, on doit obierver que le
principe ou la fource de cette imperfection eff
affez ordinairement dans la nature même de l’Artifte.
Rien de fi commun que des hommes qui
ont un penchant habituel à l’exagération. Ce
penchant a là bafe ou dans l’efprit, ou dans les
organes, il vient ou d’une forte de facilité de
Taine à être plus fortement émue, ou d’une or-
ganifàtion de quelques-uns des fens, qui leur
procure des impreftîons trop- vives. Il eff aufli
par des caufes contraires , quelques hommesrciiez
lefquels les objets & les idées tran(miles ou naturelles
perdent, en paffant par les organes de
leurs le ns , ou en naiffant dans leur e lprit, une
parrie de leur valeur ; les premiers dont j’ai
parlé chargent'en plus, & s’il étoit permis de
s’exprimer ainlî , les féconds chargent en moins.
Ces deux excès qui ne font que trop communs ,
prouvent fans cefie à ceux qui obferv,ent, combien
Fexaditude , la. corrtdion & la jufte me-
fîire en tout eff rare parmi les hommes. Combien
d’exprelïiôns chargées ! combien d’idées qui
pafîènt la melure que la raifon impofe ! la.nature
imparfaite, l’éducation fouvent plus imparfaite
encore, l’ignorance & les prétentions pro-
duilent i’inexaditude. excitent & habituent à
charger, & le trait du Beffinateur , & lë maintien
de l’homme, & fes difcours, & fes inflexions,
& fes accens, & fes offres de fervice , & fes pro-
melles. Ce défaut, fl voifln de plufleurs vice s,
ïorfqu’il eff invétéré, devient pour i ’Artifte, ainfl
que pour l’homme moràl, prefqu’incorrigible. Il
a befoin alors d’une indulgence qu’on eff: convenu
d’accorder juiqu’à un certain point dans la
Société. Mais dans ce qui a rapport à l’A r t , l’indulgence
eft bien moins autorifée , & bien moins
en ufage avec raifon ; car l’Artiffe qui a la fource
de ce défaut dans l’efprit, ou dans les organes,
ou qui s’en eff: fait une blâmable habitude , n’eff
pas obligé à exercer un Art qui condamne , &
ne peut fouffrir l’incorredion ; tandis que l’homme
qui charge, c’eft-à-dire, qui exagère fes aftedions,
des fenfations & fes idées, les éprouve fouvent
outrées , & ne peut s’empêcher d’en avoir. Car
à cet égard il eff paflîf, & l’Artifte, à l’égard de
l ’exercice de fon talent, eft,abfolument adif.
Au refte, quelques ouvrages des Artiftes même
jouiffent d’une indulgence convenue, relativement
à la lignification du mot chargé, que j’ai expo-
fée. Ce font les efquifîès & les penfées qu’a crayonne
le Peintre compoflteur, d’après une première
inlpiration de l’ame , & dans lefquelles fouvent
l’Artiffe, pour fe rappeller fes idées & fes intentions
, charge les Agnes pittorelques par lef-
quels il deflgne ou les formes ou les mouvemens
quil fe promet d'employer., mais dont il ne le
permet les exagérations qu’avec le projet bien
forme de les corriger, & d’atteindre à la pré-
ciflon par les études qu’il s’im'pofe de faire en
exécutant l’ouvrage.
Cette circonffance rend la charge non feulement
exculable, mais meme nécellaire en plufleurs
citconfiances, & jufqu’à un certain point.
CHARLA TANER IE dans l’Art de Peinture,
Plufleurs de mes Ledeurs feront furpris de rencontrer
, parmi les termes qui composent le Dictionnaire
de Peinture , le mot qui fait le fujet
de cet article ; mais ceux qui connoiflent les Arts ,
ou ceux qui ont l’intention de s’inltruire de tout
ce qui .y a rapport, & par conféquent de ce qui
leur-eff avantageux ou défavantageux, profitable
ou nuiflole, me fauront gré de-préfenter qnel-
ques notions d’une des caufes de l’altération du
goût, & par conféquent de celle de nos Arts.
