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prenant fous le bras, en forment le foutîen , lui
donnent une grande étendue dans le tableau
8c font fuir les figures qui font derrière.
Mais fi le grouppe n’étoit compofé que de la
femme , de la mère & de fon enfant, fi n’ayant
pas d’ autres figures pour fupport , il étoit feu.1
oppofé à la figure de Moyfe 8c aux autres qui
font encore plus reculées, il demeureroit fec &
ma ig re , & tout l ’ouvrage fembleroit compofé
de trop petites parties.
I l en eft de même de la femme qui tourne
le dos : elle eft foutenue d’un côté par le jeune
homme qui tient une corbeille , de par l’homme
qui eft à genoux ; & de l’autre tôté~ par les
deux figures qui ramaffent la manne , par l’homme
qui en goûte, & par la jeune fille qui en
reçoit dans fa robe.
L ’ effet de la lumière mérite d’être obfervé.
E lle fe répand confufement fur tous les objets.
I l eft aifë de reconnoître que l’aôion-fe paffe de
grand matin , parce qu’ on voit encore fur la fur-
face de la terre & au bas des montagnes un
refte de vapeurs qui y répand un peu d’obfcu-
rité & rend les figures moins apparentes. Cet
effet de clair-obfcur contribue à faire briller,
davantage les figures qui font fur le ^devant ;
elles font frappées des éclats de la lumière qui
fort par les ouvertures des nuages que le peintre
à ménagées exprès pour autorifer les jours particuliers
qu’il diftribue fur différentes parties de
fon tableau.
I l a même affe&é de tenir l’air plus fombre du
côté où tombe la manne -, & de ce côté où l’air
e ft plus obfcur les figures font plus éclairées que
de l’ autre côté où l ’air eft plus ferein. I l a employé
ce moyen pour les varier toutes auffi bien
dansles effets de la lumière dont elles font frap-
f>ées que dans leurs actions, & pour donner une
plus agréable diverfité de jours & d’ombres à
fon tableau.
Nous reviendrons fur cet excellent ouvrage
de l’ art à l’article Expreffion , pour prouver que
les expreflions de toutes -les figures concourent
ù l ’expreflion générale qui doit animer la com-
pofiiion. ( A rtic le de M. L e v e sq u e . Tous les
articles précedens fo n t de M, j^ a t e l e t ) . •>
C O N FU S , CONFUSION. Les objets font
confus dans un tableau, quand ils y font mal
adroitement multipliés , quand lefpeâateur ne
peut fe rendre compte du plan qu’ ils occupent,
quand les lumières mal-entendues, mal diftri-
.buées ,mal dégradées, égarent la vue fur toutes
les parties du tableau fans l’ appeller à l’objet
dont elle doit principalement s’occuper , quand
enfin le ton de ce qui doit s’avancer ne fe dé-
' tache pas de ce qui lui fert de fond. Â in fi, la
confufion peut être quelquefois un vice de com-
pofi: ion, oc quelquefois un vice de clair-obfcur
8c de couleur.
On peut en général pofer pour principe que la
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multiplicité de figures dans un tableau y apporte
moins de richeffe qu’ elle n’ en trouble la com-
pofition, & caufe plus de diftra&ion que de
plaifir au fpeclareur. Notre attention eft bornée
•, elle peut fe fixer fur une figu re , fur un
grouppe -, elle fe relâche fi l’on veut la promener
fur un peuple entier. L’art a des moyens de
fuppofer une foule , en ne montrant qu’ un petit
nombre de figures. Si l’on en repréfente un
grand nombre , il faut du moins qu’ un feul
grouppe domine , attire , retienne le fpeâateur,
tic le rappelle encore quand il veut le quitter
pour des objets fubordonjiés.
I l eft des fujets qui ne fe prêtent pas à ce
principe , & qui exigent un grand nombre de
figures fans permettre de les groupper : ces fujets
font v ic ieu x , & n e doivent jamais .être du choix
de l’artifte.
