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C abinet, cabinets de tableaux.
Un Cabinet de tableaux C\gnifie une collection
d’ouvrages de Peinture ; & l’on fe fert de cette
dénomination, quand même la collection rem-
pliroit un palais. Certainement lorfque cette
expreffion s’eft établie , la prétention & .le faite
n’exiltoient pas à cet égard autant qu’ils exigent
•aujourd’hui. J e me tranfporte aux tems peu éloignés,
où les Arts ont commencé à fleurir, & je
me repréfente un homme , ami des Arts & lié
avec les plus habiles Artiftes de fon tems qui, fur
ion fiiperflu ou fon économie, à l’aide de fes con-'
noiflances & de les foins, parvenoit à réunir un
certain nombre de tableaux de maîtres recommandables.
Cet homme ne difoit point: je pof-
sède une collection fuperbe. Il difoit fîmplemënt:
j ’a i un cabinet qui renferme quelques bons
tableaux. On imita cet homme ; car l’imitation
de quelq.u’efpêçe qu’elle (bit, eft naturelle à
l ’homme & habituelle parmi nous. Bientôt on pût
citer plu fleurs collections ou cabinets de tableaux
, & la diftinCtion qu’on accorda à ceux
qui en étoient pofTeffeurs , ep augmenta bientôt
le nombre. Ce qui eft aflèz fîngulier-, c’eft qu’à
me fur e que les faifeurs de collerions ont rempli
des appartemens vaftes d’un nombre confldérable
d’ouvrages de Peinture, la vanité ait daigné conr
ferver encore la manière de s’exprimer , qu’em-
floya d’abord la modèftie.
L a plus ample collection s’appelle donc encore
cabinet , & cette dénomination eft en üfage pour
un grand nombre d’objets curieux & feientifiques.
On dit un cabinet de livres , mais plus ordinairement
une bibliothèque. On qualifie de cabinets
les collections d’objets qui ont rapport aux médailles
, aux deffins, aux eftampes, aux fciences,
à l’hiftoire naturelle.; & pour fuivre l’hiftorique
de cette dénomination qui s’eft étendue & ;a jetté
des branches aflèz remarquables , les Joueurs de
gobelets & les Charlatans , que l’intérêt & une
forte de vanité, qu’ils n’avoient pas autrefois,
portent à fe rapprocher des Sciences & des Arts,
appellent cabinets de Phyfique & laboratoires
les endroits où ils attirent le Public, & où ils
tirent partie de la curiofité par l’adrelfe & le pref-
tige. Cette dénomination eft un nouveau moyen
du Charlatani(me , & ce moyen une, forte de familiarité
qui rapproche trop les Siences, ainfi
que les Peaux-Arts, des artifices qui n’ont pour
but que le vil intérêt. Au refte , le rapprochement
des charlataneries & des fciences naît de ce
que ces dernières étant exercées plus généralement
qu’elles ne l’étoient, excitent davantage à
en tirer parti, & à chercher , furtout dans les
nouvelles découvertes, des moyens d’opérer quel-
C
ques effets extraordinaires , dont les Charlatans:
adroits & d’une claffe moins obfcure qu’ils n’é-
toiént, lavent tirer avantage. Les fàvans dédaignent
les inconvéniens qui réfultent des approximations
ou plutôt des méfalliançes dont j.e viens
de parler ;& ces inconvéniens pafîàgers ne peuvent
en effet être bien dangereux , à moins que les
adminiftrateurs & les hommes puiflàns ne fe permettent
trop de les favorifer.
- Les hommes d’Etat, plus inftruits des affaires
importantes d’adminiftration, que des Sciences
& des Arts , font difpofés à être trompés , même
en raifbn de leur zèle pour le bien public ; & l’on
peut penfer qu’ils font à cet égard comme les
parens affedionnés, toujours prêts, lorfque leurs
enfans font malades, à croire, vrais les miracles
dont fe vantent les gens, qui en font le moins#
Pour revenir aux cabinets de tableaux & à ceux
qui en tirent vanité, leur relation avec le char-
latanifme confifte , en ce que d’une part l’an
trouve dans plus d’une collection moderne des
tableaux apprêtés , repeints, déguifés , parés, pour
les faire croire meilleurs qu’ils-ne font; & d’autre
part, dè ce que les pofTeffeurs , dans leurs éloges
exagérés, parlent trop fouvent le langage dont
nous rions , lorfque par hazard nous l’entendons
dans les places publiques.
