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¥ admiration , le defir , Yefpérance , qui agîf- j
fent plus fur le coeur que fur le corps, les muf-
çles ne font agités d’aucune affe&ion violente.
I l fe fait cependant quelque légère irritation
fur les parties du vifage. Dans Ÿ admiration ,
par exemple , ce noble fentiment dont Céfar
èft pénétré en appercevant la ftatue d’ Alexandre
, l’oeil eft un peu plus ouvert qu’à l’ ordi- |
naire ; la prunelle eft fixée fur l’objet-qui caufe
ce fenriment -, le fourcil eft un peu plus élevé :
mais les côtés en font parallèles, & la bouche
légèrement entr’ouverte ne perd rien des grâces
que la nature lui a données. Cettepajjion
ne change prefque rien au refte du vifage.
Ainfi Didori lie perdit rien des agrémens de
fa phyfionomie , en voyant avec admiration
Enée aborder dans fon palais.
L ’ame e ft-e lle affeftée de fentimens agréables
qui lui caufent une émotion extérieure & fen-
fib le , tels que le plaifir & la joie T Les raouve-
mens des mufçles font un peu plus v i f s , 8c les
formes du vifage beaucoup plus reflenties. Le
front eft légèrement rid é, parce que les muf*
clés frontaux s’ élèvent vers la partie fupérieùre
4 e la tête otù eft leur origine. L’oeil îenfible-
ment ouvert laifle voir toute la prunelle tournée
vers l’objet qui l’ occupé. T e l Pygmalion
regarde l’ouvrage de fon cifeau. Dans cette
agréable émotion , la bouche ouverte à demi
éléve fes coins du coté des joues , & femble
rendre compte du plaifir que le coeur éprouve.
Le. ris fuccède-t-il au plaifir & à la joie ?
Veut-on retracer Démocrïte .? Ses yeux font
prefqu’à demi fermés ; les fourcils, élevés vers
le milieu , fe raprochent de la racine du nez |
la bouche entr’ ouverte & agrandie laifle ap-
percevoir une partie des dents.; fes coins retirés
du côté des oreilles fe relèvent , fuivant
le mouvement des joues qui paroiflent s’ enfler
8c furmonter les yeux , a côté defquels elles
forment des plis très fenfibles.
Dans ces fortes de payions agréables , toutes
le s parties du vifage s’accordent dans leurs divers
mouvemens 8c concourent au même objet
; au lieu que , dans les pnfjions doulou-
reufes & violentes , les mufcles femblent être
en contradiélion pour mieux exprimer le dé-
fordre où Rame fe trouve plongée.
Si la douleur ou la fenfibilité va jufqu’aux
larmes ; s’i l 's ’agit d’ éxprïrtier ‘ fous des traits
frappans la mifentropie d’Héraclite , ou les
tendres adieux d’Àndromaque & d’Heéior ,
alors les pleurs fe mêlent à la triftefle , le foùr-
c il fe comprime fur le milieu du front ; les
Veux prefque fermés , & abâifles du côté des
joues , contribuent au gonflement des narines ,
de tous les mufcles , & de toutes les veines du
front. La bouche abaiffe fes c ô té s jk forme des
plis dans la partie inférieure des joues ; la leyre
F A S
de deflbus paroît renyerfée & prefTe celle dé
deflus.
Voulons nous caraâérîfer la colère d’Achillif
ôu le défefpoir d’ Athalié f Que leur front foit
extrêmement uni à l’endroit de fes éminence?
ofleufes , & qu’ il foie froncé par des plis qui
fe forment du haut en bas dans les autres parties
où les mufcles font en contra&ion. Que
„les fourcils, abaifles dans leur milieu , fie relèvent
en pointe du côté de leur racine ; qu’ ils
s’y preflent l’ un l’autre, & y forment des plis
de chair qui s’uniflent à ceux du front. Dans
ce caraélère, la prunelle égarée , étincellante ,
fera cachée en partie fous les paupières eqflées
& comprimées par les fourcils. Les narines, plus
ouvertes qu’ à l’ordinaire , s’élèveront d’une mar
niè.re fenlible tandis que le bout du nez y
agiflant contradiéloirement avec elles ,. paroîtra
fe porter en bas. Les mufcles , les tendons , les
veines du vifage fe gonfleront à l’excès / la
bouche fera moins ouverte par le milieu que
par les côtés qui s’ élargiront quarrément ; la
levrë fupérieure fera plus grofle oc plus renver-
fée que l’ inférieure.
