
demande à être adoucie & fauvée quelquefois fort long. par un travail L e s fonds qu'on eft obligé de foire avec propreté
emportent en effet une perte ^ de temps allez
confidérable , le foin de parvenir a l’effet, le
defir d’of&ir aux yeux un .deffin propre & agréable
, conduifent aifément l’Artifle a être froid. .
Il eft vrai que quelques Maîtres du premier
ordre, au nombre defquels on doit nommer Bou-
chardon, ont eu l’art & l’adreffe d’ exécuter dans
cette manière patiente i f propre, des etudes &
des académies qui méritent d être admirées j mais
ces Artiftes ou ne fe deftinoient pas à peindre,
ou facrifioient à cette manière d’opérer qu’ils
avoient adoptée & qui leur plaifoit, un temps
qu’ils auroient pu employer à des occupations plus
importantes. Enfin, l’imitation fervile, toujours
dangereufe lorfqu’on n’a pas le talent de ceux
qu’on imite, ne produit le -plus fouvent que des
Copiftes froids , ou des Artiftes maniérés. | #
Pour en revenir à cette relation d’idees qui doit
s’ établir entre la manière de defliner & l’intention
de peindre , j’ajouterai , à ce que j’en ai dit, que
plus celui qui defline une academie aura 1 attention
de fuppofor dans l’ame de fon Modèle une
affeftion convenable à l’attitude que prefonte ce
Modèle , plus il contractera l’habitude fi neceflaire
de ne jamais repréfenter une figure, fans etre
occupé de l’idée qu’elle eft animee. IJ n eft pas de
pofition ou d’attitude qui ne foit relative a quelque
afFôâion , ou à quelque nuance d’affeCtion.
L ’ufage , lorfqu’on p o fe le Modèle pour une académie
, eft de le difpofer le plus fouvent-d’une ,
manière pittorefque , fans autre intention que de
développer ou de groupper fes membres, pour
former un afpeCt agréable ou piquant. On defline
ce Modèle dans une intention femblable , & il
en réfulte une forte de travail, qui , tenant trop
du méchanifme ,- produit fouvent des imitations
fans efprit, fans ame , dans lefqueües on-copie
les défauts même du Modèle , tels que fa laffitude
prefqu’inévitable, le caraCtère d’ennui ou d’indiffé-
fence qu’il eft difficile qu’il n’ait pas & faiefîem-
blance fort inutile.
Lorfque le jeune Deffinateur prend cette route ,
il rifque de transformer l’Art en metièr.
Au contraire , il devient d’autant plus Artifte ,
qu’il s’occupe davantage à ajouter aux formes &
aux traits , cette vie pittorefque qui rend les paf-
fions & les affeCèions fenfibles aux regards. _ /
L ’homme libre & qui n’eft pas trop maniéré
par l’effet de la civilifation, ne prend prefque jamais
une pofition , ou une attitude qu elle ne foit
relative à une impreffion de fon ame ; & que par
'conféquent les difpofîtions de (es membres & de
(es traits même n’offrent quelque empreinte ou
quelque figne de fon affedion morale.^ fonL A’Arrtt,i ftnee qpuei rdm jéadmitaei s& d eq uviu ef ecnet pleri tnecnidpuee ; d&e à’eft en s’accoutumant de bonne-heure à çes
obforvatîons & à cette pratique, que le Deffinateur
s’impofora l’obligation de ne jamais oublier,
lorfqu’il imite le corps humain, que ce corps eft
doue de la vie & du (erîtiment.
Mais, puifque cet article eft principalement
deftiné aux jeunes Deffinateurs , on peut fe croire
autorifé à leur adreller plus directement quelques
préceptes.
Lorfque vous deflînez une académie, fi vous
regardez cette étude fans intérêt & comme une
tâche qui vous eft impofée ; fi vous vous efforcez
de remplir votre feuille le plus. promptement
qu’il vous eft poflible, vous n’ètes qu’un mauvais
Ecolier, ou bien vous vous regardez comme un
Artifan & non pas comme un Artifte.
