
public chez cette nation favorUee de la nature,
le montroit le plus ordinairement bon juge de
leurs talens.
Nous n’avons ni autant d’occafions, favorables
d’ employer-Part du decorateur ; ni autant
de penchant pour ces objets, ni généralement
autant de connoiflances & de goût naturel
pour en décider , que les Italiens. Et c’eft
par ces raifons que nos décorateurs, la plupart
artiftes d’ un rang inférieur , ont un
grand afeendant fur cette partie de l ’art. Ils
établirent fouvent des modes que nous fuivons ,
& ces modes qui régnent un certain tems ,
& fe répandent fur le caractère, des décorateurs
en tout genre font place à d’autres| lorf-
qu’ elles ont enfin occafionné la fatiété par
le mauvais & exceflif emploi qu’on en fait.
Nos architeéles ont cependant une grande influence
& ils doivent l’avoir en effet fur les
décorateurs puifqti’ils le font par état. Auffi
dans leur nombre, qui s’accroît avec excès ,
ceux qui font eux - mêmes à la vogue , décident
le caractère général de çe> qu’on appelle
décoration , & difputent le plus fouvent avec
avantage aux fculpteurs 8c aux peintres décorateurs
, le droit de faire regner quelque
nouveau g oû t, lorfque ce goût a éveillé l ’attention
du public & qu’ il a eu quelque fuc-
cës foit parce qu’ il a été employé à propos
ou pour quelqu’ un de ceux que l’on s’ efforce
le plus d’ imiter. On ne voit plus que décorations
du même genre , quels que foient les
objets qu’on décore ; mais avec cette malheu-
reufe deftinée, que fi le fimple eft le goût dominant
, ce qu’ on appelle en terme d’art le
pauvre , fe fubftitue bientôt. à la belle fim-
plicité ; 8c que fl l’on fe décide .pour des
ornemens plus recherchés & plus rich e s, ce
goût ne tarde guère à fe montrer généralement
exagéré, furchargé, défordonné, relativement
aux convenances , foit des chofes , foit des di-
menfions , foit des perfonnes qui en font ufage.
On pourra obferver que cette deftinée - eft
parmi nous commune à une infinité d’objets
de plus grande importance : mais pour être
ju f t e , il faut confidérer aufîi, que cette facilit
é ou plutôt cette flexibilité de caractère qui
noirs entraîne à des erreurs, tient .à des qualités
qui nous procurent des dédommagemens :
& d’a illeu rs , il en réfùlte au moins, qu’il
feroit facile de diriger le goût national vers
c e qui eft véritablement bon, fi on en avoir
le projet médité , & qu’ on penfât d’après des
connoiflances profondes, que le bon goût des
arts , dans une nation qui fembie deftinée à
les exercer avec un fuccès prédominant , influe
beaucoup plus qu?on ne le croit fur toutes
les autres idees , même morales , dont elle eft
tufceptible, ainfi que fur la. richeffe., & fur
la gloire nationales.
Pour revenir plus immédiatement au fujët
de cet article , les architeétes font donc généralement
parmi nous, les arbitres del à décoration
,* quoique l’art du décorateur exige,
a beaucoup d’égards , plus de connoiflances
théoriques & pratiques de la peinture, que
de l’architeéhire>; 8c quoiqu’il foit bien plus
difficile de trouver parmi nos artiftes des architectes
, peintres & fculpteurs que des peintres
& des fculpteurs bien inftruits de l’ar >
chiteélüre.
Il doit naturellement réfulter de ce que
je .viens d’expofer , qu’il n’y' a pas aujourd’hui
parmi nous aflez d’union , entre trois
arts , qui demandent pour leur plus grand
j intérêt & l’avantage national , d’être intimement
liés. Ge font trdis freres , qui de-
■ vroient'fe croire jumeaux, & parmi lesquels
aucun ne devroit affeéler de droit d’ainefle &
encore moins la prétention à réduire les
autres ? à une étroite légitimez
Au refte , ce que j’obferve n’exclut pas
les juftes exceptions qui 1 ont lien pour des
talens abfolument diftingués , quels qu’ris
foient ; mais il eft impoffible de ne pas convenir
que , fl les jardins même (patrimoine- <
naturel des peintres ) leur ont été autrefois;
enlevé par des architectes , on peut craindre-
qu’ils ne traitent pas toujours en freres les
peintres & lés autres artiftes. Il eft bieiï
vrai qu’ils ne peuvent s’en pafler abfolument*^
mais il dépend d’eux de leur préparer desf
occafions oc des emplois-plus ou moins fré—,
quens, & plus ou moins avantageux à leurs:
talens. On doit fur - toutjes blâmer de ce qu’excluant
les grands genres d’ouvrages de peinture,, ;
ils abandonnent au détriment de l’art, les.
embell iflemens à de fubalternes décorateurs^r dont un nombre aflez confidérable pourroit
être appellé artifans de p ein tu re, de fcu lp -
ture & de décorations; ouvriers qui n’ont guorer
pour bafe de leur talent , que des routines
d’iattèliers, 8c *une forte de méchanifme.
Nos théâtres ont fouvent donné des exemples
de ce déplacement- de talens y cependant
on fe rappelle encore d’avoir vu dès artiftes-
acquérir une réputation juftement célèbre ,
comme décorateurs. Servandoni, de no^ jours , illuftra ce ta- ■
lent ,- dont la première bafe étoit en lui le-,
génie y ce guide l’avoit initié dans tous les
arts qui ‘ dévoient , pour fes fuçcès. ,
prêter de mutuels fecours : cependant, quoique
ce foit principalement comme décorateur qu’il eft parvenu à la célébrité, le porche*
féal de S„ Sulpice & plufieurs tableaux l’ont
fait connoître, autant comme peintre architecte
, que comme architecle-décorateur , employant
des peintres 8c des machiniftes.