L’influence qu’a le charlatanifme des cabinets,
fur le goût national n’eft pas difficile à appér-
cevoir. Pcemièrement, ces. colledions , compa-
fées fans connoiflànce & par prétention, font peu.
utiles aux Artiftes confommes , & elles trompent
ceux qui manquent de lumières. Les colledions
de cette efpèce ne font donc bien réellement favorables
qu’à l’intérêt des marchands, qui y font
paffer fuçceffivement un grand nombre de tableaux
dont ils tirent parti, & à la vanité de&
pofleffeurs , qui font portés à rendre leurs collections
d’autant plus riches en nombre , qu’ils le
font moins eux-mêmes en connoiflànces*
Si les cabinets étoient formés comme ils de-
vroient l’être , ils réuniroient, par rapport aux
Arts & au goût, les avantages infiniment précieux:
dont quelques-uns joliiffent à juftë titre; car rien
n’eft plus capable de donner des idées des genres ,
des manières, du mérite des differens maîtres y & par conféquent de l’Art en lui-même, que de
pouvoir, fans fbrtir du même lieu , comparer un
grand nombre de chefs-d’oeuvres ; .d’ailleurs rient
de plus avantageux pour la confervation de ces
chefs-d’oeuvres, que les foins auxquels ceux à
qui ils appartiennent s’engagent par varrité même
avec le Public , qui , venant juger lui-même de
ces foins , fait l’éloge des polfefîeurs les plus attentifs
à les remplir.
Les cabinets de tableaux , tels que je les
fuppofe , ceux dans iefquek on n’admet
point d’ouvrages incertains , altérés', dégu.fés
& que les pofTeffeurs ouvrent non-feulement
âUX Artiftes , mais à tous ceux qui veulent
réellement s’inftruire , fans acception d’état ,,
les colledions enfin , où l’on afltmble ,& l’on.
rapproche avec une forte de méthode les
beaux ouvrages , deviennent donc , pour les Arts
& pour la nation, des écoles , dans lefquellesles
amateurs peuvent prendre des notions, les Artiftes
faire des ôbfervations utiles, & le Public
recevoir quelques premières idées juftes. Les pof- '
fefïeurs des cabinets formés fur ces principes,
ont certainement droit à la reconnoiflance publique
& à l’intérêt particulier de tous ceux qui
s’occupent des talens. C’eft au fil , lorfque les
collections font telles que je les fuppofe , qu’elles
fubfîftent& paffent de génération en génération,
tandis que les colledions nombreufes & imparfaites
deviennent en peu de tems à charge même
à ceux qui les font, foit par le prix qu’ils font
infenfiblenient obligés d’y mettre & les tromperies
qu’ils éprouvent, foit par l’embarras que le nombre
feul leur donne. Aufil les poiieifèurs , privés
de l’efpérance que leurs héritiers puiflent fe
charger d’un mobilier confldérable, dont la
valeur eft douteùfe , s’en dégoûtent & s’en défont
fouvent, comme on fe «débarrafTe d’une fociété
mêlée qui s’eft augmentée au point de devenir
infiipportable, même à celui qui l’a raflemblée fans
choix. Que les vrais Amateurs , ceux qui veulent'
s’inftruire en jouiflant, & donner lieu aux autres
de jouir ën s’inftruifant, fe rapprochent donc le
plus qu’il eft poffibië , en formant leurs colledions,
des Dremiers cabinets y qu’ils, donnent au choix
ce qu ils facrifient. trop fouvent au nombre ; mais
pour cela il faudroit, qu’oubliant les prétentions
infpirées. par le luxe , par des imitations & des
inftigations pernicieufes , ils euffent plus de confiance
dans les Artiftes éçlairés , que dans ceux
que l’intérêt pécuniaire excite à tirer fans cefle
parti de la crédulité, de l’ardeur de pofféder &
du défaut de çonnoiffances#
C A LQ U ER & C A LQ U E . L ’opération qu’on
défîgne par le mot calquer, eft celle par laquelle
on fait palier, en_ quelque façon , mécaniquement
le trait d’une figure ou de quelque partie -
d’un deffin ou d’un tableau , fur un papier , fiir
un vélin, fur une toile, &c. Cette opération fe
fait par piufîeurs moyens ; & quoique naturellement
ce détail appartienne à la fécondé Partie
de ce Didionnaire, où il en fera encore question
, je ne me refuferai pas à en dire ici quelque
chofe, parce que là facilité mécanique quei
préfente l’opération de ca lquer, eft affez Souvent
mile en ufage par les perfonnes qui, n’ayant
point de connoiflances' réelles & manquant de la
facilité de deffiner, croient fuppléer à ce talent-
B eau x -A rts, Tome h
indifpen fa'oië dans tous les Arts du deffin., fans
fe donner la peine de l’acquérir.
