4 8 8 M A I
gre ; c’ eft le contraire du large , du moelleux ,
du nourri -, c’ eft ce qui produit uri ouvrage
fec. Si l’ on voit grandement la nature , on n’en
fera point une reprélentation maigre ; on la re-
préfentera largement, comme elle le montre
elle-même. Nous avons parlé des figures maigres,
fous le mot grêle. ■
Dans l’enfance de l’a r t , on a été maigre dans
toutes les parties -, on l ’a été dans tous les fens
où ce mot puiffe fe prendre. On tâtonnoit encore
la nature, parce qu’on n’avoit pas appris à la
connoître ; on ne la voyoit qu’en détail , au
lieu de la vo ir dans fes malTes •, on n’ofoit rien
faire largement , parce qu’on n’avoit pas encore
affez opéré pour contrarier une heureuie har-
dieffe. La timidité de l’ inexpérience conduifoit
néceffairement à la maigreur.
La maigreur'eft par tout un défaut , même
dans les ouvrages en petit : mais c’ eft une vertu
d 'y montrer à propos un crayon fin , un pinceau
fin , une touche fine , en prenant même
la fineffe dans le fens phyfique. ( L. ) .
M A IN , (fubft. fém. ) Ce mot eft du langage
des arts dans les phrafes fuivantes : ce
tableau eft de bonne main : On reconnoît dans
cette touche la main d’ un grand maître. Les
tableaux de chevalet qui portent le nom de Raphaël
, font rarement de fa main ; ils ont été
peints d’après les delïins par d’habiles élèves. I l
s’ en faut bien que l’art neconfifte tout entier
dans le travail de la main. C’ eft l’habitude qui
apprend à diftinguer- la main des maîtres. L’a-
dreife de la main q’ e{l pas une partie mépri-
lable du métier. Qe grandes beautés de fa r t
peuvent être dégradées par la timidité de la
main. Dufrefnois avoit une grande théorie ,
mais la main lui manquoit, parce qu’ il avoit
moins exercé l’art qu’ il pe l’avoit contemplé.
Les conceptions les plus ingénieufes font peu
de chofe dans les arts fans la pratique de la
main y & la fçience de la nature.
La Hollande a produit un artifte qui peignit
réellement avec la main. Cornille K e t e l, après
avoir peint pendant vingt ans , comme les autres
, avec la broffe , s’avifa de quitter cet inf-
trument de l’a r t, & de fe fervir de fes doigts
au lieu de pinceaux. Pour n’ avoir pas de témoins
de fes premiers effais en cette manière ,
i l commença par fon portrait, & riuflit. Ne trouvant
pas encore ce tour de force affez fingulier ,
il fe mit à employer les doigts de fa main gauche,
comme ceux de la droite , & en vint même
jufqu’à peindre, avec les orteils. On rapporte ce
t r a it , moins pour le faire admirer, que comme
une bizarrerie qui neméritepas de trouver d’imitateurs.
En e ffe t, çomme le remarque M. Def-
camps, peintre lui-même : « dès qu’on peut mieux
» peindre avec le pinceau qu’avec les pieds &
» les mains , pourquoi abandonner un ufage
g pjus sûr & plus facile ? L e but d’ un Artifte •
M À i
» étant de faire le mieux polïîble , on doit
» préférer la manière de bien faire facilement,
» à celle de mal faire difficilement.
Cependant il paroît que Ketel ne fit pas mal ;
mais n’auroit-il pas mieux fait par le procédé
ordinaire l
I l difoit une chofe jufte ; c’eft: que tout fert
d’ inftrument quand on a le génie. I l ajoi^oit
que c’étoit pour le prouver qu’ il avoit quitté
le pinceau ; & en cela il avoit tort ; car il au-
roit dû reconnoître que les inftrumens aident
aux opérations du génie.
L a main , prife dans le fens ordinaire , eft
du nombre de ce que les artiftes appellent e x -
tiémités , parties qui exigent le plus d’étude ,
& qui doivent être traitées avec le plus de foin.
( Article de M . L evesq u e. )
M A IT R E , ( fubft. mafc. ). Ce mot, dans la
langue des arts libéraux , a fouvent la même
lignification que dans celle des arts mécaniques :
on entend par maître , l’artifte qui donne aux
jeunes gens des leçons de fon a r t , 8c l’on die
en ce fens : MM. D a v id & Vincent ont eu M ,
Vien pour maître.