L a charlatanerie confîffe en général dans l’artifice,
ou dans les artifices , à l ’aide defquels on
trompe au profit d’un vil intérêt, ou de la mé-
prifable vanité, les hommes ignorans , foibles ou
prompts à fe prévenir.
Dans la Morale & dans la Religion, les charla-
taneries ( les plus odieufes de toutes ) font les
hypocrifîes & les moyens qu’elles employent,
lorlqu’inftrumens des plus funeftes pallions, elles
fervent à allumer & à entretenir le Fanatifmé".
Dans la fociété , la charlatanerie confîffe dans
les adulations adroites, les menfonges médités
& les exagérations expreflement employées pour
contenter l’amour-propre, ou favorifer la cupidité.
Les fciences ne font pas exemptes de cette
charlatanerie. On la voit s’étendre même jufqu’à
celles qu’on nomme exactes, quoique leur nature
dût les mettre à l’abri de ce fléau, puifque
ïa vérité démontrée eff l’objet auquel elles tendent
fans cefiTe.
Les Arts libéraux , fondés, fur l’imagination ,
& qui vivent, pour parler ainfl, d’illufîons & de
preffiges, doivent être & font malheureufement
plus favorables au charlatânilme, qu’aucune des
autres connoilïànces humaines. L ’Art eff indilr
penlàble pour exercer avec fuccès l’Eloquence,
la Poè’fîe , la Peinture. De l’Art à l’artifice , il y
a bien peu de diffance , & moins encore de l’artifice
à la charlatanerie, dont l’artifice eff la
bafe. Les connoilïànces humaines & les lumières
feroient lans doute des^ progrès trop rapides &
iroient trop loin là iis les obftaclès que-la vanité
puérile, la jaloulîe & la cupidité y oppofent par
tous les moyens qui leur font propres.
La Peinture proprement dite , devroit le défendre
contre les effets de la charlatanerie : car
la reprélentation ou ]’imitation de la nature eff
foumife à être confrontée avec elle. Mais comme
cette reprélentation n’eft que feinte, qu’il faut
par conféquent que ceux qui en jugent, entrent
-dans quelques conventions & quelques connoif
lances des parties qui conffituentl’Art de peindre;
ceux qui l’exercent peuvent employer & employant
quelquefois des artifices' contraires à la
jufteffe des idées qu’on doit avoir , par conféquent
nuifîbles au goût & aux Arts en général.
11 fe pourrott qu’on eflûyât peut-être de juffi-
fîer ceux qüi fe permettent les artifices dont
je veux parler, en difànt qfce fl, relativement
à des ouvrages plus que jamais regardés comme
objets de pur agrément, l’Artifte parvient à établir
, dans l’opinion des perfonnea peu inftruites
qu’il met dans l’erïeur, une convidion & une
latisfadion qui les détermine à louer & à évaluer
fes ouvrages autant qu’il le fouhaite, les
moyens qu’il fe permet ne doivent pas être jugés
à la rigueur, & que l’efpèce de charlatan
nerie qu’il employé eff une adrelTe permile qu’on
tolère dans une infinité d’objets plus importans.
Il eff facile de répondre à cette juftification,
car, quelque tolérance que l’on ait, & quelqu’ac-;
croiflement d’indulgence que puiffent comporter
nos moeurs, trop peu févères à cet égard,il fera
toujours effentiellement vil de tromper d’une
façon méditée, pour l’intérêt perfonnel d’une vanité
puérile, ou d’une cupidité injufte. Mais ce
qui eff évidemment nuifîble, & qui devient la
fuite inévitable des louanges exagérées qu’on fe
donne, ou qu’on fe fait donner, c’eft l’opinion
défàvantageule qu’on établit fur les Artiftes dont
on craint la concurrence , dans l’unique projet
de leur être préféré; c’eft la fauffeté avec laquelle
on trahit les cohnoiffances qu’on a ; c’eft l’elpèce
de baffèffe avec laquelle on déroge à la dignité
& à l’élévation attachées aux Arts libéraux ; c’eft
enfin l’altération du goût, dont on le rend complice
, puilque l’on y contribue volontairement,
en y propageant l’ignorance, & en trahiffant ainfl
la caufe nationale. L’improbité d’état, dont je
parle, fe permet en général une infinité de
moyens qui la rapprochent des artifices à la vérité
plus groffiers qu’employent les Charlatans
proprement dits. Tels font les foins de tromper,
de féduire, d’intérefler , de captiver, d’employer
enfin des Prôneurs , & de former des Enthou-
fîaftes.
