
votre préfênce. Heureux fi elle vous plaifoit aflëz,
Meffiéurs, pour vous donner envie d’en faire autant,
voyez, jeunes gens, combien vous y gagneriez
, & combien vous m’auriez d’obligation.
Écoutez-moi maintenant.
Le coloris eft une des parties les plus confîdé-
rables de la Peinture, C’eft celle qui la caraété-
rife, qui la diftingue de la Sculpture ; c’eil dans
la couleur que confifte le charme & le brillant de
nos ouvrages. Vous êtes alfez avancés pour lavoir
tout cela. Vous lavez encore-que dans le coloris
on regarde deux chofes , la couleur locale & le
clair - oblcur ; que la couleur locale n’eft autre
choie que celle qui eft naturelle à chaque objet,
& que le clair-obfcur eft l’Art de diftribuer lés
clairs & les ombres avec cette intelligence qui fait,
qu’un tableau produit de l’effet ; mais ce n’eft point
alfez d’en avoir une idée générale. Le grand point
eft dé lavoir comment s’y prendre pour bien appliquer
cette couleur locale , & pour acquérir cette
jmtelligence qui la met en valeur par comparailon
a une autre.
C’eft là , à mon lêns, l’infini de notre Art, &
.fur lequel nous avons ^beaucoup moins de principes
que fur les autres parties. Je dis principes
fondés fur le naturel ; car de ceux fondés fur les
ouvrages des anciensMaîtres, nous n’en manquons
pas. Nous avons allez d’Ecrivains qui ont
parlé là-deflus ; mais ce qu’ils ont dit eft-il toujours
bien lolide , ou s’il eft folide, faifops-^npus bien
tout ce qu’il faut pour en tirer le fruit qu.e les
bons préceptes doivent produire? Voilà ma première
difficulté.
Que faites - vous ? Pleins de la jufte inlpira-
tion qu’on vous a înfpirée pour les Maîtres que
nous regardons comme les premiers Coloriftes,
vous vous mettez à les copier. Mais comment Jes
copiez-vous ? Purement & fîmplement & prefque
fans aucune réflexion ; mettant du blanc où vous
voyez du blanc, du rouge où vous voyez du
rouge , & ainfi du refte. En forte qu’au lieu de
vous faire une jufte idée de la couleur de ce
Maître, vous ne faites qu’en prendre l’échantillon.
Que faudroit-il donc faire pour s’y prendre mieux?
J1 faüdroit, en copiant un beau tableau, demander
à votre Maître lejs raifons qu’a pu avoir l’Auteur
de ce labjeau pour colorer telle ou telle
partie de telle pu telle façon, Par-là , vous apprendriez
à connoîtrè par raifonnement, ce que
vous cherchez par routine , & qu’elle, ne peut
vous donner. A chaque Auteur différent que vous
copieriez, vous obtiendriez de votre Maître une
inftrudion raifbnnée nouvelle & de nouveaux principes
qui voys entrcroient dans l’efprit, & qui vous
garantiroient de c'ette prévention qu’on prend quelquefois
-pour toute la vie, en fè paffionnant pour j
ûn Auteur, & en laiffant-là tous les autres , ce qui
eau fe prefque toujours la perte d’un jeune-homme
^ui auroit pii réuffïr.
Jin évitant çe danger, voici ce qui arrivçroit
i encore. En copiant, par exemple, un Titien, vous
tenez enchantés des beaux tons que vous y trou-
^eau jeu dé ces a 1 effet général. Mais votre Maîttoren sv opuats rdaipropiotr t:
» Prenez donc garde : n’allez pas croire que ces,
» tons auioient ia meme valeur, s’ils étoient placés
» ailleurs, ils appartiennent à cette compofîtion
» par telle ou telle rail'on. Et voilà le grand me-
» rite de cet Auteur. Le moindre déplacement
» que 1 on feroit de cette couleur-là, la rendroit
>> fauffe & choquante. » La force de ce raifon-
nenient vous frapperoit, & il vous doit frapper
des-a-prefent. Car ne fentez-vous pas que la Pein-
ture feroit quelque chofe de bien borné, s’il ne
faiioit qu’un affortiment de teintes d’après le Ti-
tien , pour colorer aufti-bien que lui ?
