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■ vive, defcendant fur le terrein & les p lantes, alors
les fleurs & les eaux qui, fans ces accidens, refte-
roient confondus dans la mafle monotone d’une
ombre générale , frappent les yeux du fpedateur
de tous les charmes dont ils font fufceptibles &
brillent comme ces broderies qu’on voit fe détacher
fur un fond lourd qui les rend plus éclatantes*
Ces accidens produifent des impreflions agréables
; mais il en eft qui joignent à la furprife des
émotions fortes, quelquefois pénibles & par cette
raifon même plus attachantes. L a mer eft un des
théâtres , où ces fortes $ accidens font plus nom-
, breux & plus variés. .
Une tempête fe prépare-t-elle ? mille accidens
l’annoncent dans le ciel & fur les eaux. L e Soleil
voilé prodigue fur les nuages , qui s’accumulent
pour l’effacer , les couleurs les plus variées, quelquefois
même les plus éclatantes. Il fe fait jour
encore, à travers ces montagnes aériennes qui l’environnent
; enfin , lorfque le ciel efl entièrement
couvert, alors fîllonné par la foudre , éclairé par
des lueurs accidentelles dont les nuances varient
fans cefïè , il laifle appercevoir des vaifîeaux prêts
à périr, qu’on ne voit qu’à l’aide des éclats de
tonnerre qui vont les embrâfer.
Plus ces accidens méritent le'nom qui les dé-
figne , plus ils font difficiles à repréfènter ; car la
promptitude de ces effets pittorefques, la difficulté |
d’en faire des études , les émotions qu’ils cau-
fent, les bornes des moyens de l’A r t , tout s’op- :
pofè au fréquent ufage qu’en feroient fans cela
les Artiftes. -
Cependant les plus habiles choififlent & hafàr-
dent de repréfenter quelques-uns de ces accidens:
les plus courageux par caradère & par l’amour
de leur Art les étudient même au rifque de leur
vie. Ils nous offrent , comme l’a fait fouvent un
de nos Artiftes modernes , juftement célèbre en
ce genre , au milieu du défordre de tous les. élé-
mens, quelques malheureux prêts à perdre la v ie ,
& d’autres, bien plus infortunés, puifqu’ils éprouvent
le défefpoir de perdre ceux qui leur font
chers. Les inondations, les embrâfemens , les
éruptions des volcans offrent des accidens que
l ’imagination fuppofe, que les récits autorifent &
dont les imitations attachent.
J e ne dois pas pafîer fous filence les effets empruntés
, non pas précifément de la nature , mais
du merveilleux, des Fables reçues, des faits con-
facrés & dont la vrai-fèmblance tient à la fuppo-
fîtion de Puiflànces furnaturelles. Telles font les
lumières produites par la préfence ou la fùbite
apparition d’êtres qui doivent occafionner des prodiges.
L a lumière que Raphaël a employée dans
le tableau de la Transfiguration , en eft un exemple.
Tels font encore les effets eéleftes que le
Guide & plufteurs autres Peintres ont empruntés
de l’Enfant divin, de l’Ange qui l’annonça ; du
berceau même de ce jeune Dieu., dans l’adoration
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qu’il reçut des Pafteurs & des Rois ; de liii-méme
encore dans fa fuite toujours intéreffante par l’union
d’un Vieillard, d’une jeune Mère douée de toutes les
vertus & les grâces , & d’un Enfant qui fe montre
déjà au-deflus de la nature.
A la fuite de c es accidens furnaturels , on doit
mettre quelques effets , occafîonnés par des inter-
pofîtions ingénieufes d’objets qui peuvent même
n’etre que lüppofés, fans que le Peintre les falle
appercevoir. De grands Maîtres les ont mis en
ufage ; mais ils ont le plus fouvent donné lieu
d’en deviner les caufes j c a r, fans cette précaution
, ils deviennent trop arbitraires, & fi l’imagination
n’eft mile au moins fur la voie, elle fait
peu de gré d’un effet, quelque piquant qu’il puifle
être. Il faut donc , en général, que quelque légère
vrai-femblance aide à l’iilüfîon.