Maître fignifie auflî un artifte affez diftingué
par fes talens , pour que fes ouvrages puiflent
fervir de modèles aux élèves & même aux profef-
feurs de l’ art.Quand on emploie ce mot dans cette
acception , on-y joint fouvent l’adjeétif g ra n d :
On dit les ouvrages des grands maîtres ,* ce
tablé au t jl à?un grand maître• Les travaux
qu’ ont laiffés les grands maîtres , font de belles
leçons pour la poftérité.
Souvent le jeune artifte n^eft pas libre de fe
fè choifir un maître ; çe choix eft fait par fes
parens, ou dépend des circonftances. I l peut
d’ailleurs ne fe trouver aucun maître habile
dans le pays où il v i t , dans le fiècle où il eft
né : mais il a en effet autant de maîtres qu’il a
vécu avant lui , ou loin de fa réfidence , de
grands artiftes dont il puiffe étudier les ouvrages,
Les ftatuaires de l’ancienne Grèce , féparés de
lui par une période de deux mille années, font
des maîtres qui lui prodiguent encore aujourd’hui
les plus favantes leçons. Leurs écoles font toujours
gratuitement ouvertes , & l’on y puife des
principes toujours sûrs , tandis q u e , dans bien
d’autres écoles , on vend chèrement des leçons
qui ne peuvent qu’égarer.
C’ eft après avoir eu lous Jes yeux les ouvrages
des grands maî&es , & s’en être affiduement
nourri , qu’on peut produire quelque chofe
qui leur reffemble ; c’eft après avoir formé nos
yeux par leur manière de v o ir , & avoir fait
contra&er à notre; efprit l’ habitude de former
des penlees nobles & grandes comme les leurs,
que nous ferons capables de reconnoître , 8c de
choifir ce qu’ il y a de grand & de beau dans
la nature,
EfiUÏ
M A I
Four inventer , il faut avoir réuni une maffe
de matériaux que notre efprit puifle mettre en
oeuvre. Rien ne fe fait de rien. Ce que nous
appelions invention , n’ eft que la faculté de
combiner d’ une manière nouvelle , les idées
que nous avons reçues. Si nous n’acquérons
qu’ un petit nombre d’ idées 9 nous ne pouvons
faire qu’ un petit nombre de combinaifons,
& nous ne ferons par conféquent que de foibles
inventeurs. On a vu , dans tous les genres , des
hommes en qui l’on avoit d'abord foupçonné du
génie , mais à qui l’on a bientôt refufé cette
qualité , parce qu’ ils ne faifoient toujours que
revenir fur leurs premières traces 8c parcourir
un cercle étroit. Ce n’eft pas qu’ en effet ils
n’ euffent reçu de la nature le génie 9 mais c’ eft
qu’ ayant négligé de le nourrir, ils l ’avoîent
rendu inaélif, en lui refufant les moyens d’opérer
Un efprit vuide ne fera jamais inventeur. Homère
avoit toute là fcience de fon temps ; 8c
l’on peut confidérer fes poëmes comme l’Encyclopédie
d’ un peuple nouvellement forti de la
barbarie. M iche l-A nge , Raphaël connoiffoient
tout ce que pouvoient leur avoir appris leurs
prédéceffeurs , c’ eft-à-dire , tous les ouvrages
des artiftes qui avoient travaillé depuis la re-
naiffance des arts , 8c toutes les antiques alors
découvertes.
Plus l’ efprit s’ enrichira des tréfors des anciens
& des modernes , plus il acquerra d’étendue,
& , à difpofitions égales , celui dont les foins
auront raffemblé le plus de richeffes , fera celui
qui montrera le plus d’ invention. Je dis à difpofitions.
égales , car tel efprit eft trop foible
pour employer fes richeffes -, il en eft accablé :
tel autre , manquant de netteté , ne peut ni les
mettre en ordre , ni même les connoître.
Quand on recommande d’étudier les ouvrages
de ceux qui nous ont précédés, cela ne veut
pas dire qu’ il faille copier leur manière de colorer
j de compofer , de defliner , de penfer.