, ^ aimerois fort encore que pour rendre cette
etude plus utile, vous y mélafliez l’étude d’après
nature. Oui; je voudrois, dès qu’un jeune-homme
commençe à peindre, ayant un bon fonds de
deffin , & qu’il çonnoît paffablement la couleur,
qu’au fortir de copier un Titien , il prît le naturel
, pour faire d apres , un tableau dans la même
intention. Cela le menerçfit à chercher dans la
nature les principes que ce grand Maître a fuivis
pour la rendre fi finement. Penfez-vous que celui
qui parviendront à'faifîr cette liaifon , ne pourroit
pas être regardé comme étant dans le bon chemin $
Quand je dis un Titien , je dis auffi un Paul Véro-
nefè, un Giorgion , un Rubens, un Rembrandt,
un Vandick, tout Maître , en un mot, qu’on efti-
me pour la couleur.
Vous ne (auriez croire combien vous iriez vite
en prenant ce chemin-là, & combien vous auriez
d’avantage fur d’autrès , même à talens égaux ,
en peignant fout d’après nature, dans, cet efprit,
c’eft-à-dire , par rapport à la couleur. Faites-en
l’expérience, &Je fuis sûr que vous me (aurez
gre de l’Avis. En voici un autre.
La première attention que. vous devez avoir,
en vous fervant du naturel dans cette vue, eft
de vçus mettre en ptat de bieji juger de la valeur
qu’il doit avoir fur le fqnds que vous lui
deftiriez ^dans votre tableau, Cela eft fout-à^faif
de conféquençe, & je vais tâcher de vous le
prouver,
- Tout objet tient toujours (à maffe fur fon fonds ;
& quand vous le peignez fur un fond privé
de lumière, par çonféquent d’une couleur fon-i
cee , il doit tenir fa -maffe claire. Si c’eft un,
fond çlair, il tient fa maffe ççlcrée, pour ne
pas dire brune. Lors donc qu’en peignant d’après
le h^turçl, vous voyez votre objet fur un fond
privé de lumière , & qu’enfiiite dans votre tableau
vous lui donnez un fond clair; il eft inévitable
que la plupart des parties doivent percer .avec
ce fond ; ce qui arrivera également, fî l’objet que
vous aurez vu dans le naturel, fur un fond clair
occupe dans votre tableau un fond privé de lumière,
Or, vous devez (avoir que rien ne fait
plus de tort que cela , à l’effet d’utt tableau.
Sur quoi, j’ai encore à vous obferver que ce n’eft
pas feulement la même couleur du fond que vous
avez qui perce avec, mais aufli toute autre couleur
qui feroit du même ton. Ce que je vous dis,
c’eft afin que vpus vous mettiez en garde fur 1 un
& fur l’autre de ces défauts. . 1 • '/■
Le moyen de les éviter eft fi fimple , qu il eft
étonnant de le voir auffi néglige. Il confîfte afe
régler fur le fond que l’on veut faire dans fon
tableau, & de placer le naturel fur un fond, pareil
avant de peindre d’après ; &vous (avez comment
cela fe peut faire ? c’eft en mettant derrière cet
objet une toile du même ton, que celui qu’on fe
propofè de donner à fon fond. Je .demandérois
même, pour plus de jufteffe dans: cette . etude ,
qu’on couchât fur cette toile , une même teinte
à-peu-près que celle du fond ; que fî j avois une
figure à mettre en oppofition, fur un ciel bien
clair , ma toile en eût la couleur; fi, fur une
archite&ure piquée de lumière , qne cette toile
fût couleur de pierre; fî, fur un payfàge, fur un
lambris, fur quelque: chofe de plus lourd, qu elle
fût chargée d’une pouleur approchante de celle
qui, dans mon tableau, doit faire fond a mon
objet : je voudrois encore qu’on eut f attention *
lorfqu’il s’agit d’un fond piqué de clair, de tourner
la toile de façon qu’elle foit frappée du jour, comme
dans les fonds fombres il- faüdroit faire le
contraire. Les bons Maîtres de l’Ecole Flamande,
îi’ont guère manqué à.prendre toutes ces.precau-
tions-là. Ils en ont tiré cet avantage.de voir finement
ce que les couleurs font les unes contre les
autres, & d’en fentir bien.la valeur, ce qui ne fe
peut connoîtrè que par comparaifon, d’autant qu’il
n’y a point de difcours , ni d’indications de dofe,
qui vous puiffe défîgner avec précifion une teinte
de quelqu’efpèce qu’elle (bit. C’eft l’çtude feule
fur la nature qui conduit de. l’une à l’autre ,• tou-,
jours par comparaifon, & jamais autrement.
