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ment à s’ établir, mais à être confacrées. C’ eft
donc d’ après le befoin du merveilleux , que
les Poètes & les Peintres ont repréfenté des
a llio n s , des fcènes, des accidens, des qualité
s, des formes même furnaturelles. Lorfque
des circonftances heureules les ont guidés à
la perfeélion , ils ont étudié & approfondi, non
feulement les myftères de l’ame & de l’ efprit
humain, mais la conftruélion du c o r p s f e s
proportions, fes mouvemens; ils ont procédé
d’abord , paf le choix le plus recherché : mais
pour faire ce choix , & pour en embellir leurs
ouvrages , il a fallu que les Peintres , & les
Sculpteurs lur-tout, qui s’occupent des formes
v ifib le s , repréfentaffent le corps humain fans
voile. Plus ils l’ont obfervé, comparé , étudié
nud , plus ils ont fait de progrès vers la perfeélion
à laquelle l’Art éclairé les invitoit
d’atteindre.
Ils fe font donc écartés des ufages. les plus
univerfels, ceux des vêtemens , ainfi que de
plufieurs autres obftacles qu’ ils trouvoient dans
la nature , & qu’ ils ont fait céder à de fubli-
mes conventions. Après avoir franchi ces pas
importans, ils fe font avancés dans les ré- *
gions fabuleufes , & d’après les conventions
reçues, ou d’ après leur propre imagination,
ils ont créé des Dieux humains, & des hommes
divinifés ; ils les ont repréfentés habitant &
maîtrifant les élémens. Leurs fcènes ont été,
tantôt le vague des airs , & les régions olim-
piennes ; tantôt la furface mobile , & les abymes
des eaux ; tantôt enfin des Royaumes fouter-
rains & embrâfés par des feux éternels.
Alors leurs méditations, leurs obfervations,
leurs études, leurs talens exercés fe font ag-
grandis, & il a été difficile fans doute que ceux
qui ont réuffi , ne fe regardaient pas comme
au-deffus des Artiftes , qui- peignoient, à la
vérité y ce que la nature humaine a d’inté-
reffant , les moeurs, les pallions, mais qui les
repréfentoient fans offrir tous les mouvemens ,
& toutes les beautés dont elles font fufceptibles.
I l étoit difficile encore que les hommes inftruits,
les hommes en qui l’ imagination prenoit
l’effor, n’ euffent pas , pour des Artiftes qu’ ils
Voyoient s’élever à cette hauteur , une considération
particulière.
Voilà donc, à ce que je'penfe, l’origine &
la marche de cette prééminence , dont, jufqu’à
préfent , ont joui les Artiftes qu’on nomme
Peintres fthiftoire. Que quelques uns de ceux ,
qui approchent le plus de ce g enre, & qui y
touchent, pour «ainfi dire , mettent en .avant
la perfeélion de leurs talens , & l’ imperfeélion
trop commune de la plupart de ceux qui les
rivalilènt : ce moyen ne lëra jamais que captieux
, parce qu’ il fuffit, comme je l’ai d i t ,
de leur oppofer le nombre des Peintres immortels
, q u i , malgré les difficultés que j ’ ai défi-
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gnées, ont acquis cette fupériorité de talent
qui femble décider la queftion.
Quant à ceux qui penferoient que la perfeélion
ou la vérité phyfique de quelque imitation
que ce fo it , eft ce qui doit décider feul
du degré d’ eftime que mérite un ouvrage de
peinture , leur opinion fe peut réduire à ceci :
des animaux repréfentés avec une parfaite vérité,
offrent un tableau qui a une plus grande
perfeaion d’imitation qu'un fujet hiftorique
imparfaitement repréfenté. I l eft impoffible
de leur donner un plus grand avantage ; mais
fi vous admettez une perfeaion é g a le , les
difficultés vaincues par le Peintre tfhijloire,
je le repète encore , l’ emportent tellement fur
celles qu’a eu à furmonter le Peintre de g enre ,
qu’on ne peut balancer à déciderpour le premier.
