
peut concevoir de plus propre à frapper, à
élever l ’ame de ceux qui s’ en occupent.
„, Le grand eft fimple 8c tend principalement
à une unité d’ effet comme le fiiblime.
La multiplicité de parties , d’aâions , d’or-
nemens, d’ acceffoires, eft contraire au grand.
dans tous les arts, comme dans la peinture,
Ajnfi une figure dont les principales parties
font principalement dcfignées, mais dans laquelle
les détails peu importans de ces parties
ne font pas affez prononcés pour fixer & attacher
partiellement, les regards 8c l'attention
( fi d’ ailleurs elle eft régulière dans les proportions
, & jufte dans fon mouvement ) a un
caraâère g /a n d , qui ne peut manquer de fe
fc.ire appercevcir.
De même un fite qui offre peu de détails
particuliers d’objets , mais qui eft compofe de
vaftes plans, & éclairé par de belles maffes
de lumière 8c d’ombre, offre quelque choie qui
ïnfpire l’idée de grand.
Un fujet compofe de peu de figures , accompagné
de peu d’ acceffoires, devient g ra n d ,
parce qu’ il eft fimple , & qu’ il rend d’ une manière
fenfible à l’unité de compofi ion.
Si cependant les fujets que traite l ’artifte
exigent beaucoup de perfonnages, comme font ,
par exemple, les cérémonies, les tumultes,
les batailles ,'il faut alors , pour qu’ils paroiffent
g ra n d s , pour que leur compofi:ion ait de la
grandeur, qu’ ils foientfi bien ordonnés, que les
objets, difpofés par grouppes, ou éclairés par
malTes, rappellent une fimplicité & une unité
de compofition , qui ne peut pas s’y trouver
d’après le nombre des objets qui doivent y entrer
indirpeniablement.
Le repos que ces fortes de compofitions , ordonnées
avec a r t , 8c dans l’ intenrion que je
viens d’ expofer, occafionncnt aux regard'-, ainfi
ue la facilité qu’elles procurent au fpeâateur
e fixer fon attention, 8c de comprendre ai-
fément le but de l’aâion générale , équivalent
à la fimplicité fondée fur le petit nombre.
On fent, par ces explications , que les aâions^
fimples, & qui ont par elles-mêmes un caractère
d’ unité , ainfi que les ’mouvemens nobles ÿ
tendant d’eux mêmes à ce qu’on entend par
grand dans le langage de l’ art. On conçoit par
oppofition que tout ce qui eft compliqué , fur-
chargé dans les chofes, dans les allions , dans
les expreffions , s’éloigne du g rand, 8c qu’ il eft
plus difficile à l’artifte de l’ y ramener.
Voilà ce qui regarde le choix du fujet &
l ’ordonnance. Par rapport au choix , c’ eft la
ftmplic’té noble & l’unité qui y impriment le
fceau de la majefté & de la grandeur : 8c quant
à l’ordonnance, ce font les difpofilions des
maffes, des grouppes, (oit d’objets, foit de
lumières 8c d’ombres qui lui donnent le caraâère
grand. j
Le choix des couleurs influe fur ces moyens,
parce qu’il contribue à l’ unité de l ’harmonie &
même du clair-obfcur.
Si l’on parcourt les autres arts , on trouvera
que le mot grand a les. mêmes principes &
relativement à chaque a r t , les mêmes caractères
de moyens.
Homère eft grand dans l’Iliade , par la fim-
plicite de fon fu je t , de fon a â icn , de fes détails
meme qui ne lont point compliqués ,
point trop décompoles, par fon raifonnement
qui eft jufte , fes expreffions qui font nobles
fans recherche, & parla propriété des mots.