Ces effets ou accidens, qui n’ont rien de fùr-
naturel, conviennent à un plus grand nombre de
fùjets.., mais demandent un goût fin , pour ne pas
.les prodiguer & pour en faire un ufage heureux.
Ils font favorables en particulier à différens genres
, qui ont moins de reflburces que l’Hiftoire
pour fixer l’attention.
Les imitateurs de ce qu’on appelle la nature
morte ou objets immobiles & inanimés i ceux qui
repréfentent des fleurs , des fruits , des perfpedi-
ves , peuvent, en quelque forte , animer leurs
compofitions par ce fecours. Les Peintres de portrait
peuvent y trouver des effets fècourabies &
ingénieux, qui feroient fouvent plus à l’avantage
de ceux qu’ils repréfentent , que la plupart des
fingularités d’attitudes & de coftume qu’ils emploient.
1 «*=
En effet, les Artiftes qui ont employé des
maintiens bizarres , des compofitions recherchées ,
chargées d'accejfoires de commande , des Coftü-
mes extraordinaires , ne fort parvenus le plus fou-
vent qu’à rendre ridicules leurs originaux & à
montrer les prétentions réciproques de i’Artifte &
du Modèle. ‘
Une jeune perfonne , fous l’habit de Diane,
d’Hébé, dé Vénus, dans des attitudes maniérées,
perd d’autant plus que ces ajuftemens & fou
adion promettent davantage. Elle eft engagée ,
par la prétention du Peintre, ou la fienne à répondre
aux defirs, fouvent immodérés , de l’imagination
dès Spedateurs. Rubens , Rimhrand ,
Wandyck, Titien n’ont employé quelquèfois pour
rendre plus piquantes les phyfîonomies que quelque
coup de lumière, quelqu’effet d’ombre qui
leur ont donné moyen ou de faire valoir les agré-
mens ou de dérober les défauts de .ceux qu’ils re-*
préîentoient.
Une ingénieufe Artifte de nos tours, à l’exemple
d’un des grands Maîtres que j’ai nommés , a
mis 'en ufage avec fûccès les reflets du Soleil qui
l’éclairoit, lorfqu’elle eflàya de Ce peindre. Une
partie de fa tête dans la demi-teinte, fert d’op-
I pofîtion à l’accident d’un rayon de lumière qui
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îait briller le charme de fà couleur naturelle.
L e chapeau dont elle eft cocffee-, autorife ces
accidens, & ce qu’on vo it, attachant juftement
le regard , fait connoître ce que l’ombre nous
cache.
Les accidens favorables à la Peinture, fem-
blent rares dans la nature, & ne le font point
dans les imaginations fécondes. On pourroit étendre
aux circonftances morales ce que j’ai borné
dans cet article aux accidens phyfîques. Les paf-
fions font intariflàbles en accidens de tous les
genres.
Ce font les mines précieufès où le Génie puifè
fês plus intéreffantes richeffes ; & fans lu i, tous
les tréfors des Arts reftent enfouis ou font mal
employés.
A C CO RD , ( fubft. mafc.) L 'accord d’un tableau
eft l’effet général & fàtisfaifant qui réfulte
principalement de la difpofition des couleurs, du
choix qu’en fait l’Artifte , de leur dégradation &
de l’harmonie du clair-obfcur combinée avec celle
du coloris.
L e Peintre difpofe du coloris de fon tableau ,
ainfi que des objets qu’il y place. Il doit ayoir
déterminé dans fon imagination l'accord qu’il veut
«ffeduer, avant de commencer fon ouvrage. Pour
fuivre cette détermination qu’il a prife , il con-
fiilte la nature , il afligne aux nuances l’ordre qui
leur convient, premièrement, d’après celui des
plans fur lefquels il fuppofe chaque objet &
même chaque partie de ces objets.
Secondement, d’après la lumière & les différentes
privations du jour que ces objets & leurs
parties reçoivent & éprouvent, en fuppofant un
foyer déterminé.
Ces notions qui fe retrouveront néceflàirement
avec différens détails dans plufieurs articles de ce
Didionnaire, peuvent donner une première idée
générale des differentes combinaifbns d’où réfulte
Xaccord dans un ouvrage de Peinture.
