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Enfin la mollejfe des contours fe rapporte \
cet ondoyant que l’on fouhaite dans le trait des
figures des jeunes-hommes & des jeunes filles.
Une certaine fouplefle dans le crayon , dans la
main, dans le pinceau, produit en effet ces
courbes fi douces qui ont la mollejfe des flots
d une mer qui celle d’ être agitée^
Les tours des langues qui femblent offrir des
Angularités 8c quelquefois des contradiélions &
qu’on croît des effets du caprice des hommes ,
font fouvent, quand on fe donne la peine de
les bien obferver, des effets juftes d’ un inftinél.
q u i , pour ainfi dire, raifonne fans que nous
nous en appercevions. Nous voulons quelquefois
les corriger, ou nous les condamnons, &
nous faifons comme les mauvais maîtres à dan-
fe r q u i, en prétendant donner de la perfection
aux mouvemens naturels, leur donnent de la
roideur, tandis que l’inftinét, en fe prêtant à la
pondération & aux loix de l’équilibre, les ren-
doit fouples 8c agréables par cette mollejfe qui
n’ eft point un défaut.
Artifte s, fi vous peignez des enfans , de jeunes
femmes, des Amours, des Génies, des
Nymphes, obfervez cette mollejfe qui earaélé-
r i f e , par le trait & par le pinceau, le tiflu fin |
de leur peau, la fouplefle de leurs mouvemens ,
enfin cette fléxibilité des mufcles & des articulations
, perfection de leur foiblefle.
Mais en laiflant aller avec une forte d’aban-
dojn votre pinceau & votre touche pour mieux:
rendre ces caractères, ne vous en faites pas tellement
une habitude, que vous ne puiffiez la
vaincre quand il vous faudra peindre Hercule,
Mars & des figures vigoureufes, qui demandent
que votre efprit & votre main participent
dé l’ énergie que vous devez leur donner.
Ce n’eft pas de la dureté & de lafécherefle
qu’on appelle force en peinture ; ce n’ efl: pas de
l ’indecifion 8c en quelque forte de l’ inertie
qu’on appelle mollejfe. J ’aurois peine à décider
quelle eft la plus grande de ces deux imperfections
■, mais la fécherefle & la dureté même font
des défauts, dont il efl: poflîble qu’on fe corrige
, tandis, que la mollejfe, qui conduit à
n’avoir aucun caraCtère , efl: peut-être fans ref-
fource. ( Article de M. Wa t e l e t . )
M O N O C H R O M E . Quoique ce mot foit
inconnu dans les atteliers des peintres, & qu’il
ne foit employé que par les favans, il doit cependant
trouver place dans le dictionnaire des
arts. Il e ll compofé de deux mots grecs , monos y
feul & chrôma, couleur. I l défigne donc une
peinture d’ une feule couleur, telle qu’ elle fut
dans l’origine de l’art.
La peinture égratignée dont Polidore déco-
roit les édifices de Rome , les camaïeux, les
grifailles, les dejfins arrêtés quant à la partie du
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clair-obfcur, les eftampes enfin , font des peintures
monochromes.
Comme la peinture monochrome renonce au
charme des couleurs, elle efl: obligée de racheter
ce défaut par toutes les autres beautés de
l’a r t, furtont par celles des formes 8c de l’e x -
preflion. Son auftérité, que l’on pieut comparer
à colle de la fculpture, femble lui interdire
tous les agrémens fubalternes que la peinture
relève par le preftige du coloris, & lui faire
un devoir de tout ce que l’art a de grand, de
noble, d’ impolant. En renonçant à l’efpérance
de charmer les yeux par la magie des teintes,
elle contrade l’obligation de parler à l’ame &
de fatisfaire l’ efprit. C’eft ainfi que Polidore ,
célèbre difciple de Raphaël, renonçant à fou-
tenir fon art par la variété des couleurs, mérita
cependant de tenir un rang illuftre entre les
plus grands peintres. Mais quand on ne traita
que petitement de petits fujets dans les tableaux
qu’on nomme camaïeux, ce genre très
fubalterne fut à peine compté entre les différentes
manières de peindre •, c’ efl: ainfi qu’on
dédaigne de compter entre les productions de
la ftatuaire, ces terres - cuites que font des ar-
tifans en fculpture pour la décoration des jardins.