Defliner promptement eft néanmoins un talent -■
utile dans une infinité ^d’occafîons, où il faut
que le Peintre (iirprenne , pour ainfî dire , là
Nature , qui ne pofe p a s fouvent le Modèle au
gré de i’Artifte ; mais on ne parvient à acquérir
cette facilité qui doit être accompagnée de jufi-
telfo, qu’en ayant commencé par defliner lentement
& après s’être rendu long-temps difficile.
J e ne craindrai pas de répéter que le Modèle
qui vous eft offert , n’eft ni une ftatue, ni un
cadavre, quoiqu’il (oit immobile à vos yeux.
Si vous êtes allez avancés en raifon pour, comprendre
ces confeils & pour vous,, rendre un
compte exact de ce que vous entreprenez ; vous
vous redirez fouvent qu’en repréfentant l’extérieur
du corps humain, il ne faut perdre de vue ni la
charpente de ce bâtiment , ni l’être fenfible &
Ipirituel qui l’habite.
Deflinezproprement, fi vous aimez à terminer;
mais ne mettez pas une prétention .& une affedation
trop grande à cette propreté : qu’elle (oit
femblable a celle qu’on exige d’un homme dans
fon extérieur ; c’eft-à-dire convenable, fans trop
de recherche & par conféquent fans excès.,
L ’Artifte qui fe néglige & qui eft mal-propre
dans fon ajuftement, a fouvent le même défaut
dans fa maniéré d’exercer fon Art. Tout fe tient
dans nos habitudes. Obfervez l’habillement, l’ameublement
& l’arrangement intérieur d’un homme
, vous jugerez ( & ne vous tromperez guère )
de fon habitude & même du caradère de fon
efprit.
Etes-vous portés à faire avec adivité ce que
vous faites & à employer vivement votre temps ,
n’oubliez pas que la lenteur réfléchie qu’on met
à bien faire, n’eft pas un temps perdu; car on le
regagne avec avantage, lorfque l’habitude de bien
faire eft acquifo.
L a routine & les mauvaises habitudes qu’on ne
domine prefque jamais, naiffent le plus fouvent
de la promptitude à laquelle on s’accoutume en
deflinant trop fréquemment & trop vite le même
modèle. Vous finiftez par defliner, pour ainfî dire,
de mémoire , quoiqu’en préfence de l’objet, &lea
études que vous- croyez faire ainfî, loin de vous.
rien apprendre, vous conduifent à cette routine
qui rend métier ce que vous nommez Art. Que
de tableaux où l’on reconnoît à fes défauts , celui
d’entre les Modèles dont l’Artifte a coutume de
fo forvir !
Un moyen de vous mettre à l’abri de cet
écueil eft ( lorfque vous êtes en état de raifbnner
votre Art ) de comparer fouvent l’Antique avec
votre Modèle. Pofez pour cela des Modèles particuliers
dans , les attitudes des belles ftatues , ou
des belles figures peintes & de’flinées par les grands
Maîtres ; faites des académie s d’après les unes &
d’après les autres : comparez enfuite , & , quand
vous n’auriez pas réufli, vous aurez toujours fait
un pas vers la perfection ; c ar, dans l’etude des
Arts libéraux, trouver fes premiers travaux imparfaits
, c’eft acquérir la connoiffance de ce qu’ils
devroient être, & difoerner d’une manière plus
précife la beauté de fes Modèles.
Comparez donc beaucoup les beaux ouvrages
avec la Nature, & les uns & les autres avec ce
qui eft confacré depuis tant de fiècles comme des
chefs-d’oeuvre. L a comparaifon, ainfî que l’ana-
lyfe font les véritables clefs de toutes les con-
noiflances humaines.
Je finirai par vous* conjfoiiler , non-feulement
de defliner, mais de peindre fouvent des académies.
J ’o forai le dire , même aux Artiftes .confom-
més, & pour leur profit & pour leur gloire.
Une académie, lçavamment peinte, a autant
de droits à devenir un tableau de Cabinet précieux
, qu’un ouvrage de tout autre genre. Les
uns & les autres doivent être de belles & fidelles
images de la Nature , qui doivent forvir de modèle
, de préceptes fenfibles de l’A r t , & attefter
â quel point de perfedion il a été porté.
J e ne dois pas .omettre que dans la langue
générale le mot Académie fîgnifie parmi nous
une Société autorifée à s’affembier.
