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Inftans d’ exiflence fixe & permanente dans le
mouvement même. L’ on peut comparer ces
inflans incommenfurables de fixité aux points
mathématiques, ou plutôt à ces parties infiniment
petites du cercle, lorfqu’on le regarde
comme un polygone compofé d’ une quantité
innombrable de côtés; une aélion & une ex-
preuion dans l’homme vivant, quelque promptes
qu’elles fo ient, peuvent donc être conçues
comme une fuite de mouvemens ou de modifications
innombrables du corps, des membres ou
des traits, quoique cette divifion ne puifle tomber
fous le fens de la vue. C’e flfu r cette vérité
abflraite que le peintre fe fonde, & c’ e fl
d’après elle qu’il doit avoir pour but de représenter
tout ce que comprend une de ces portions
ou de ces modifications inflantanées des
a fiio n s , des mouvemens ou des exprefiions. I l
doit l ’imiter de maniéré que rien ne foit retardé
ni anticipé dans l’ inflant qu’ il choifit,
8c qu’ il e fl le maître de choifir. C’ e fl de la
plus ou moins grande exactitude dans l ’obfer-
vation de cette unité , que dépend en -partie
la vérité de l’imitation. L ’on concevra aifement,
d’apres ce développement, combien la perfection
efl difficile ; parce que la nature , ne s’arrêtant
pas dans le mouvement au regard ni à
la volonté du peintre.* & pour la nécefîité qu’ il
en auroit * fa mémoire & fon imagination font.
fes feules reffources; & l ’on, fait combien il efl
difficile à la mémoire , fi fujette à s’altérer , &
à l’imagination fi mobile, de fe fixer à un point,
& d’cmbraffer de ce point tout ce qui peut y
être re latif. Mais pour ne pas nous écarter de
ce qui regarde les conventions refpeflives, je
continuerai d’obferver que le fpeclateur à fon tour
fe prête à croire, autant qu’ il peut, que l’inflant
luppofé auquel l’artifle s’ e fl fixé dans fon imagination
, e fl affez fenfible pour qu’ il puifle juge
r fi l ’artifle a fidèlement rendu tout ce qui
peut y avoir|rapport ; il faut encore qu’il fe prête
a imaginer que cet inflant ne fait que d’ exifler
ou va paffer, quoiqu’ il ne paffe pas en effet,
8c que le perfbnnage repréfenté en mouvement
foit refié immobile, comme s’ il étoit frappé du
regard de Médufe.
I l e x ifle , comme je l ’ai dit encore , une
infinité de conventions refpe&ives qui appartiennent
ou à l’effence de l’a r t , ou à fa théorie
, ou à la pratique. . Parmi les conventions
qui regardent plus particulièrement cette dernière,
je ferois mention de celle qui a rapport
aux couleurs matérielles, à l’ aide defquelles
on imite fur la toile les couleurs réelles des
objets. On a pu prendre dans l ’article B lanc
de la lettre précédente, des notions qui font
relatives à certaines conventions ; .car l’ufage
du blanc & du n o ir, comme couleurs fignifi-
catives de la lumière & de la privation de la
lumière, doit certainement être mis au nombre
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des conventions. 1 1 en e fl de même des couleurs
effectives ou réelles , avec lefquelles on imite,
autant qu'on le peut, l’ombre qui n’efl qu’une
privation ou qu’une abflraCtion.
Je dois obferver que fi dans le nombre infini
des conventions dont je viens de donner une
idee , il en e fl d’ indifpenfables , il en e fl aufli
qui font fondées fur des opinions. Les conventions
dont j ’ai parlé font du premier genre,
c’efl-à-dire, qu’elles tiennent à la conflitution
de l’art r les autres ne font que des modifications
de quelques-unes de c os. conventions. Je
donnerai pour exemple de celles-ci les diffé-
rens fyflêmes de coloris adoptés particulièrement
par certaines écoles , & adoptés ou convenus
dans le pays où ils ont été exercés avec
fuccès ' 8c affez généralement enfuite par les
amateurs de la peinture. Ces conventions dans
le coloris regardent plufieurs parties principales
de l’art ; elles ont pour ob je t, dans le clair-
obfcur , les ombres fur-tout, & les teintes fur
lefquelles efl fondée l’harmonie générale d*an
tableau.