Ce que je me fuis permis de dire avecz
impartialité dans ces obfervations, éft à l’u-
fage de tous ceux qui voudront avôir quelques
notions de ces objets -, ce que je vais
ajouter , -eft plus particulièrement propre à
ceux qui font deftinés à pratiquer la peinture.
.
A u x j e u n e s É l e v é s .
Vous qui , pour la plupart , montrez en
entrant dans votre carrière , les defirs les
plus vifs de vous y diftinguer,’ que n’employez
vous cette efpece de furabon dance, d’é-
snulâtion 8c de zèle qui vous dévore, à vous
enrichir de la connoiflance des arts , que
j’appellerai limitrophes ; parce qu’ils fe touchent
8c fouvent fe pénètrent ?
Un voyageur jeune , ardent, plein de vigueur
8c d’envie de s’inftruiré , ne parcourt
guère fon pays , fans faire des excurfions dans
les pays qui l’avoifinent.
Dans vos tems de; loifir, dar.s lès heures
moins eflèntielles ou moins favorables à vos
principales ' études, que ne vous eflayez-vous
a faire des plans de conftruClions , & à élever
fur ces plans des décorations, dans lef-
quelles vous trouverez l’emploi du génie pic—
torefque qui vous pofsède & vous tourmente
? Quoique vous ne vous deftiniez pasàla fculp-
ture, modelez une tête do caractère, une figure,
ou un grouppe, quand ce ne feroit que pour
connoître la différence qui exifte entre la
compofition des objets qu’on doit voir.de
tous les côtés, & la repréfentation de ceux
qui ne fe montrent que d’un feul -, quand
ce ne feroit que pour avoir'une idée palpable,
fi j’ofe m’exprimer ainfi, des p la n s, des fu r-
fa ces , des méplats y des effets du relief. Inftruifez-vous encore , à titre de curiofité,
des opérations méchaniques de ces arts. Si
vous vous trouvez un jour à portée de vous
procurer une retraite, foit à la ville, foit à la
campagne , pourquoi n’auriez vous pas la jufte
prétention de la bâtir, fans avoir recours aux
architectes ? de i’orner de ftucs, comme vous
l’ornerez de peintures ? Cette prétention eft
auffi louable dans un peintre, qu’elle eft ridicule
dans .un homme étranger aux talens
dont il ne connoît que les noms, & qui croit
que d’un inftant à l’autre , à l’aide de l’efprit,
de quelque indaftrie & de quelque facilité
d’intelligence , il fera dans les arts & dans
les fciences tout ce qu’il voudra devenir.
Suppofez quelquefois que vous pouvez vous
trouver feul d’artifte dans un pays, dans une
ville, où fe rencontreroit l’occafion de célébrer
une fête publique ou de faire un monument.
N’auriez-vous pas quelqu’embarras 8c
même quelque honte., lorfque les magiftrats
s’adreflant à vous, vous remeitroîent ce foin,*
perfuadé qu’étant un artifte diftîngué, tout
les arts du même genre vous doivent être
connus ? Je vous apperçois acceptant l’emploi
qu’on vous donne, je .vois le regret que vous
éprouvez d’avoir négligé des études qui vous
atiroient été -faciles -, je démêle votre embarras
intérieur, qui renaît à chaque inftant, parce
que vous connoiffez à peine les juftes proportions
des ordres , que vous n’avez que des idées
confufes de l’emploi qu’on en peut faire 8c
que vous ignorez prefqu’entièrement les opérations
& les pratiques néceflaires , foit pour
établir des élévations , foit pour modeler &
mouler à la hâte , des ftatues & des fçulptures
en cartonage , foit pour faire feulement dref-
fer convenablement à vos idées, les charpentes
& les alfemblages fur lefquels vous projet-
tez d’établir des décorations. Qn’arriyera-t-il ? A l’aide de ce que votre
talent vous a donné quelques notions vagues,
d’intelligence 8c d’adrefle, vous vous efforcez
d’inventer ou de deviner ce que vous vous repentez
de ne pas fa voir , & vous rifquez par
l’ignorance des connoiflances théoriques &
memes pratiques, que vous'auriez pu facilement
acquérir, de vous montrer fort inférieur
à ce que vous êtes.
Je ne prétends pas cependant vous infpirer
la prétention d’être Michel-Ange , Raphaël &
Palladio , quoique chacun des deux premiers
de ces artiftes ayent eu des droits reconnus à
la réputation dans les trois arts *, mais je vous
exhorte à étendre vos, connoiflances dans- les
talens divers qui tiennent à celui que
vous cultive?, plutôt pour en tirer des avantages'
pour votre art lui-même , que pour en
prendre occafion de vous livrer à une vanité
toujours blâmable.
Compofez dans des momens perdus, paramu«
fement ,• par défi , par la curiofité de fonder
votre génie, des projets de monumens , des
décorations de fêtes & de théâtre : modelez
quelques grouppes que vous .aurez compofés
pour les peindre; moulez, réparez, fondez pour
bien connoître , 8c pour ne pas perdre de
vue comment fe font toutes ces opéraitons.
Vous ne concevrez qu’en l’éprouvant, combien
ces exercices de furérogation ajoûteront
à votre facilité , étendront même votre
génie.
Vous fentirez l’avantage de pouvoir com-
pofer vos fonds, en les.enrichiflant de fabriques
nobles 8c de monumêns majeftueux ; vous
vous applaudirez de favoir décorer fous-même
lès intérieurs des temples , des palais où vous
placerez les fcènes de vos tableaux, fans ap-
peller à votre fecours quelque jeune architecte
, qui , tout en traçant fes lignes fur
yotre' toile , prendra , parce que yous ave?