Les Prôneurs font ou des ignorans trompés,
ou des demi - connoîfleurs féduits & échauffés ,
ou des hommes qui, par imitation & par foibleffe
de caradère', empruntent leurs opinions d’autrui,
& les défendent enfuite comme fl elles leur ap-
partenoient. Dans ce nombre fe trouvent les
énthoufiaftes qui, déloeuvrés & manquant de
talens, fans manquer d’efprit, fe forment une
exiffence qu’on peut appeller p a ra fite , en s’iden-.
tifiant à des Artiftes, qu’ils ont l’air de protéger,
de défendre, ou de placer à un rang qu’on leur
refuferoit, fans les efforts généreux qu’ils font
pour éclairer le Public, 8c pour lui di&er les
jugemens qu’il doit porter. Lor(qu’un certain
nombre de ces prôneurs fe réunifient & concourent
à l’intérêt ou à la vanité d’un Artifte, ils
forment ce qu’on appeJsle un p a r t i , & ce parti
ou cette cabale eff moins délicate encore fur les
moyens dont elle fe fert, que l’Artifte même ,
qui en eff l’objet, & auquel elle finit rrès-fou-
vent par nuire.
Le charlatanilme doit devenir fréquent, adroit
& plus nuiflble à melure que les' fociétés dans
lefquelles il s’exerce, deviennent riches, & qu’elles
le livrent plus généralement au luxe. Car la plupart
des uîàges du luxe ont pour objet de lubl-
tituer par le’s artifices fouvent les plus greffiers ,
l’idée de la richeffe à celle du mérite.
Pour revenir à nos Arts, on peut obierver
qu’ils font d’autant plus expoles au charlata-
nij'me , qu’ils font fulceptibles dé plus grands
profits , c’eft-à-dire, que les Arts dont les en-
treprifes font vaftes', lucratives , produifent plus
de charlatans. Il faut y joindre ceux des Arts
dont les principes font fufceptibles d’être généralement
connus & bien compris. Car il eff plus
facile de donner des idées fauflfes, & d’induire
en erreur fur les duvrages artiels , lorfque
le plus grand nombre de ceux à qui ils font
fournis, ne peuvent qu’avec peine parvenir à con-
noître clairement les bp fes & les principes des
beautés qui leur font propres. Tels font parmi
nous l’Architeéhire & la Mufîque*
L’on pdurroit , en encrant- dans de plus grands
détails , parler des Angularités & des affeâations
dans le difcours, & dans les habillemens; mais
ces fortes d’artifices , dont l’effet eff de fixer quelques
momens les regards , manquent fouvent
leur but, & occafîonnent alors un ridicule qui
punit fuffifàmment ceux qui, par ces moyens ,
marchent de trop près fur les brifées des charlatans
de profeffion. Pour revenir aux artifices
plus nuifîbles aux Arts du Deffin & de la Peinture,
j’indiquerai les préparations , vernis, procédés
myftérieux auxquels on attribue des avantages
le plus fouvent exagérés ou qui, peu durables
& nuiflbies, altèrent les ouvrages, & par
conféquent font un tort réel aux Artiftes & aux
Arts. Il eff facile d’appercevoir, d’après ces élé—
mens, les artifices que le defîr immodéré du
gain a fuggéré dans prefque toutes les branches
de nos Arts ; par exemple, dans la Gravure &
dans la Typographie.
On lait affez généralement que la Gravure
Ample & franche depuis fon origine jufqu’à fa
plus grande perfedion , .c’eft - à - dire , jufqu’aux
chefs-d’oeuvres des Suyderhofs , des Vifcher, des
Poillis, des Drevets , n’obtenoit des fûccès qu’à