Les Académies de Peinture ont pour principal
objet d’enfoigner ; ce., qui les diftingue de la plupart
des autres. Telle eft Y Académie Royale de
Peinture établie dans notre Capitale. Ses Statuts
ont fervi. à en établir plufîeurs dans nos Provinces
& dans d’autres Etats ; ces Statuts, en effet, peuvent
, à beaucoup d’égards , être pris pour modèles.
On les trouvera dans la féconde partie de ce
Didionnaire.
L a conftitution des Académies, qui s’occupent
des Arts libéraux, fera d’autant meilleure, qu’elle
fe dirigera, mieux à inftruire méthodiquement
ceux qui fe deftinent à ces Arts, à les admettre
enfuite, avec difeernement, comme Membres de
ces Sociétés, & à choifîr entr’eux , avec la plus
grande impartialité, ceux qui doivent enfeigner.
L ’Ecole eft donc abfolument la bafo de cette
inftitution, & le choix de ceux qui enfeignent eft
le foui moyen de la conferver.
Ce choix doit tomber principalement & exclusivement
fur les Artiftes qui, dévoués aux produrions
les plus diftinguées de l’A r t , en con-
noiflent plus profondément les parties conftitu-
tionnelles. Telles font pour la Peinture & la
. Sculpture, l’Anatomie & par elle , les - proportions
, les mouvemens & la pondération. Telles
font encore, particulièrement pour la Peinture
les perfpedives linéale & aérienne , qui embraf*
font l’effet apparent des formes & le clair-obfcur.
Ces parties des deux Arts font pofîtives , fo peuvent
démontrer, & l’on fait que tout enfoigne-
ment qui procède par démonftration, eft celui qui
grave mieux dans la mémoire les préceptes qu’il
donne.
L ’admiflion dans une Académie de Peinture,
qui fe fait librement ,^au moyen du ferutin, pas
les Membres, demanderoit une égalité de con-
noiffances que je crois impoflïble & que je n’ai
vu exifter encore dans aucune Société. L a confti-
tütion Académique ne tient pas-abfolument à
cette rigueur , elle demande cependant qu’on foit
jufte & févère, fur-tout dans le choix de ceux
qui doivent enfeigner & par conféquent dans l’ad-
miflïon à la claffe de laquelle on lés tire : car fi
le nombre des Artiftes foibies’ y devient à la fin
trop nombreux , il s’en introduira de plus en plus
parmi les Profeffeurs, & l’enfeignement vicié produira
bien plus rarement de quoi fournir au Pro-
feflbrat. C’eft de cet inconvénient que naîtroit un
cercle vicieux, contre lequel il n’y auroit enfin
plus de remède. Les moyens d’émulation , tels
que les p r ix , les concours, les encouragemens •
font des objets puiflans pour avancer l’Art ; mais
fî le relâchement, l ’indulgence excefliye , la protection
, l’autorité & la brigue- en décidoient, ces
moyens , au lieu de foutenir l’A r t , contribueroient
â le détruire, au lieu d’encourager les vrais ta-
lens , ils anéantiroient leur émulation. Il vaudroit
mieux que ces moyens n’euffent pas lieu ; car la
plupart des hommes , abandonnés à la Nature
acquièrent plus de force , que lorfque pour les
fortifier, on emploie des focours mal admi-
niftrés.
J e ne puis entrer ici dans des détails qui de-
mànderoient un ouvrage entier , ouvrage d’autant
plus néceffaire & plus intéreffant, que jamais les
Sociétés Académiques & les moyens d’émulation
bien ou mal adminiffrés , n’ont été plus multi-
pliés. 7
J ’ai indiqué les points fondamentaux for le s quels
je penfe que doivent s’appuyer les Inftitu-
tions Académiques deflinées aux Arts de la Peinture.
Une feule obfervation générale que je me
permettrai encore , c’eft que les A r t s , nommés
l i b é r a u x étant deftinés par leur nature à être
effedivement libres , la conftitution des Sociétés
Artielles doit être fondamentalement Républicaine.
Cependant, comme il eft inévitable que les
Sociétés particulières ne participent pas de l’elprit
de la Société générale où elles exiftent leur
A i j