J ’ai déjà fait comprendre à ceux qui ne font
pas verfés dans les arts , que les ombres, q u i,
dans la nature, ne font qu’une privation de
lumière, font repréfentées dans.le tableau par
une couleur véritable. I l faut fe décider fur la
couleur qu’on employera pour cette illufion. On
ne doit pas y employer le noir, quoique cette
couleur de la palette foit regardée en général
comme repréfentative de la privation de la lumière.
On a vu dans l’article B lanc , 8c on
verra dans plufieurs autres les raifons qui doivent
obliger les peintres à s’ en abflenir. I l faut
donc , pour repréfenter les ombres , choifir une
autre couleur ou plutôt un mélange de couleurs
& de teintes , dont le réfultat rappelle à l’imagination
du regardant l’idée & à peu-près l’ effet
de l ’ombre. Dans le nombre des artifles qui
ont médité fur cet ob je t, en obfervant la nature,
les uns ont cru remarquer qu’un ton bleuâtre,
relatif à l’interpofition de l’ a ir, dominoit dans
les ombres ; d’autres ( peut-être d’après le c limat
où ils étoient & l ’heure du jour ) ont cru
appercevolr que des tons & des teintes rouf-
seâtres participoient le plus fou vent à celle des
ombres ; d’autres,. que c’étoit une couleur verdâtre
ou jaunâtre. Ils fe font décidés, d’après
leur manière d’être âffeCtés, foit qu’ elle eût
pour principe la conformation de leurs yeux ,
foit qu’ elle eût d’abord été occafionnée par
les momens de la journée où ils étoient plus
accoutumés à obferver & à trava iller, ou par
l ’expofition de leur a-ttelier, ou par la nature
du climat & du ciel ; enfin ils fe font décidés
fur une teinte qu’ils ont dès-lors rendue plus
ou moins dominante , jufques dans les demi-
teintes de leur ouvrage. Alors ce moyen adopté
trop exclufiyement efl devenu convention dans
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le coloris, parce que les élèves dè ces maîtres
s’y font conformés ; 8c comme plufieurs ont
exagéré & exagèrent l’ iifage de ce moyen ,
qu’ avoient adopté leurs maîtres , peut-être avec
beaucoup plus de circonfpeCtion ; les uns ont
peint roux ou doré, les autres bleu ou argenté,
les autres jaune ou v e rd , & d’autres enfin , en
tâchant d’éviter ces défauts 8c de rompre leurs
teintes, ont peint fale ou gris dans les ombres,
& dans l’accord de leur harmonie colorée.
Voilà une des conventions qui doit varier
davantage, parce qu’ elle a pour caufe l’impof-
fibilité de rendre la privation de la lumière par
le même moyen que la nature. Cette forte de
convention commence toujours par s’établir de
l’artifle obfervant à l’artifle opérant. E lle devient
plus véritablement convention, lorfqu’elle
efl adoptée par d’autres, 8c enfin elle a tous
les titres de convention dont elle efl fufeep-
tible ,.lorfqu’elle e fl reçue par ceux qui s’occupent
des ouvrages de peinture ; mais elle ne
peut jamais devenir convention abfolument générale
& unanime.
I l exifle des conventions dans la partie du
deffin ; car parmi les deffinateurs , les uns tracent
les contours & les formes des objets qu’ils defîi-
nent, d’ uné manière très-marquée, en imprimant
à prefque tous les contours un certain carré,
qu’ ils ont apperçu dans quelques objets. Ils fe
fondent fur ce que cette manière a quelque
chofe de décidé , -qui entraîne à l’idée qu’ ils
veulent donner du caraétère des formes , oc ils
reffemblent aux auteurs qui adoptent dans leur
fly le un caraélère prononcé , & le mettent en
ufage à tout propos. Alors ce caraélère efl une
convention que le peintre ou l’écrivain fe fait
avec lui - même. D’autres artifles & d’autres
écrivains àrrondiffent toutes leurs phrafes &
tous lëïîrs contours, 8c ceux-ci forment en
eux-mêmes une convention qui a un inconvénient
contraire à celle dont j’ai parlé ; car la convention
du fly le prononcé qui convient aux objets
très-caraélérifés , ne convient pas aux objets plus
doux , 8c au contraire la convention du ftyle
coulant & arrondi qui conviendront à une nymphe,
à un adolefcent, détruiroit toute l’énergie
de la figure d’ un Hercule..