En général, quand dans les arts, on fe
difpenfe de vaincre certaines difficultés , on fe
foumet dès lors à la loi de commander à l’ eftime
des hommes par des beautés qui l’emportent fur
celles que promettent ces difficultés vaincues.
( L - )
M O N O T O N E ( adj. ).-Ce mot a , dans la
langue de l ’art, le même fens & le même emploi
que dans la langue ordinaire , & lignifie
qui rüa qu’un fe u l ton : mais les artiftes di-
fent encore plus volontiers, en parlant d’un
tableau, qu’ il eft égal de ton, de couleur ,
qu’ il eft fad e , qu’ il eft gris; qu’ il fait le camaïeu
& c . On exprime aufli la monotonie en
défignant la couleur qui domine dans un tableau
, & l’ on dit qu’ il donne dans le roux ,
dans le jaune , dans le vio lâtre , dans le noir,
dans la farine, & c .
La monotonie eft un grand défaut, fans doute.
Le trop grand éclat des couleurs , l’ excelîi-
ve variété des teintes, le luifant exagéré de
certaines parties , en eft un autre, furtout dans
le genre de l’hiftoire qui doit laifler du repos
au fens de la vue , pour que l’ efprit ait le loifir
de fe fixer aux grandes parties de l’a r t , celles
qui parlent 'à l’ame.
On dit quelquefois d’ un petit tableau que
c’ eft une perle, & c’ eft un éloge : mais ce n’ en
feroit pas un pour la repréfentation d’ un fujet
grave & majeftueux , parce qu’ elle doit plutôt
en impofer qu’éblouir, commander l’ attention,
8c le refpeéfc que charmer les yeux. ( L. J *
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M O R B I D E S S E . (fub ft. fem. ) Ce mot
vient de l’ italien morbide^a , & nos artiftes
l’ ont adopté. Les-Italiens appellent morbido ce
qui eft délic&t, fouple, doux au toucher. On
appelle morbidejfe dans les arts, ce qui femble,
dans l’imitation de la nature , avoir cette déli-
ç^tefle, cette molleflè aimable qu’offre la nature
elle-même. La morbidejfe fe trouve fur-
tout dans le fentiment des chairs, lorfqu’ elles
ont à l’oe il, dans un tableau , toute la fouplefle,
toute la douceur qu’ elles auroient au toucher
dans un beau modèle vivant. Le Correge
a donné le premier des exemples d’ une morbidejfe
que fes fuccefleurs ont difficilement imitées.
E lle contribue beaucoup à l’agrément, -a la
g râ c e , à la vérité des figures de femmes &
^ ’enfans. L e défaut contraire au mérite de la
morbidejfe c’eft celui de ces peintres léchés
qui donnent à tous les objets unefurface lifle 8c
luifante. Ils ne penfent pas que cet éclat ne,
peut être produit que par des corps .durs 8c polis
fur J.efquels les rayons rejailliflent. Le Pu-
get & d’autres habiles fculpteurs ont prouvé
q u e , fous une main favante , les matières les
plus dures , telles que le marbre , ne fe refufent
pas à la morbidejfe. ( L. )
M O S A ÏQ U E , (fub ft. fem. ) Sorte de'
peinture qui opère avec des pierres colorées,
naturelles ou artificielles. Le tableau a toute1
l’ épaifleur qu’on juge à propos de donner a la
longueur des pierres que l’ on employé, & dans
toute cette épaifleur, il eft parfaitement le même
, au lieu que les tableaux faits par les autres:
manières de peindre , n’ ont qu’ une furface , &
font détruits , dès que cette furface éft altérée.
Toute la partie fuperieure d’ une mofaïque peut
être éraillée, gâtée, méconnoifl’able : pour faire
revenir le tableau effacé, il fuffit de lui
rendre le poli,- & cette opération, que des!
accidens rares peuvent feuls rendre néceflaire ,
peut fe recommencer tant que l’ouvragé con-
ferve encore quelque refte d’épaifleur. On pou-
roit donc appeller cette peinture éternelle s’ il
y avoir quelque chofe d’éternel fur la terre.