I l faut fe rendre les émules non les efclaves
de ceux qu’on fe propofe pour modèles ; il faut
fur-tout joindre conftamment l’étude de la nature
à celle des grands maîtres.
Mais , fans les maîtres, l’étude de la nature
réduiroit l’ artifte au même point où fe trouva le
premier inventeur de l’a r t , & fes progrès ne
lùrpafferoient pas ceux de ce premier inventeur.
Dans un fiècle qui a luivi tant de fiècles où les
arts ont été cultives , il faut sféclairer par l’ expérience
de tous les fiècles paffés. C’ eft cette
expérience qui nous apprend à voir la nature j'
elle fe découvre à tous les yeux •, mais il faut
que les yeux apprennent à la' lire. E lle nous
offre le fpe&acle des plus belles formes ; mais
ce font les maîtres qui nous enfeigneront à les
difeerner.
En confidérant les ouvrages des maîtres , il
fout, dit M. Re ynold s, que nouslùiyons dans
& taux-An s, Tome L
M A N 4 8 5
cet article , chercher les principes qui les leur
ont fait produire. Ils font écrits fur la toile ;
mais ce n’eft pas une obfervation fuperficielle
qui nous les fera lire. L ’art eft caché ; c’ eft aux
recherches de l’obfervateur à le découvrir.
I l eft certain que l’art s’apprend mieux par
l’ infpeélion des ouvrages , qu’ en liTant ou en
écoutant les principes qui en ontété'déduits. Ces
principes: ne font qu’ avertir , c’ eft au difeerne-
ment à reconnoître , dans ces ouvrages , ce
qui eft e x c e llen t, ce qui eft ordinaire , 8c ce
qui eft défectueux. (A r tic le extrait de M . R e y -
n o l d $. ).
M AN IEM EN T , (fub ft. mafc. ) Maniement
du crayon , du pinceau. On dit aufli quelquefois
qu’un peintre fait bien manier fes couleurs , que
les couleurs font bien maniées dans un tableau ;
expreflion figurée , puifqii’on ne manie point
en effet les couleurs , mais le pinceau qui en
eft chargé. On dit encore qu’ un peintre a bien
manie fon fujet , pour faire entendre qu’ il s’ èn
eft rendu maître , comme d’une fubftance
molle ou flexible qu’on manie,à fon gré.
La peinture proprement dite * 8c indépendamment
des parties qui appartiennent à l’a r t , étant
un métier qui conftfte à employer.les couleurs
à l’aide du pinceau , un bon maniement de pinceau
eft effentiel à ce métier. Up, peintre qui
fait des ouvrages eftimables à d’ autres égards,
mais qui n’a qu’un mauvais maniement de pinceau,
eft un artifte habile , mais qui ne pofsède
pas le métier de fon art. .
I l eft douteux que les Grecs euffent, dans le
temps d’Apelles, ce que nous appelions un beau
maniement de pinceau , lorfque ce peintre célèbre
difputoit avec Protogènes à qui traceroic
les lignes les plus fines , lorfque ce dernier
employoit plufieurs années à peindre un tableau
d’une feule figure : mais cela ne fignifie pas
qu’ ils ne fuffent de très-grands artiftes , &
qu’ils ne poffédaffent des. qualités bien fupé-
rieures à cette adréffe de la main. Les modernes
ne remporteroient donc qu’une bien foible
viftoire fur les anciens, quand ils parviendroient
même à démontrer que ceux-ci ne les égaloienc
pas dans une partie toute manuelle. On lait
même que depuis la renaiffancé des arts les
grands maîtres des écoles Romaine & F lo ren tine
n’ont pas excellé dans cette partie, &
qu’elle n’ a été portée à fa plus haute perfe&ion
que par des écoles inférieures. On peut encore
obferver que l’ art a dégénéré , quand cetto
partie du métier eft devenue plus féduifante.
Mais cela ne fignifie pas qu’ il foit permis de
la négliger , fur-tout^ dans les ouvrages qui
doivênt être expofésprès de l’oeil du fpeâateur. -,
A préfent que le métier eft. devenu familier*^
on ne pardonne pas à l’ artifte de le pofféder*
foiblement. I l eft iiéceffaire au plaifir des yeux