I l faut toujours remarquer cepéndant que les
conventions d’artifles, quoique fujettes à une
jufle critique, font adoptées, lorfqu’un grand
mérite les foutient, 8c qu’ elles le font aufli,
en raifon des lumières de ceux qui s’occupent
des ouvrages des arts ; différence fort grande
de ces consentions artielles avec plufieurs conventions
d’opinions 8c de préjugés, qui font
rejettées fi-tôt qu’on apperçoit clairement que
ce né font que des conventions. La compofition
-pittorefque ne comporte pas moins de conventions
que les deux parties dont j’ai parlé, les
contraires affectés, les repouffoirs menteurs p 8c
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un nombre d’habitudes que prennent les artifles ,
font des efpèces de conventions qu’ ils forment
avec eux-mêmes, ou qu’ ils adoptent aveuglément
, comme la plupart de celles de la fociéte y
mais les dernières dont je viens de parler relativement
à la compofition , ne font adoptées ou
tolérées que jufqu’ à un certain point par les con-
noiffeurs. Elles n’ont pas la même exeufe que
les fyflêmes fur la couleur des ombres 8c fur
• l’harmonie : car l’ obfervation de la nature apprend
d’ une manière bien décidée aux artifles
qui l’étudient, qu’ elle ne forme pas continuellement
des contrafles parmi les hommes qui
vivent ou fe trouvent enfemble ; que fouvent
au contraire, ils font affemblés pour le même
but ou par le même intérêt; que fouvent leur s-
membres , leurs mouvemens enfin , ont la meme
direction ; que rien , en un mot, ne tend plus
à donner l’ idée d’ un fpeCtacle apprête, que les
contrafles multipliés. Quant aux repouffoirs qui
confiflent en certains objets, grouppes^ ou ter-
reins fort colorés ou fortement ombres , que
tant de peintres placent fur le premier plan de
leurs tableaux, les obfervateurs de la nature
ne les pardonnent point aux peintres qui doivent
l’obferver plus fouvent & plus exactement'
encore que les fpeClateurs de leurs ouvrages#
L’on fait généralement aujourd’hui que les
objets ombrés qui fe trouvent fur les de vans ,
font tranfparens, quoique vigoureux par la
couleur locale ; que les ombres voifines de
celui qui les regarde, loin d’ être noires 8c trop
obfcures , laîffent voir tous les détails, les
formes, les couleurs des objets qui s’ y rencontrent
; que la nature enfin n’a pas befoin
de cet artince pour repouffer, comme on dit
en langage de l’ a r t , les plans & les objets
éloignés , parce que l’ effet de l’ iaterpofition de
l’air, les dégradations de tons 8c les proportions
relatives des objets plus ou moins éloignés
avec les objets rapprochés, fuffifent pour les mettre
tous à leur place.
Je prononcerai encore plus décifivement fur les
conventions qui regardent la partie de l’ expref-
fion ; & je dirai que celles par lefquelles certains
artifles expriment en chargeant, & avec
exagération les affections, les pallions, les mouvemens
, ne peuvent 8c ne doivent pas être
adoptées. Elles font cependant tolérées trop fréquemment
par les hommes qui ont peu de lumières
fur les arts. Pourvu qu’ on excite en eux
des fenfations v iv e s , ils ne cherchent pas fi
elles font motivées,, & ne fe foucîent pas plus
d’ obferver ayant de décider, que le peuple d’ une
grande ville ne fe foucie de s’inflruire fi un
fait qu’ on raconte efl faux ou v r a i, avant de
dire ce qu’il en penfe.
Diflinguez donc avec jufleffe , jeunes élèves,
premièrement, les conventions qui font éta-
1 blies & reçues avec unanimité par les artifles,