On en donnera les procédés dans le diélion-
raire de pratique.
On fent l’avantage qu’ auroient les hommes
pour exercer leur perfeélibilité dans toute fon
«tendue, fi les arts qu’ ils inventent & qu’ ils
approchent de la perfeéiion , pouvoient être
exercés par des moyens durables. La perfeéiion
eft le fruit du temps : elle fe compofe de l’ intelligence
, des découvertes, dès fuccès des
générations qui fe fuccèdent. St cette fucc.ef-
îion eft interrompue, fi une génération pe> d le
fouvenir des découvertes 8c de l’ induftrie des
générations qui l’ont précédée, cette induftrie,
ces découvertes font comme fi elles n’ avoient
jamais exifté , & pour re v iv re , il faut qu’ elles
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lbient inventées de nouveau ; il faut repafler par
tous les mêmes dégrés de première maladrefle ,
de premiers tâtonnemens , de perfeélionne-
mens lents & fucceflifs , avant de les rétablir
au même état où elles avoient été dans des temps
qui n’ont laifle aucune trace. Si les beaux ou -
vrages de la peinture, de la mufique grecque
s’etoient confervés, coiîime une partie de ceux
de la fculpture & de L’architeélurc , les nations
modernes , en fortant de la barbarie , auroient
trouvé de beaux modèles à fuivre ; elle» feroient
parties du point où les auroient placées ces modèles
, 8c dans les fiècles éclairés qui fe font
lu iv is , elles n’ auroient eu qu’à ajouter à ces
arts , qu’ elles furent obligées de créer , des per-
feélions nouvelles.
C’ eft le fervice qu’ anroit rendu la mofaïque 2
l’art de la peinture , fi e lle avoir été portée par
les anciens au dégré de perfeéiion à laquelle
elle a été élevée dans la Rome moderne, & fi
on l'avoit appliquée au même objet. Nous aurions
pu trouver dans le fein de la terre, 8c fous
de vieux décombres , d’ exaétes imitations des
tableaux d’ Apelle , de Z eu xis, d’ Euphranor :
un poli nouveau leurauroit rendu leur première
jeunefle, & les produélions pictorefques du
règne d’ Alexandre fe reproduiroient à nos yeux
précifément dans le même é tat, où les contemporains
de ce prince la virent fortir des atteliers
des artiftes.
Des tabléaux, ouvrages des peintres les plus
célébrés, ont été imités à Rome.avec des pâtes
d’émail coloré, taillées en petits morceaux joints
les uns aux autres par un maftic d’ une extrême
diïreté. Ces peintures dont les teintes ne
changent point, que l’ humidité ne peut pénétrer,
que l’ air ni le foleil ne peuvent altérer, qui
échappent à toutes les caufes ordinaires de def-
truélion , qui ne" feroient même décompofées
qu’ avec effort, par des barbares armés d’ un fer
deftruéleur, conferveront, pendant un nombre
de fiècles qu’on rie peut évaluer, un témoignage
fenfible de l’ état de l’art au tems où furent
faits les originaux de ces précieules imitations.
Les anciens ont inventé la mofaïque ; mais ils
ont négligé de la porter à la perfeéiion , & , ce
qui eft encore plus déplorable , de l’ appliquer
à des ufages aflez imporrans. I l ne paroit pas
qu’on l’ ait jamais employée à copier les ouvrages
des grands peintres , dont les noms & la réputation
font feuls parvenus jufqu’ à nous. La
plus grande utilité que nous ayons retirée de
ce qui nous refte de la mofaïque antique, a
été d’ en connoître les procédé®', 8c de pouvoir
la confacrer à un meilleur emploi.
Mais qui , en apprenant que nous nous femmes
mis fur la voie des avantages d’ une fi belle
invention, ne croira pas qu’ on doit trouver
cette branche de la peinture foigneufemenc
cultivée partout où les arts fleui iflent ? 8c ce^