Un ouvrage d’architeâure vafie , ou d’ une
dimenfion bornée, offre un grand caraâère
lorfque'fes maffes font fimples, & que fés détails
bien proportionnés, placés à propos & point
furchargés d’ornemens, ne nuifent point à- ce
premier effet d’ unité qui a été l’ intention de
l’ Auteur , en difpofant fes maflbs d’une manière
grande. Un très-grand édifice peut avoir un
petit caraâère ; cependant il faut remarquer
que , dans la feule architeâure peut-être, une
maffe considérable de bâtiment, quoique dé-
feâueufe à bien des égards, comme les galeries
du Louvre , & tels qu’ étoient plufieurs édifices
anciens dont il nous refte des veftiges, peut
avoir un caraâère grand. Une des raifons,
c’eft que le fpeâateur étant ob lig é, pourl’em-
braffer entièrement d’ un regard , de s’éloigner
beaucoup, les petits détails qui en forment les
défauts, difparoiffent, 8c qu’ on n’apperçoit plus
que des maffes, qui , dans cet art , font toujours
régulières, parce qu’ elles font circonf-
crites par des lignes droites & forment des
parallélogrammes réguliers pour la plupart.
Enfin dans le difcours même, un mot qui
enferme un fens bien jufte , un fentiment bien
décidé a quelque chofe de grand par fa fimplicité.
C’ eft ce que l’on éprouve, lorfquele vieil
Horace de Corneille répond : Qu’i l mourut f
8c l’on voit fenfiblement que le fécond vers
par un détail inutile en ce moment, affoiblit le
grand qui réfalte de deux mots fimples qui
expriment un fentiment très-noble.
Sur quoi je me permettrai d’obferver que
quelquefois, relativement aux bornes de l’ in-
telligence des hommes , & aux dcfir fréquent
qu’ ih ont de les franchir , le va<*ue 8c le
vafie dans les idées 8c dans les chofes , produit
allez fouvent l’effet du g ra n d , qui e ffeâive-
ment y femble compris. Le vague n’offrant pas
de détermination précife a l’efprit, & le vafie
n’offrant aux regards que des limites indécifes
& très-étendues ; il en réfulte une forte de
grand, à la vérité indéterminé, mais qui eft
impofant.
Ainfi , cette expreffion frappante : Un homme
s’ ejl rencontré y en impofe , parce qu’ elle re-
! préfente vaguement un homme q u i , peut-être
unique fur la te r re , s’offre danÿ une circonf-
tance intéreffante ; de même une plaine très-
étendue , la furface de la me r, qui ne femble
bornée que par l’ horifon , le tems, l’ efpace,
l’ uniyers, la nature, tous ces mots 8c tous ces
objets enfin qui n’offrent que des idées vagues ,
ont quelque chofe dè grand.
Je reviens, de ces idées vaftes qui pourroîent
m’égarer trop loin de mon fu je t , aux difciples
de la peinture , pour ajouter à ce que j’ai dit
®n général-fur le mot g ra n d , quelques con-
feils plus relatifs à l’art qu’ ils veulent pratiquer.
L’exagéré , l’outré , le gigantefque , font les
écueils que vous avez à craindre, lorfqué
vous defirez de vous montrer grands dans
vos ouvrages , & ces écueils font d’autant plus
dangereux qu’ ils fe préfenteront à vous, 8c vous
attireront, fi votre génie n’a pas , pour ainfi
d ire, en lui-même, la véritable meûire de la
grandeur qui convient aux moyens de votre
art. Une figure plus petite que nature peut avoir
le plus grand caraâere,&r un figure gigantefque
court rifque, lorfque l’on manque dé lui donner
le caraâère dont j’ai parlé, d’ être d’autant
plus imparfaite & d’autant plus ridicule, que
les défauts frappent alors en raifon de fes di-
menfioqs.
La figure outrée dans fon attitude ou dans
fon expreffion , ou dans fes mouvemens, eft
bien loin de la grandeur dont nous avons
parlé.
La colère du maître du monde s’ exprime avec
grandeur dans Homère par un feul mouvement
des fourcils.
Obfervez un petit homme : voyez-le démontrer
fon courroux -, l’aâivité le rend fouvent
ridicule, comme la pefanteur 8c la mal-adreffe
rabaiffentf, pour ainfi dire, le géant qui perd
alors le caraâère grand que femblerôit devoir
offrir là dimenfion
Ayez donc l’ ame grande , fi vous pouvez vous
donner cette qualité ou cette dimenfion morale,
& vos figures , vos compofitions feront grandes.