' ' r
Si l’Artifte de genre infiftoit, en obfervant
que le Peintre, qui parvient à faire une plus
exafte illufion, eft celui qui doit l’emporter
puifqu’il exerce un a r t , dont l’objet eft de
tromper ; on pourroit a’ors oppofer les genres
les uns aux autres , & l’on prouveroit aifement
que les objets les plus communs, repréfentés
par des efpèces d’ouvriers en peinture, trompent
quelquefois plus complettement, en prenant
ce terme dans fon fens propre, que rte
peuvent jamais faire tous les genres les plus
eftimables. En effet, une canne peinte & fup-
pofée attachée par un clou à une muraille,
engagera même un artifte à avancer J a main
pour la prendre. Certainement, jamais l’animal
le plus parfaitement peint, ni à plus forte rai-
fon un fujet tfhijloire , un payfage*, n’on't pu.
occafionner une femblable illufion.
En voilà affez je crois ? pour mettre au moins
fur la voie de cette difeumon ceux qui ne font
pas J affez inftruits pour effayer d’y prendre
parti. Mais j ’ajouterai que fi les Peintres tfhif-
toire veulent conferver leur prééminence, il eft
plus important que jamais qu’ ils redoublent de
foin , d’étude & de courage. On a vu au mot
AjRTiSTE une partie des qualités qui leur font
néceffaires. Je me refufe à développer pourquoi
ces qualités deviennent rares, & leur réunion
plus difficile : mais je répéterai , que l’ennemi
le plus dangereux de la peinture, eft le luxe
& la trop grande richeffe répandue dans une
nation. Lorlque ces deux vices des Empires
font parvenus à leur degré extrême, les ouvrages
des Arts entrent dans la claffe des
fomptuofités, des fuperfluités, des meubles'enfin
fournis à la mode. Ils ne peuvent manquer
alors d’ être affujettis au caprice perfonnel, &
d’ une autre part , l’ évaluation de leur prix ,
u’oneft bientôt porté à regarder comme le tarif
e leur mérite , dépend au grand nombre des
hommes riches qui ne confultent que leur
goût particulier ou la . fantaifie régnante.-
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Pourroient-ils , manquant de lumières , appré- .
cier autrement la valeur vraiment libérale des J
ouvrages des Arts? E t ce font cependant ces
juges qui parviennent à former ce qu’on appelle
l ’opinion publique 8c les arrêts du goût.
Ajoutons que le commerce des ouvrages de
l’A r t , devenu plus aéiif & plus raffiné, ne
contribue pas moins aux erreurs qui s’éta'biiffent
dans le jugement de cés ouvrages, que les
marchands des objets mécaniques recherchés
parle lu x e , n’ influent fur les extravagances des
modes.
Par toutes ces raifons , les Artiftes font enfin
obligés de céder à la volonté plus forte de
ceux qui les dominent par le befoin qu’ ils en
ont. L’Art doit s’aftoiblir, en paroiffant mime
grgner quelque chofe dans des parties autrefois
plus négligées.
Quel remede à ce mal ? il n’ eft peut-être
que des pailliatifs. La deftinée des-connoifian-
c es , eft de fe perdre par degrés, comme elles
fe font acquifes, & par les mêmes caufes qui
les ont portées à leur perfeélion. C’eft ainfi
que les principes de la vie nous conduifent
enfin à la perdre. Oh peut cependant penfer
qu’ainfi que le régime & le fecours de la
raifon foutiennent 8c prolongent l’ exiftence ,
de même la fageffe des admmiftrations, l’ influence
dominante des Princes & des Grands ,
peuvent retarder la décadence des Arts, parce
qu’ eux feuls peuvent combattre avec avantage
la forte d’ empire que s’ arroge l’ ignorante opulence.
C’éioit les Etats', les V ille s , les Princes
qui le difputoient les ouvrages des p emiers-
genres dans la Grèce ; c’étoit eux qui foute-
noi nt les Artiftes, qui deftinoient leurs travaux
à faire partie des monumens qui ont
porté jufqu’à nous la., gloire de cette nation
privilégiée. Voilà les exemples -, il ne s’ a g t
que de Tes fuivre , & j’o 'è répondre du fuccès.