Ce n’eft qu’aux grands coloriftes qu’il peut
être permis de multiplier les objets dans leurs
compcfitions : ils ont toujours des reffources
pour les empêcher d’être confus. Rubens en a
donné des preuves ; mais les artiftes plus attachés
à la beauté & à l ’expreflion qu’ au preftige
de la couleur tic à cette fougue de compofitîon
qui ne peut s’accorder avec leur fageffe , doivent
fe contenter de commander à notre admiration
par un petit nombre de figures.
On trouve dans Pline un pafl'age qui femble
embarraffant : Appelle , d it- il, cédoit à Am-
phion pour la difpofttion , tic à Afetépiddore pour
les mefures, c’ eft-à-dire, pourladiftance qui doit
fe trouver entre chaque objet : Cedebat Amphio-
ni de difpofitione , Afclepiodoro menfuris, hoc ejl
quanto quid à quo dijlare debet. L. 3 j , cap. 1 0 ,
feél. 1 0 .
Ce paffage n’ eft difficile que parce que nous
voulons l’ expliquer par les principes de conj-
pofition des modernes. Quelle eft en effet cette
diftance qui doit fe trouver entre chaque objet
lorfqu’on nous recommande de groupper tous
les objets, de lier tous les grouppes entr’eux ,
d’éviter ce qu’ on- appelle des- trous dans le langage
de l’école ? Mais f i , comme nous efpérons
le prouver ailleurs , on peut juger de la com-
pofition des tableaux des anciens par celle de
leurs bas-reliefs, les peintres grecs ne cher-
choient pas moins à détacher que nous cherchons
à lie r , à groupper. Bien plus attachés à
la pureté du tra it, au choix exquis des formes
qu’ à la grande machine de la compofition qu’ ils
ne connoiffoient même pas , & à l’ expreflion
qu’ au preftige de la couleur , ils recherchoient
curieufement tous les moyens que l’art pouvoit
leur fournir de développer tic de détailler chaque
figure. Ils n’auroient pas confenti comme nous
à perdre des parties confidérables d’une figure
en les cachant derrière celle qui l’avoifine.
Soigneux de tout étudier, ils ne vouloient fa-
criner aucune partie, de leurs études. Nous de-
Tons
refis donc entendre par le paffage de Pline
qu’Afclqpiodere l’ emportoit fur Apelle par la
jufte diftance qu’ il ménageoit -entre chaque figure
, diftance peut-être variée avec un a r t ,
une intelligence à laquelle il étoit difficile
d’atteindre. Dans un grand nombre de bas-
reliefs antiques les figuresfont fort éloignées les
unes des autres , & l’on ne peut gueres foupcon-
ner que les -auteurs de ces bas-reliefs aient
employé aucun art à ménager entr’ elles une
diftanee capable de plaire. Dans lanoce Aldo-
brandine, elles font plus rapprochées, plus agréablement
difpofées. Je croirois que l’auteur de ce
tableau a mieux connu que ceux des bas-reliefs,
en général, l’art des diftances dont parle P lin e ,
mais qu’ il n’a pas été cependant l’égal d’Afelé-
piodore dans, cette partie. ..
Tout éloignée qu’eft cette pratique de .celle
des modernes, ,& d e leurs principes de compo-j
fition, on peut préfumer que RaphaëL, le Dc-
miniquin, le Poulîlnfe font quelquefois accordés
avec la méthode d’Afclépiodore. ( Article de
M . T e v e s que ) .
CON N OISS AN CE , ( fubft. fém. ) Ce mot,
dans la langue des A r t s , eft pris pour la faculté
...de s’y connoître. I l y a deux fortes de !
: connoijfdnces : l’une que j ’appellerois intellec- :
tuelle, & l’autre matérielle.
Par la connoijfance intelleéluelle, on apper-
çoit fi l’ouyrage eft bon ; par la connoijfance
matérielle , on découvre , ou l’on croit décou-
‘ v r r r , quel en eft l’Aûteur.
La connoijfance intellectuelle dépend en partie
de l’ intelligence naturelle, tic s’ acquiert en
partie par l’étude de l’Art : la connôijfinee matérielle
dépend entièrement d’une longue com-
paraifon d’ un grand nombre d’ouvrages de dif-
férens Maîtres.