Il ferait aile de reconnoître que cette perfection
de l’art eft une de celles qui dépendent
le plus du caraâère de l’artifte«
I l eft vrai que j’ ai eu tort peut-être de dire :
ayez une ame grande j car on ne fe donne pas
ce dont la nature feule s’ eft réfervé la diftribu-
tion, qu’ elle exerce avec une inégalité, dont
on a trop (ouvent droit de le plaindre •, mais
enfin ce qui eft certairi , c’ eft qu-un peintre qui
eft obligé de cfierchef hors de lui des modèles
du gra n d , s’y trompe fouvent, ou les imite mal.
I l trouvera plutôt la beauté dent il ne fera
pas doué , parce que la beauté a pour la laideur
«n attrait que la grandeur n’ a jamais pour la
petiteffe à qui elle eft plus ordinairement antipathique.
Soyez bien convaincus , pourroît-on dire â
tous les hommes, que l’ orgueil & la vanité
fur - tout ne font point la véritable grandeur.
Mais enfin, f i , comme artifte , vous n’êtes
pas né grand, eonfolez-vous ; fur-tout ne croyez
pas en impofer par la vanité & par les dimen-
fions gigantefques de vos figures. On peut être
vertueux , eftimable, 8c même très-bon peint
re , fans avoir ce caraâère grand dont traite
cet article & fans entreprendre les ouvrages de
peinture qui exigent principalement qu’on foit
grand.
L’objet le plus effentiel dans les arts eft de
ne pas s’obftiner à la prétention de paraître
ce que l’on n’ eft pas. Les efforts qu’ on perd
pour acquérir une perfeâion à laquelle on ne
peut atteindre, privent même de celles qu’on
a reçues de la nature. ( Article de M. Wa t e ~
LET» )
GRANDIOSE ( adj . ) du mot grandiofo,
employé par les artiftes d’ Italie. Ce terme qui
appartient plus particulièrement à la peinture
que le précédent dont il dé riv e , en emprunte
aulfi en grande partie fa lignification. Cependant
le mot grandiofe a un fens qui femble
moins déterminé. Il fe dit d’ une compofition,
d’une figure, même d’une feulé tête , & défigne,
pour ainfi d ire , l’apparence du grand , enforte
qu’on dirait , cette efquiffe , ou Vébauche de ce
tableau a quelque chofe de grandiofe ; cette tête
à peine indiquée paroît grandiofe : on dit dans
le payfage , un fite grandiofe. Le grand fup-
pofe l'otivrage terminé, 8c exprime un jugement
précis 8c abfolument terminé. ( Article de
M. Wa t e l e t . )
GRANDIO SITË (fub ft. fém. ) La grandio-
f it é ou le grand ftyle , eft comme i’obferve
M. Mengs , celui où le peintre a fait choix de
grandes parties, en omettant les médiocres 8c
les petites. Le vifage de l’homme , par exemple,
eft compofe d’ un front, de fourcils, d’ yeux
d’ un nez , de jones , d’ un menton , d’ une barbe.
C’ eft ce qui forme fes grandes parties , & chacune
en renferme beaucoup d’ autres plus petites.
Si le peintre ne cherche qu’à bien re-
préfenter les parties principales dont nous v e nons
de parler , il aura un grand ftyle -, s’ il
s’ arrête de même aux fécondés , fon ftyle ne
fera que moyen ou médiocre ; & lorfqu’enfin il
defcçnd dans les plus petits détails, fon ftyle
devient p etit, mefquin , & même ridicule. On
peut donc tomber dans le ftyle mefquin en
peignant une figure colloffale ; de même qu’on
peut avoir un grand ftyle , en repréfentant de
petits objets.
O r , comme la peinture ne fert qu’ à rendre
l’ apparence vifible des chofes, & même leur
apparence vifible à une certaine diftance du