Pour vous mieux inculquer ces principes, je me
vais fervir d’un exemple : je fuppofe que vous
vouliez peindre fur une toile, un vafe d’argent.
L ’idée générale qu’on fe fait de la coùleur de
l’argent, eft quelle eft blanche ; mais , pour rendre
çe métal dans fon v r a i, il faut déterminer
d’une manière jufte l’efpèce de blanc qui lui eft
propre & particulier._Et comment déterminer cela?
L e voici. : c’eft en mettant auprès de votre vafe
d’argent, plufîeurs objets d’autres blancs i comme
linge , papier, fatin , porcelaine. Ces différens blancs vous feront évaluer le ton précis du blanc
qu’il vous faut, pour rendre votre vafe d’argent;
car vous çonnoîtrez par la comparaifon , que les
teintes de l’un de ces, .objets blancs;, ne feront
jamais celles des, autres1; & vous éviterez les
faufles. teintes , que, taris elle, vous courrez grand
rifque d’employer. Cette intelligence eft une de
célles que les Peintres Flamands ont fait voir avec
le plus de fuccès, & qui a, de tout temps, donné
à leurs ouvrages cetoe jufteffe de ton que nous y
admirons avec tant de piaifir.
Je ne me ferois pas tant étendu fur cette
doétrine des oppofîtions, fans le befoin que vous
avez de la favoir ; befoin qui m’eft connu par ce
que je voùs vois faire;tous les. jours à l’Académie.
Ceux d’entre, vous-qui ont de la facilité, & qui
ont fait leur figure plutôt que les , autres j . parce
qu’ils la font à demi par coeur , emploient le
temps qu’ils ont de refté à y faire des fonds ;
mais comment les font - ils ? Eft-ce en prenant
garde à "celui qui fe préfente derrière le modèle ?
Point du. tout : c’eft en mettant du clair & du
brun par pur caprice. Lés oppofîtions qu’ils forment
ainfi au hafard, font prefque toujours faites
à contre fens. Elles ôtent le véritable tour à leur
figure. Elles la font percer en vingt endroits. Si
vous fuiviez la voie qui vous eft ouverte, par le
fond que vous voyez derrière le modèle, le vôtre
feroit raifonnable & raifonné tout naturellement.
Vous placeriez deflùs ce fond tant d’objets que
vous voudriez, fans gâter en rien l’effet de votre
objet principal, qui eli Votre figure. Au contraire,
vous lui donneriez des fbutiens agréables & convenables
; & vous apprendriez à compofer fur des
principes':sûrs, & pris dans le vrai, c’eft-à-dire,
dans les effets de la nature, bien vus & bien
compris, hors lefquels tout n’eft qu’erreur & convention
m'ai fondée.
Tout ce que je vous ai dit-là , fur ces com-
pofîtions, ne peut avoir rapportje le fais bien,
qu’à un objet unique. Or, comme dans prefque
tous nos tableaux il y fen entre plufîeurs & quelquefois
un grand nombre , 'vous m’allez dire que,
dans ce cas, le moyen que je vous propofe n’eft
plus praticable. Il eft vrai que je vois fou vent agir
fur ce pied-là ; mais eft-ce à dire pour cela qu’on
fait bien? L’on peint fon objet fur un fond, quf^
eft encore inconnu, parce qu’on n’a pas encore bien
pris fbn par,ti fur le détail de Ces oppofîtions.
Cela fe voit de refte', par celui qui a des yeux;
car , fî on étoit bien décidé fur fon fond, il eft
sûr que l’objet feroit peint tout autrement qu’il ne
l’eft. Que faudroit-il donc faire en pareil cas ? II
faüdroit joindre , autantqu’il eftpoffïble, les objets
.que l’on veut peindre; fî l’on pouvoit les raffem-
bler tous , l’effet en feroit admirable , & la compa-
raifon des couleurs deviendroit fî fenfîble, qu’ayant
une fois pofé la première, les'autres viendroient
fe placer comme d’elles - mêmes, & , pour ainfi
.dire, forcément. Et n’allez pas croire, s’il vous
plaît, que ces principes & ces façons de faire,
peuvent avoir leur bon pour les tableaux Flamands,
& n’être pas fî propres pour notre goût
François , & fiirtout pour nos tableaux d’hiftoire.
Il n’y a point de goût, premièrement , qui ne
doive être puifé dans la nature, & vous devez
concevoir que le Peintre d’hiftoire le plus parfait,
eft.cehii qui la çonfùltç & la repréfente le mieux
dans toutes fes parties. La vérité ,de la..couleur,