
troupe d’autant plus indifciplinée qu’elle eft plus
fouvent ifolée de fes maîtres : voyons-les Ce mêler
dans des cercles, étrangers à leurs occupations
, dans les fociétés ou ils font contraints
d’abjurer le langage des A rts, ou dans lefquelles
ils font flattés fi mal-adroitement & avec tant
d’ignorance * qu’ils ne peuvent, fans rougir, s’approprier
l’encens qu’on leur prodigue.
Mais ces changemens dé (avantageux tiennent,
comme je l’ai dit , aux ufàges , au lu x e , à l’ef-
prit de perfonnalité, plus répandu que jamais, &
peut-être eft-il bien tard pour y remédier*
Les moyens que j’ai indiqués, en faifimt des
voeux pour mon A rtijle, font les plus puiffàns que
l ’on put employer ; & , je le répète encore, les
grands travaux dans les Arts font feuls éclorre de
grands Artijies. L ’intérêt & la protedion accordée
& confervee pour les grands genres ( j’étends ce
mot à l’Éloquence, à la Poéfie, comme à la Peinture
& à la Sculpture) multiplient feuls les efforts,
excitent l’émulation & éveillent le génie.
On peut divifer en deux les productions des
Beaux-Arts : les grands genres font la noble part
dont les Administrations doivent Ce charger pour
la gloire nationale. Les genres moins difiingués
peuvent Ce repofer avec confiance fur les foins &
fïir les befoins néceflaires ou Superflus de la fo-
ciété. N on-feulement ils n’auront rien à defirer,
mais plus les grands genres qu’ils jaloufent quelquefois
le fouciendront avec éclat, plus les autres
s’efforceront eux-mêmes de tendre aux perfections
qui leur (ont propres*
Mais mon A rtijle me rappelle pour lui donner
un confeil difficile : il touche à un des mo-
mens les plus intéreffàns pour le moral de là vie.
Se vouera-t-il au célibat, dans le deflèin de le
rendre plus indépendant l Se livrera-t-il , pour
avoir des raifons de plus d’aimér la vie retirée,
à l’incertitude des avantages ou des défàgrémens
d’une union indiffbluble l
Ici je crois avoir entrepris au-delà de mes forces
, en me chargeant de diriger en tout là
deftinée. Les moeurs actuelles ( je le dis avec
franchife , mais fàns amertume ) rendent ma dé-
cifîon plus douteufè , relativement aux Artijies,
qu’elle ne l’auroit été dans les temps où les moeurs
de leur état étoient plus fimples & leur vie moins
diffipée. L e mariage leur, fait regarder aujourd’hui
bien plus qu’autrefois, leurs talens comme
une profeffion lucrative, & le véritable efprit des
Arts s’altérera d’autant plus, que cette manière
de les envifàger fera plus répandue. L e lu x e ,
où participent les Artijies, les befoins qu’ils Ce
font & l’accroiflement de ces befoins , lorfqu’ils
ont une compagne qui les partage , deviennent
l’écueil, non pas toujours de leur fortune, mais
trop fouvent de leur gloire.
D’une autre part, les droits de la nature & le
genre des travaux même des Artijies célibataires,
expofènt la plupart d’entre eux habituellement à
des impreffioîîs plus dangereuses pour eux que
pour la plupart des autres hommes ; car fi la
perte du temps peut Ce réparer , fur-tout dans la
jeunefle, par des travaux forcés', il eft bien diffi-
C j 5 <*ans ^ habitude des foibleffes, de conferver
& de reprendre, quand on en a befoin , cette pu-
rete, & cette élévation d’efjprit & d’ame, qui s’altèrent
& meme fe detruifent abfolument, lprfque
le corps & les fens s’aviliffent dans les dérégle-
mens j ou font énerves par les maladies.
Laiffons les circonflances, le temps fur-tout
& le hafàrd, auquel on ne peut quelquefois fe
fouftraire, décider de l’objet qui a caufé nos
doutes. Confervons feulement à notre A rtijle p
par lefpece de paffion que nous lui avons donnée
pour la Peinture, une défenfe contre l’excès des
véritables paffions , une reflource contre le. défoeu--
vrement , qui Souvent en efi la caufe, & un
moyen d attendre que l’âge mûr le détermine»'
Joignons à ces fecours & à ces préfervatifs le
goût de la ledure , celui des. lettres , fans la prétention
de s’en prévaloir, ni de s’y livrer ; caries
Mufès font des maîtrefîes jaloufes , qui ne
Souffrent point le partage du génie & fe vengent
même des inconftances pafïàgères. Que notre
Artijle Soit cependant affez initié dans leurs,
differens langages , pour converfêr au moins,
avec elles.