Tels font les traits qui cara&érifent le corps
dëss principales pallions : expofons ce qui doit
en rendre l’efprit.
De même que le compofiteur en mufique -9
après avoir écrit en notes le corps du chant
qu’ il invente , en infpire au muficien l’ efprit
qu’ il ne iauroit noter ; tel le deflinateur, aux
traits & aux formes qui préfentent le corps de
l ’ expreflion, ajoute les teintes & le clair-obfcur
qui lui donnent l ’efprit. Ce n’ eft qu’ à l’ aide
! d’ un fentiment délicat qu’on peut fa ifir, d’après
le naturel, les di ver fes nuances de cha*v
leur ou de lividité dans la couleur ; de légèreté
ou de vigueur dans les lumières , dans les
ombres , & la finefle ou la fierté dans les touches
que la pajfion occafionne.
Le même principe qui poufle les efprits dans
les mufcles , porte auffi dans leurs veines un
plus grand volume de fang. Toute partie qui
fouffre une pareille irritation , en devient plus
colorée ; par laraifon du contraire, celle d’où
le fang fe retire pour fe porter au coeur en dévient
plus livide.
De la combinaifon de ces deux nuances, ré-
fuite l’ ame de l’ expreflion. S’a g it-il d’ un mouvement
de triftefle , où le fang fe concentre
au fond du coeur ? Une lividité générale fe
répand fur la phyfionomie de Didon expirante ,
ou d’ Artémife buvant les cendres de Maufole.
Leurs levres font dépouillées de leur incarnat,
leurs joues pâliflent, leurs yeux feuls, noyés de
pleurs , fe reflentent de cette rougeur qu’occa-
fiohne l’ irritation des glandes lachrymales. La
nature aft’aiflee paroît dans un anéantiflement,
dans un dérahgemejment total* La couleur fe
p A s
porte où elle û’a pas coutume d’ être ; elle abandonne
les parties qu’ e lle a coutume d’ embellir.
Dans les expreiiions violentes , où le coeur
gonflé rétrécit les pafl’agés du fan g , 8c le force
à féjourner avec plus d’abondance dans les endroits
où il fe porte; naturellement, une chaleur
enflammée dominé dans prefque toutes les
parties &Vé ie v e jufques dans le blanc des yeux.
T e lle eft la fituation d’HercuIe qui fe brûle
fu r ie bûcher, ou d’ Anthée qu’ Alcide étouffe.
Mais tandis que les parties fupérieures deviennent
plus fanguines oc que les inférieures con-
fervent un ton de lividité , celles du milieu
prennent une teinte roussâtre qui tient de la
nuance des deux autres.
Une paillon forte & qui fb fait violence ,*
telle que celle de Mithridate arrachant le
lecrec de Monime , retient-elle le fang dans
le coeur, 8c ne lui permet-elle d’ en fortir que
difficilement ? Une pâleur générale fe répand
fur la face du Prince diflimulé. I l n’ eft coloré
que par les teintes verdâtres d’une bile extra-
vafée qui , fe mêlant aux tons dès parties ar-
rofées d’ une petite quantité de fang , portent
dans les yeux une pâleur jaunâtre qui peint
énergiquement la jaloufie 6c la terreur. Le
Roi de Pont a -t-il pénétré le fecret ? I l changé-
de vifage. Le trouble, la fu reur, le défefpoir
l ’ont fubitement couvert des teintes les. plus
enflammées. La pâleur & la lividité ne font
répandues qu’ autour de fes yeux 8c fur fes
le v re s : tel eft le.jeu des pallions violente».
Dans les affeétions douées, la fraîcheur des,
teintes ne fouffre prefqüe' aucune, altération ;
il eft même des nuancés qui en deviennent
plus éclatantes. La pudeur d’ une Véftâle.colore
fes joues 8c fon front d’un v if incarnat, & fi
les levres pâliflent, ce n’ eft que pour rendre
le ton général plus vermeil. Le defir , l ’ efpétan-
ce répandent plus dé 'vivacité dans les yeux ;
le chryftal de la lymphe en devient plus n e t ,
& le vifage entier fe couvre d’ une teinte plus
animée. Telles font les couleurs qu’impriment
fuccëfiivement fur le front de Suzanne , inful-
tée & calomniée , les divers mouvemens qu’éprouve
fon innocence.