( Article de M . U a . elet. ).-
H ISTO R IÉ ( adj. ) Portrait hijlorié ; on em.
ployé ce-te expreihon , pour figni.ier la représentation
d une ou de plufieurs perfonnes que
le Peintre cra 'eftit , a t’ aide a’un coftume
emprunté de l’Hiftoire ou de la Fable , ou
bien qu’ il peint occupée.-, à quelque action qui
leur donne de l’intérêt ou du mouvement.
Une jeune beauté peinte avec les attributs
de Flore- d’ Hebé, d\.ne V e f ta le , eft un portrait
hijloiié. Un Père de famille , reprefenté
înftruifant lès enfans dont il eft entouré, tandis
que (a femme pâroît, dans ce même tableau ,
jou r avec delice de ce fpeciacle doublement
âméreffànt pour fon coeur . eft de même un
affemblage de port ai .s hijloriés.
Hien n’ eft plus ordinaire dans c ux qui fe
font peindre, que le defir de voir hiftoricr leurs
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portraits. Rien de plus néceffaire que la réuftite,
8c de plus rid icule, lorfque l’Artifte ne réuf-
fit pas.
Les portraits indifpenfablement hijloriés parmi
nous, font ceux qui ont rapport à des evè-
nemens publics, 8c à des fondions ou ceremonies
, dans lelquclles on repréfente des Princes ,
des Grands, des Magiftrats , enfin des Officiers
municipaux.
Les1 portraits des Princes 8c des Grands , font
plus fujets à être hijlorié s que d’autres. La
Peinture accumule , par flatterie , ou d’après
les defirs de l’orgueil , des allégories froides ,
un coftume que l’on peut appeller ambitieux,
enfin les aélions & les expreflions fouvent les
plus exagérées. C’ eft bien pis encore, quand
elle joint des modes modernes , capricieufes ,
ridicules, aux idées qu’ elle emprunte de l’ ancienne
mythologie , comme quand elle a mis
la tête de Louis X IV , coëftée d’ une énorme
perruque , fur le corps d’Apollon.
Dans les portraits hijloriés qui repréfentent, par
exemple , des corps de Magiflrature , 8c fur-tout
des corps municipaux , le plus fouvent la vanité
bourgeoilè contraint l’ Artifte à facrifier.les intérêts
de i’Art au defir qu’ a chacun des individus,
de figurer dans le tableau , au moins autant
que dans la cérémonie; a.ifli ne manquent-ils
pas d’ exiger qu’ on lee voye le plus complerre-
ment qui) eft poffible-, de fa c e , fans ombre
fur-tout, & fans qu’ aucune exprefllorj dérangé
ou leur coëffure, ou leur habillement, ou la
férénitériante d’ u-ne phyfionomie qui fe complaît
à être repréfentée.
Il en réluIre ordinairement, ou par les bornes
du râlent de l ’Arr ifte , ou par fon obciffance
forcée, que ces tableaux deftinés à confacrer
un évènement , & à infpirer à fon occafion quelque
id.e de refpeél , infpire la dérifion.
I l en eft de même encore d’ une grande partie
• des portraits hijloriés , que les particuliers
diélent aux Artifte s: comme ce font les prétentions
8c la vanité qui les compofent. elles
rendent d’autanr plus ridicules ces compofirions,
qu’ elles y mettent plus de recherches . 8c ces
portraits enfin ne font jamais plus bêtes, que
lorfqu’on a voulu y mettre plus d’efprit.
Une des raifons principales du mauvais effet
que produifent les affcélatiors reprefeniées car la
Peinture, c’eft que toutes ces choies, dans la
nature , ne s’offrent au moins que paffagèrè-
ment, au Heu que dans les rableaux , elles
fe trouvent conlignées , comme à perpétuité ;
qu’ elles s’y préfent en c fans ceffe aux regards,
de manière qu’ il n’ eft g ère poiLblè qu’on c ’en
foit choqué tôt ou tard, 8c qu’alors on ne s’ en
moque, habituellement.
Au rejfte , la fci.ipture femble , à cet égard,
manifefter encore davantage le ridicule des
portraits hiflorie's p parce que les ftatues repré