C efi ainfi que jouiflànt principalement de fes:
talens & en faifànt jouir fes amis & fà patrie, il.
fe verra conduit infenfiblement par des plaifîrs
purs au terme ou 1 adivité de l’efprit & celJe des
forces , s affoibliiïànt, vont rallentir Ces defirs de
gloire & fes travaux. Il efi un âge où ¥ Artijle >
comme 1 Athlete , doit fufpendre fes armes, & ,.
vétéran glorieux , faire fes derniers plaifîrs d’encourager
les jeunes Combattans. S ’il fliit en cela ,.
comme dans le refie , la defiinée que j’ai tracée
pour lu i , je le verrai, fe refufànt à des travaux,
qui furpaffent fes moyens, les folliciter pour ceux
qui, dans la même carrière, lui paroiffent plus
propres a les accomplir ; en leur abandonnant fes
lauriers, il fe réferverâ le noble droit de leur
apprendre a les cueillir. Ce mérite fi honorable do
partager, en s’y intéreflànt, la gloire de nos jeunes
Rivaux, de fe faire un plaifîr habituel d’en
çtre çheri, de s’en voir entouré, de jouir encore■
en eux des talens qu’on ne peut plus exercer,
efi une prérogative de nos Arts, qui a procuré
comme récompenfe à plufîeurs de ceux qui s’y
font difiingués , une vieilleffe refpedée, heureufè
■ & tranquille.
Notre École en offre plus d’un exemple. Tels
ont été les Boullognes, les Cazes , les Galoches ;
tel etoit encore, tandis que j’écrivois cet article ,
un des foutiens de notre.Académie*. L a fagefle
la modeftie, la bienveillance , le goût confiant
pour les talens , pour l’infirudion de ceux qui les
* M. André Bardon;
exercent, occupoient avec délices fes momens &
charmoient fes maux. Jeunes A rtijie s , qui venez
de perdre un fi beau modèle, gardez-en bien le
fouvenir. Que votre Art fbit pour vous, comme
il l’étoit pour lu i, l’objet confiant de vos affections.
L ’indifférence feroit une ingratitude fi vous
avez des fuccès ; & l’inconfiance, fur-tout tardive,
une fburce de peines & fouvent de ridicules comme
les nouvelles paffions des amoureux furannés.
A T
A T T A C H E S , (fubft. fém. plur.) On appelle
attaches, en terme de Peinture, les mufcles &
les charnières qui uniffent enfemble les os, &
qui établiffent les mouvemens dont ils font fu f
ceptibles. Ces attaches ont prefque toutes des
configurations differentes. Les os & les mufcles
qui les compofent, font voir extérieurement leurs
apparences & leurs formes au travers de la peau
dont ils font plus immédiatement recouverts que
toutes les autres parties du corps. Il efi donc très-
important que l’Artifte en connoiffe parfaitement
la ftrudure, le méchanifme , le jeu , & qu’il ait
fo in , en deffinant ou -en peignant , de les faire
appercevoir tels qu’ils font, mais ni trop ni trop
peu fenfiblement. ' L e peintre n’eft pas l’Anato-
mifie ; mais fi le Peintre ignore les parties anato-
-•miques qu’il doit repréfènter, il n’eft pas Peintre.
A T T E L 1E R , (fiibft. mafc. ) On trouvera au
nombre des Planches, qui dans cet ouvragé, ont
rapport à la Peinture, une vignette gravée d’après
M. Cochin, dont l’objet efi de donner une idée
des occupations habituelles, qui ont lieu dans les
atteliers de nos Artiftes.
Uattelier du Peintre efi le lieu defliné aux
travaux de fbn A r t , & cette deftination fuffit pour
que le lieu , quel qu’il foit , où travaillent fes
Elèves, &'où lui-même deffine & peint, s’appelle
attelier ; mais l’Artifie , lorfqu’il le peut^ lui
donne les dimenfions & tous les avantages qui
conviennent en général à fon A r t , & en particulier
au genre qu’il traite , au nombre de difciples
qu’il admet à fbn inftrudion, & à la grandeur des
ouvrages qu’il entreprend.