Par ces images , on fent avec quelle énergie
les divers modifications du coloris prêtent l’ èf-
p rio& Pâme aux pajjîons. Joignons à ces nuances
celles du clair-obfcur. Ménageons des lumières
douces , des ombres tendres, aux expref-
fions agréables; rêpandôns-y des demi - teintes
fuaves; de beaux reflets, & enrichiflbns les d’un
moelleux convenable à la fituation d’ un coeur
heureux, d’un efpritfatisfait. Renaud & Armide,
Acis & Galathée, Vénus & Adonis ieront peints
dans ce goût. ' '
Portons âu contraire la vigueur des bruns &
le piquanç des clairs fur cette phyfionomie qui
préfente le cara&ère de la férocité 8c de la rage ;
P A S '
telle eft la barbare Médée ; tel eft lé furieux
Ajax. Que des lumières aiguës pétillent fur les
convexités de leur front ; qu’ une mafle obfcura
couvre l’ enchâflement de leurs y e u x ; que ces
ombres fières , contribuant à faire fa illir les
parties de leur-tête , en articulent quarrémenc
les os 8c en prononcent les principaux mufc.es.
Ces exagérations railbnnées retraceront la violence
des caraétères 8c les convulfions du coeur
qui en eft affè&é.
Les diverfes nuances de couleurs & de lu mières
ont elles rapproché,l’expteflion du degre
d’excellence que nous ambitionnons d’arteindre l
Les touches vont l’ y conduire avec fuccès.
Portons-lesiavec enthoufiafme dans cette phy*.
fionomie fouffrante de Prométhée ou de Mar*»
fyas. Ranimons d’ un ta& h a rd i, ferme , v igoureux,
ces formes fiéremen:prononcées<Qu’ un
crayon emoufîe écrafe d’ une part la fangtiine
dans ces mafles d’ob 'eu r, que de J ’aucre i l porté
une craie éblouiflante fur le reluilant des con-r
ve xités; ou, qu’un pinceau nourri de .couleur
laifle. partout des traces du feu qui l’anime ;
qu’ un ébauchoir favamenttéméraire-creufe a v a n t.
dans l’ argile, fouille fous les membres ifolés & les
détache habilement du fond.
Mais qu’une touche délicate & précieufe jette
un iaél fin & fpirituel dans le cara&ere de
cette jeune Aglaë,* que ce taél ménagé ayec
intelligence forme avec précifion 8c avec, goût
les parties qu’ il embellit,* qu’ il l’oit fondu dans
la pâte-du crayon & de la couleur, dans l’ argillo*
même & qu’ il foit partout; relatif, au-cara^ere
de T o bje t'qui le reçoit : hardi, large dans les
mafles de cheveux, dans tous les ornemens de
la.coëffure ; fin & fpirituel au coin des y e u x ;
reflenti, vigoureux à l’ endroit du nez ; doux
& gracieulement lâché aux coins de la bouche/
répandant partout la vérité de l’ expreflion , les
richjefîes de l’art & le précieux de la na-,
ture.
U eft donc cinq moyens effentiels qui concourent
a l ’expreflion d’une tête : i ° . le bel
en'femble,* z°. les divers traits que la paflion
imprime fur le vifage / 3 ° . les variétés des tons,
qu’elle y jette/ 40. les nuances de lumières
d’ombres que l’on dit y porter ; 50.. la convenance
des touches dont il faut l’ aflaifonnér.
Ces deux derniers moyens, ainfi que le. pre-^
mie r, dédommagent la fculpture des feflburce,s
du, coloris, qu’elle n’a pas. Le Taillant réel de$»
objets, la fierté des touches, qui entrent phy—
fiquement dans l’a rg ile , font les équivalent
de la couleur locale. Leurs effets ne font pas
moins énergiques. E ft-il de tableau qui peigne-
une expreflion plus vivement que le marbre du
Laocoon ? >
Mais »n travaillant à l’ expreflion , craignons
de tomber dans, le .vice, des grimaces qui ne-
font que des exagérations maniérées. On afs.
1 H h h h . i]