Connoître fi l’ attitude d’ une figure eft naturelle
ou gênée, fi cette figure n’ eft pas
eftropiée, cela dépend de l’intelligence nature
lle & de la juftene de la vue. Pour apperce-
'voir fi les expreflions font ju ftes , il faut de la
fenfibilité tic une grande attention à obfervèr
les changemens qu’apporte aux traits du vifage
la préfenee des diverfes paillons. I l eft aifé de
s’appercevoir fi un tableau appelle ou n’ appelle
pas , s’ il eft foible ou vigoureux de coiïleur ,
tic par conféquent s’il a de l’ effet ou s’ il n’ en
a pas. V o ilà , à-peu-près, julqu’où peut conduire
l’ intelligence naturelle dans la connoif-
fance de l’Art.
Pour connoître fi une figure nue ou drappée
eft bien deflinée, il faut avoir acquis la connoijfance
des formes de la Nature n u e , parce
que les principales de ces formes doivent fe
fen tir, même fous la draperie. Ce n’ eft pas
d’ un oeil diftrait qu’on apprend à les connoîtrè,
il. faut les avoir étudiées ayee l’ intention de.
j. B eaux-Art». Tom. I .
les imiter, ticpar conféquent avoir deffiné. Une
foible habitude du delfin ne donné qu’uiie
connùijfance très-bornée des formes. I l faut
donc avoir deffiné beaucoup pour être bon con-
noiffeur dans la partie du defiin : il faut encore
avoir fait une étude de l ’anatomie pour
ofêr prononcer fi le Peintre a bien rendu l’ action
ou le (repos des mufcles dans les divers
mouvemens J tic fi fous ,1a chair & la peau il
a bien exprimé la charpente offeufe, comme
il a dd .exprimer la forme des membres fous
la drapperie. r i >
U ne faut que des yeux pour voir fi un
tableau fait de l’ effet -, mais pour voir fi cet
effet e f t . jufte , fi les ;loix du clair-obfcur y
font bien obfervées, -iltfaut connoître le jeu
de la lumière, fur les parties qu’ ellë frappe ;
comment elle-gliffe. fur les parties les moins
Taillantes, comment elle fe dégrade en une demi
teinte à laquelle ifuçcède l’ombre qui eft
elle-même remplacée par le reflet -, quelle eft
la grandeur de là lumière, la grandeur & la
forme des ombres portées, fuivant la grandeur
du corps lumineux & fa diftance. I l faut fa-
voir encore que l’air couvre les objets comme
un voile dont l’épaiffeur augmente tic diminue
en proportion de l’ éloignement de ces objets»:
il . eft bien .à craindre que le connoiffeur, s’ il
n’ai aucune pratique de l’A r t , ne prononce bien
légèrement fur une partie qui exige tant de
théorie & de pratique.
S’ il a confidéré attentivement beaucoup de
Tableaux j je crois bien que , fans avoir, pratiqué
l’Art-, il aura acquis quelque connoijfanct
dans ce- qu’on appelle le beau maniement dit
pinceau. : mais je crains que cette connoijfance
ne lui foit plus dangereufe qu’wwle, tic ne l’entraîne
à de faux jugemens. Le beau maniement
du pinceau n’eft point une partie méprifable
de ce q u i, dans l’A r t , doit s’ appell-er le métier-
E lle témoigne l ’adreffé de l ’ouvrier; & , dans
les opérations des hommes, on aime à voir
qu’ elles ont été faites avec adreffe. Mais le
Peintre peut avoir été grand Artifte tic médiocre
ouvrier -, il peut même s’ être fait un Art de
cacher fa manoeuvre ; tic le prétendu connoif-
feur ne manquera pas alors de facrifier l ’Artifte
à l’ouvrier, a moins qu’ il ne foit éclairé dans
fes jugemens par quelque connoiffeur véritable.
Quant au coloris qui eft encore plus varié
que le nombre des Artiftes, puifque bien des
-Artiftes ont entièrement changé plufieurs fois
en leur yie leur fyftême de couleur, quel
parti prendra le connoiffeur qui ne s’eft fait
qu’une idée bornée de l’A r t , qui n’ en a pas
bien diftingué l’ eflence, les parties accefloires
tic les conventions-?, Ou il flottera dans l’ incertitude,
ou il fe fera un fyftême exclufif,
d’ après la manière particulière de fon Peintre
favori, '
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