
D’un_autre côté, fi les ouvrages de la Sculpture, de l’Architeéiure & de la Peinture,
dont une matière quelconque eft partie conftituante , demandent pour le produire
une lenteur & offrent enfuite une immobilité qui femble différer abfolument de toute
aélion purement fpirituelle ; d’un autre côté , (dis-je) l’influence que peut avoirlur eux
l ’efprit de ceux qui les compofent, s’y manifefte bien plus long-tems, puitque 1 aétion , la
parole & le chant n’imitent & n’expriment que pendant un inftant ; au heu que la
Sculpture, l’Architeélure & la Peinture peuvent parler pendant plufieurs ficelés. ; ,
Il doit réfulter & il réfulte en effet de cette différence & de la nature intelligente
& ingénieufe de l’homme, qu’auffi-tôt qu’il s’occupe à perfeéfionner le* Arts,
il s’efforce de donner , autant que cela lui eft poffible, aux productions mobiles &
tranfitoires là durée qui leur manque, & à celles qui font fixes & durables, le mouvement
dont elles font privées , ou ce qui peut en rappeller lidee.
Cependant ( comme je l’ai dit ) l’influence des fentimens qui produifent les grandes
inftitutions eft ce qui feul peut porter les Arts ou langages liberaux aux perfcaions
& aux beautés fublimes, parce que l’élévation & la forte d unanumte d idées dont les
grandes inftitutions font fufceptibles, ont feules la puiffance d affranchir la beauté &
la perfection d’une fervitude ou les retiendroit, fans cela , 1 opinion particulière que
chacun fe croiroit en droit d’en avoir; ainfi plus les grandes inftitutions^ selevent a h
hauteur où elles peuvent atteindre, plus elles peuvent porter les Arts a la fublimite ;
plus les grandes inftitutions s'affoibliffent, fe corrompent, font imparfaites , font incohérentes
entre elles, plus les Arts retombent dans la fervitudedelà perfonnalité; parce
ou’alors chacun reprend de plus en plus le droit d’être juge abfolu des perfeétions qui
n’ont plus de modèle fixe & fur lefquelles il ne peut plus y avoir d unanimité.
Ce jugement perfonnel abfolu , que je nommerai defpotifme d’opinion , eft donc ce
qui dégrade les Arts en les afferviffant, comme le defpotifme de puiffance dégradé
les Hommes en les rendant enclaves.
Si ces principes font vrais, ( & je les'crois tels ) c’eft la perfonnalité exclufive qui
produit5 le mauvais goût , comme elle produit la plus grande partie des defordres
moraux Qui pourrait en effet nier que l’orgueil & (on fafte , les voluptés defordon-
nées & leurs délires, le défeeuvrement & fes caprices inquiets , tous attaches a cette
perfonnalité dont je parle, ne foient en tous teins & en tous lteux pour les Arts ainfi
que p0ur les moeurs, des fources abondantes d’égarement & de corruption l
Mais lorfque l’influence de ces égaremens qui, dans les nations etendues & flerif-
fantes , parok inévitable d’après la conftitution générale des choies humaines , entraîne
lesArtsmnfi que les moeurs vers leur décadence, nerefte-til aucune reffource qui en
retarde la chute ?
Il en eft une ; elle s’oppofe à un affez grand nombre fferreurs & d’imperfeétions, elle
fufpend les funeftes effetsdu mauvais goût ; & cette reffource eft 1 interet perfonnel lui-
même , mais éclairé, réfléchi & le mieux entendu poffible. Cependant quelque bien
S B f f l onérer à cet égard , ce feroit s’abufer que d’en attendre 1 élévation didées
& les effets Sublimes queues Arts obtiennent des grandes inftitutions; pareequ indépendamment
de Ïentnoufiafme qui n’eft propre qu’a elles !. qu elles feules peuvent
allume” & attifer, il faudroit fuppofer dans la plupart des hommes une gtendue de
connoïffances ,& ^lumières,il n’eft que trop facile d’obferqvueri .àn ’ecfhta lqeu ep ianrfttaagnet ;q cuoemAbuie.pnl juesu d hommes font cap^ab es
de dérnelr avec jufteffe ce que demande leur véritable intérêt meme dans les circonfiances
les plus-importantes pour eux. Mais il n’en eft pas moins vrai '( .relativement
aux Arts ) que nombre de produirions peuvent être dirigées pan le feul intérêt
perfonnel a une perfection & à des beautés-que j’appellerai de convenance.