L a manière la plus commune de calquer un
deffin, ( & je me borne à ce- détail ; ) eft de frotter
le revers du papier fur lequel il eft fa i t , de
fànguine en poudre, ou de mine de plomb
Lorfque ce revers eft rougi, ou noirci és^^ZT ic
par-tout* ; lorfqu’on l’a effu.yC; légèrement pour
ôter le fuperflu de la fànguine ou de la mine
de plomb, on affujettit, avec de la cire ou des
épingies, le deffin fur une feuille de papier, de
manière que le côté empreint de crayon rouge
ou noir foit appliqué fur le papier blanc ; enfuite ,
avec une pointe de métal ", qui doit ne pas être
coupante , on pafTe, en appuyant autant qu’il eft:
néceffaire, fur le trait qu’on veut calquer. Alors
l’empreirite du crayon , dont eft couvert le revers
du deffin , fe trouvant preffée dans le pafïàge de
la pointe' fur le papier blanc , y laiffe une trace ,
ou te qu’on appelle un calque ; & ce trait calque
eft plus ou moins exad , plus ou moins fpirituel,
enfin, plus ou moins utile en raifon de ce que
celui qui calque a de connoifîanGe & même d'habitude
acquife de l’Art du Deffin,
Les dernières lignes de cette explication , que
j’ai rendue la plus claire qu’il m’a .été poflible, me
conduifent naturellement aux notions que ie def-
tine ici à ceux qui ne font pas bien inities dans
les Arts, & qui par conféquent ont de fauffes ou
incomplettes idées fur ce qui a rapport à leurs
diverfes pratiques. En effet , combien de jeunes
gens , d’hommes du monde , de perfonnes même
qui ont ie but de ;s’occuper des Arts , font dif-
pofés à penfer qu’en calquant , auffi exadement
qu’ils le peuvent, un contour, un trait ; ce contour
ou ce trait fe trouvera fèmblable à celui
qu’ils veulent reproduire , & qu’ils n’auront plus
qu’à imiter les ombres pour avoir doublé l’original
qu’ils cherchent à copier ?
Cependant on d o itp o u r les détromper & les
inftruire , leur dire ici avec franchife, que ce traie
mécanique qu’ils obtiennent par une opération dont
la jufteflè leur paroît d émontré en’a & ne peut
avoir de mérite qu’en proportion du talent que pof^
sède celui qui le forme ; de manière que fl celui qui
calque n’a nulle idée & nulle habitude de deffiner,
Con calque atteftera fon incapacité, & lui fera
d’autant moins utile , que cette incapacité de
deffiner le trait annonce celle qu’il doit avoir de
■ répartir les ombres & les lumières, & de les indiquer
en formant arec le crayon des hachures
convenables & tracées dans l’ordre qu’il eft né-
ceflaire de fuivre. Il faut donc que le copiffe qui
calque, foit capable d’imiter fànst calquer le
deffin qu’il veut copier, au’moins jufqu’à un certain
point d’exaâritûde. Il faut par conféquent
qu’il foit en état de fentir les formes relatives
aux contours, les raifons qui ont fait placer &
prononcer les touches, qui ont fait adoucir légé—
reiaent & fufpendre , pour ainfi dire, le traie
M.