Uattelier d’un Peintre d’Hifioire doit être vafte,
parce qu’il peut être chargé d’exécuter de très-
grands tableaux pour les églifes , pour des palais
ou pour des galeries. Il efi avantageux que 1 'atte~
lier puiffe être éclairé au nord & au midi, quoique
l’Artiftè n’admette jamais deux jours à la fois ;
les jours oppofés doivent être placés au milieu
des deux faces de Cattelier, que je fuppofe tourné
aux deux expofitions dont. j’ai parlé. L e nord
donne une lumière plus conftamment égale que
'toute autre expofition, parce que le fo le il, dont
Ja lumière varie fàns ceffe, ne s’y pré fente jamais.
L e midi-peut, à l’aide des chaffis ou des
flores de papier & de g a z e , procurer au befoin
une lumière que le jour dpul unso radn.imée & des tons moins froids
Ces obfervations ne font pas indifférentes pour
le Peintre qui fait en faire un ufage intelligent*
Les deux fenêtres doivent être grandes & élevées
, parce qu’alors l’Artifte peut diminuer ou
modifier à fbn gré fintrodudion de la lumière ‘
par differens moyens que lui infpirera fon induf-
trie. Il proportionne le foyer de là lumière , à la
grandeur du tableau qu’il exécute , & fur-tout à
l'effet qu’il aura intention de répandre fur des
modèles d’après lêfquels il deffine ou il peint ;
mais dans ces difpofîtions dont il efi le maître,
qu’il fe défie des jours qu’il feroit tomber de trop
haut ; qu’il fe défie encore d’un jour trop peu
étendu, dont la lumière vive & trompeufe, éclairant
trop fes ombres , pourroit l’induire à les rendre
trop fortes, tandis que, d’une autre par t, il
rendroit fes lumières trop éclatantes ; qu’il craigne
que le tableau, exécuté à l’aide de ce jour
faéfice, en fortant de Vatcelier , ne perde une
partie des avantages qu’il y reçoit. L ’Artifte déit
penfer que , fi fbn fujet n’eft pas fuppofe éclairé
d’une lumière de même nature à-peu-près que
celle dont il s’eft fe rv i, la lumière de fbn tableau
paroîtra peu naturelle , que fi la fcène de
l’aétion qu’il peint efi un lieu découvert, fes modèles
& fon ouvrage même demandent une grande
expanfion de lumière.
En général, les tableaux exigeroient, relativement
à la place, à la hauteur, au jour que leur
aflignent leurs poflèffeurs, des foins plus inteili-
gens que ceux qu’ils prennent ordinairement ;
mais on a plus de droit encore d’attendre des
Artiftes qui les compofent des attentions qui
peut-être font habituellement trop négligées , par
rapport aux jours qu’ils emploient en les compo-
fant. L a Peinture efi un Art d’illufion. Il faut
que l’illufion ne ceffe point de veiller à fes intérêts
: elle doit donc , premièrement, préfider aux
opérations de l’Artifte ; elle doit encore être con-
fultée pour l’emploi qu’on fait de les ouvrages ,
& l’on peut avancer que s’il y a un Art de peindre,
il y a auffi un Art de jouir de la Peinture,
qui n’eft parmi nous ni affez connu, ni affez pratiqué.
Cet Art exige prefqu’autant qu’un ouvrage
peint foit à fa jufte place, éclairé du jour qui lui
efi propre, qu’il exige que l’ouvrage foit bien
exécuté. Rien de fi ordinaire cependant que de
voir des tableaux expofés à de faux jours, &
pour la difpofition defquels on n?a confulté ni la
manière dont le tableau efi peint, ni la grandeur
des .figures, ni l’affortiment réfléchi des décorations
dont ils font partie , ni la convenance des
ornemens dont trop fouvent on les accable. On
feroit aifément fur cet objet un petit traité , utile*
à l’A r t , aux Artiftes, & à ceux qui fàns connoif.
fànces ont au moins la volonté de jouir des ouvrages
de Peinture.,
Pour revenir à Vattelier, il doit être meublé