Il éft d’une extrême difficulté fans, doute que
le Peintre rempliffe exadement tout ce qu’un parfait
accord exige de lui ; mais il eft peut-être
plus difficile encore que fon ouvrage fo it, à cet
égard, parfaitement jug é , fur-tout fi la compo-
fition n’eft pas extrêmement fimple.
L a réminifcence, ou la comparaifon immédiate
de la nature avec l’imitation, pourroit, il eft
vrai , conduire à porter un jugement affez exad ;
mais il faut que cette réminifcence foit récente,
ou très-fidèle ; & dans la comparaifon immédiate,
il faut que les objets réels fe trouvent expo fés
.aux regards de celui qui veut la juger dans la
même pofîtion & au même jour où iis ont été
imités-par l’Artifte. Pour peu que les circonftances
de la compofîtion fe trouvent compliquées ,
on conçoit aifé'ment que le Peintre -ne peut raf-
, lembler tous les objets qu’il a eu deffein d’imiter,
a c c 7 fti pour les peindre enfemble, ni pour les offrir à
fes Juges , comme bafe de leur décifîon.
D apres ces reflexions , 1 accord général ■ de
prefque tous les tableaux & fur-tout de ceux
d Hijlo ire , eft fondé fur des réminifcences de
l’A rtifte, & fur les foins qu’il prend de fe conformer,
autant qu’il lui eft poflible, à la vérité
de couleur de. chaque ob je t, à la dégradation
perfpedive & au clair-obfcur, c’eft-à-dire, aux
loix de la lumière.
On pourroit donc avancer à la rigueur qu’il
n’y a pas un tableau, principalement un tableau
d H ijlo ire, qui^pût foutenir la confrontation avec
la nature, fuppofe qu’elle fût poflible. On con-.
1 ǰi£ > en effet, que fi le fujet d’un tableau exige
que la fcene foit en plein a ir , ou au milieu des
eaux , s’il eft compofé de figures allégoriques ,•
il n’eft plus de modèle naturel pour le Peintre , '
il n’eft plus de comparaifon immédiate pour les
Juges ; il n’eft même pas de réminifcence ré e lle ,
& la feule vrai-femblance pittorefque, appuyée
fur les effets connus de la lumière , peut guidée
par approximation le Peintre, relativement à Yac*
cord qu’on exige dans fes ouvrages.
Il ne réfulte cependant pas de ce que je viens
d avancer avec une franchifè un peu fevère, que
les compofitions dont il eft queftion, ne puiffènt
offrir un accord fuffifànt & qui fatisfafîe ceux qui
les confîdèrent.
L ’intelligence de toutes les parties de l’A r t ,
les çonnoiflànces acquifes par les obfervations
continuelles des Artiftes , la fidélité de la mémoire
locale , la force He l’imagination, les études
plus ou moins partielles que fe procurent &
que font les Peintres ; enfin, un fentiment habituel
de cet accord q u i, dans la. nature, fe préfente
fans ceffe à leurs y eu x , les conduifent à
l’imiter & à accorder un tableau de manière que
s’ils ne font pas en droit de prononcer : » Ceci eft
» précifément l'accord de la nature. « Au moins
peuvent-ils dire : » D’après la difpofition de mes
» objets, le foyer de ma lumière, les interpo-
» fitions que j’ai établies, les plans que je fup-
» pofe , Y accord de mon tableau eft aufli vrai-
» fèmblablement exad qu’il le peut être ; « Sc
cette affertion neft'pas ordinairement contredite,
fur-tout fi les yeux de ceux qui regardent l’ouvrage
ne font bleffés par aucune oppofition trop
brufque de tons ou d’effets & de lumières.
Cette dernière obfervation conduit à une con-
féquence intéreffante, c’eft qu’il peut y avoir un
accord fàtisfaifant pour les yeux dans un ouvrage
de Peinture, fans qu’il foit bien conforme à
celui que la nature offriroit, parce que l’organe
phyfîque ne demande premièrement que de n’être
pas bleffe. On en conclut aifément que le coloris
foible & le coloris vigoureux ne comportent pas
moins l’un que l’autre un jufte accord,• comme
des iriftrumens de mufîque peuvent être accordés-
J fur des diapazons plus hauts ou plus bas«