Cet effet provient de ce qu’il s’établit des relations naturelles A indifpenfables- entre!-
les formes (par exemple) & l’ufage d’une infinité ^ ’objets de'tout genre,: que.de ces
feules relations peut émaner imeperfeélion ofl une beauté qui leur convient.
L’ouvrage, de quelque genre qu’il foit, dont îles formes oùles embelliffemens
contrarient: la déftination, contrarie par-là tellement l’intérêt perfonnel de celui à qui
l’ufage en eft deftiné, qu’il fe trouve intéreffe & fouvent même contraint à le reélifier
& à le perfeélionner, jufqu’k ce que la facilité de s’en fervir foit le plus complet-
tement d’accord, & le plus artiftement combiné qu’il eft poffible , avec l’agrément
dont il eft fufceptible.
C’eft ainfi que d’autres relations indifpenfablps entre les hommes les forcent d’adopter
des conventions qui fuppléent à quelques égards aux principes moraux lorfqu ils
s’altèrent.
Si les Arts n’ont jamais été confidérés de cette manière, c’eft qu’on les a regardés
féparément les uns des autres & comme produits ou inventés au hazard, fans leur
croire de déftination univerfelle &abfolue; au lieu qu’ils doivent être obfervés comme
ayant une origine univerfelle & comme deftinés par leur nature à des inftitutions
indifpenfables parmi les hommes ^ de manière que lés inftitutions ne peuvent fe paffer
-des Arts, & que-les Arts, pour atteindre leurs perfeétions fublimes, ne peuvent fe
paffer des inftitutions ; fi l’on defiroit une preuve de cette influence' des inftitutions
fur les Arts, & des Arts fur les inftitutions, quel eft l’homme inftruit qui, d’après
les élémens’que jè viens d’expofer, n’a pas fixé déjà fes regards fur les beaux jours
& fur lés chefs-d’oeuvres de la Grèce ?
Il a exifté une nation placée fous un ciel favorable, pourvue d’un idiome harmonieux,
énergique & riche, qui honora comme objet de fon culte religieux des être»
qu’elle fuppofa doués de différentes perfeétions, budiftributeurs de différens bienfaits;
elle unit, dans ce qui avoit rapport à cè culte, les beautés de la nature au fublime
des fentimens & à la fineffe des allégories les plus capables d’élever l’efprit & de
charmer les fens.
Combien les langages de cette inftitution n’ont-ils pas dû produire d’expreffioni
énergiques, de défignations ingénieufes & d’imitations fublimes! JW
Il appartenoit encore à cette Nation admiratrice des perfeétions les plus grandes ;
de fe permettre la plus noble des illufions : elle penfa que les hommes -fupérieurs à leurs femblables, par des qualités & des vertus , pouvoient, pour récompenfe de s’être
élevés vers, la Divinité , être admis à en partager les honneurs , & elle déifia fes héros.
La Religion des Grées rendît refpeétables , en les confacrant, leurs images déjà intéref-
fanteSj & l apotKëofe excita& autorifa les-Arts à revêtir l’humanité de cette beauté qu’on
appelle idéale & fublime, qui divinife , fi l’on peut parler ainfi., les formes humaines.
Pour ajoûter à ce concours de deux inftitutions rapprochées fi heureufement pour
les Arts, n’oublions pas que ces rhêmés peuplés brûlèrent de ffâmour de la liberté &
de celui de la patrie ; fentimens qui, de quelque façon qu’ils foient- conçus , rendent
toujours les âmes d’un grand nombre "d’hommés énërgiqùes', leurs qualités fupérieures
& leurs vertus éclatantes: