
teur eft une diftinéfion que les Académies de Pein-
turé accordent à ceux qu’elles s’aflocient, non
en qualité d’Artiftes , mais comme attaches aux
arts par leur goût ou par leurs connoiflances.
Dans la fociété, ce nom, qui fe confond fou-
vent avec celui de connoiffeur, fe donne ou fe.
prend avec moins de formalité , à-peu-pres comme
les noms de Comte ou de Marquis qu’on admet
aujourd’h u i, fans trop regarder quel droit on a
de les porter.
Mais iorfque ce terme, deftiné à exprimer ,
en parlant de l’Art de la Peinture, un fentiment
Vrai & eftimable, fe multiplie trop par l’effet du
défoeuvrement & de la vanité, ne doit-on pas
craindre de le voir enfin réduit à ne défigner
qu’une prétention & un ridicule ?
Les Amateurs des Beaux-Arts étoient peut-être
trop rares il y a un fiecle : ils deviennent aujourd’hui
trop communs. Leur nombre ne feroit pas
à redouter fi .ceux qui le forment s’y trouvoient
tous appellés par un fincère amour des Arts. Ils
font utiles aux progrès de la Peinture, lorfqu’un
heureux penchant les porte à s’en occuper, & ;
fùrtout lorfqu’ils parviennent à acquérir les con- :
noiflances qui font indifpenfables pour bien jouir
des productions des t.alens & pour les apprécier
judicieufement*
I l exifte, fans doute, des Amateurs de cette
clafle ; mais il peut s’en former une plus nuifîble
aux Arts ,, que la première ne leur eft profitable.
Celle-ci doit s’accroître à-peu-près dans la même
proportion que fe multiplient les Marchands de
Tableaux, c’eft-à-dire, en raifon du luxe*
J e crois enfin qu’on fera bientôt autorifé à
penfer que la trop grande quantité d'amateurs
fans amoür, & de connoiffeurs fans connoiflances,
contribue à la corruption du goût, & nuit aux
progrès des A rts, dont les fùccès l’ont fait naître.
L a claffe dont je parle efl donc du même
genre que celle des hommes qu’on appelle Hommes
de goût’, qui jugent les ouvrages de Littérature,
fans principes arrêtés & fans connoiflances réelles.
Il efl: bien vrai que ces juges ne décident pas
de la deflinée des ouvrages fur le {quels ils prononcent
; mais ils font le tourment des Gens de
Lettres, comme les faux connoiffeurs en Peinture
font celui des Artiftes ; & ils leur deviendront
d’autant plus pernicieux, que les Auteurs & les
Artifles eux-mêmes feront plus répandus dans la
fociété, qu’ils ne devroient effedivement l’être
pour leûr avantage.
Cette plus grande liaifbh entre ceux qui pratiquent
les Lettres & les Arts & ceux qui forment
ce qu’on appelle parmi nous la fociété, efl-elle
ijn avantage, comme quelques perfonnes le pen-
fent ? C’eft une queftion qui me paroît trop inté-
reffer le deflin des Beaux-Arts, pour qu’on ne me
pardonne pas de m’y arrêter un moment.
Jha méditation & l’étude de la nature s’uniffent
fans doute au goût naturel .■ pour décider les
Artiftes à afpirer aux plus grands fuccès ; mais
un motif plus général encore, efl la fatisfadion
qu’ils efpèrent & qu’ils trouvent en effet à etre
loués. Ce fentiment efl naturel à l’homme & ne
peut pas être regardé comme condamnable. Il
entraîne l’Artifte à fortir de la folitude de l’atte-
lier pour jouir de l’effet de fes ouvragés. Il lui
paroît effentiel de connoître les idées fur le s quelles
fes contemporains étabüffent leur juge-»
ment, ainfî que les defirs qu’ils forment.
Et quoique les Artiftes ne puilfent ignorer que
ce jugement efl incertain, qu’il efl fouvent deftine
à être infirmé par la poftérité ; qu’il peut dépendre
d’une infinité de circonftances, d’opinions, de
préjugés, il craint cependant de s’en trop écarter,
& de ne jouir par-là qu’en efpérance de fes travaux
réels : c’eft là que commencent les incertitudes
& les irréfolutions des Artiftes.
Un précepte leur efl donné dans les livres
didadiqués de tous les temps : » Travaillez. , leur
» dit-on , pour la poftérité, les feuls ouvrages qui
» mériteront fon aveu, vous donneront l’immor-
» talité. Qu’importe d’être critiqué ou néglige
» par fon fiecle , pourvu qu’on fuive la Nature &
» les vrais principes du beau. «
D’un autre côté, de bons efprits ne ceflent aufli
de leur dire : » L e Public efl un miroir fidèle :
» vous verrez en le confultant, les défauts & les
» beautés de vos ouvrages. Si vous ne le con-
» fùltez pas, les préjuges & les pièges de l’amour-
» propre vous égareront. «
On ne ceffe de leur Répéter encore que dans
la fociété inftruite , dans le monde poli, l’èfprit &
le goût s’épuifent par les difeuflions , par les con-v
tradidions & par la communication des idées*
Du premier de ces principes réfulte, avec le
dévouement à la folitude , la néceflité de faire
fa printipale fociété des hommes qui n’exiftent
plus, je veux dire , des anciens j & de ne travailler
que pour ceux qui n’exiftent pas encore.
Du fécond , réfulte l’obligation de ne pas fe
fouftraire au tribunal du fièc-le ou l’on v it , de fe
conformer au goût , aux opinions de la fociété
dont on fait partie , de s’y montrèr comme Arti-
fan connu de la gloire nationale, de confulter le
fentiment de fes . contemporains , & , tout en
jouiflànt de la récompenfe de fes travaux , de
profiter des lumières qui fe répandent & des avantages
que produit le mouvement d’une fociété
fpirituelle.
Cette oppofition de fyftêmes feroit moins em-
barafiànte, fi le plus grand nombre des hommes
qui compofent la fociété, avoit des idees claires
& quelques principes fondés fur la nature. Il y
auroit encore peu d’inconvéniens , fi ceux aux
jugemens defquels les Artiftes attribuent une forte
d’autorité, fe défendoiene des préjugés *perfbn-
npls , s’ils ne làifloient paroître que des imprefe
fions tranches, quils ne donnerpient pas pour des.
décifions ; fi , en voulant autorifer ces imprefliofis
par quelques raifonnemens , ils les accompa-
gnoient de ce doute modefte , de cette jufte
réferve qui foumet les produétions des Arts en
dernier relfort, à ceux dont l’occupation continuelle
eftdeles pratiquer. Mais que trouvent le
plus fouvent les Artiftes égarés dans le tumulte
des'cercles & dans la fociété l Des âmes froides ,
auxquelles les Arts & leurs produétions font au
fond très-indifférens , quoiqu’elles paroiflent quelquefois
s’y intérefiër ; des enthoufîaftes hors de
rnefure , là plupart comédiens de fentiment, des
diflertateurs^diffus & vagues , pleins de bonne
opinion d’eux-mêmes., qui foutiennent opiniâtré -
ment les fentimens qu’ils ont adoptés, fouvent
par hazard , ou en les empruntant d’autrui ; des
difcoureurs plus modérés , mais plus à charge
encore , qui , fort inftruits de tous les lieux
communs des fejets qu’on traite le plus ordinairement
dans les conventions, né connoilfent cependant
aucun des détails importans qui appartiennent
aux Arts ; des hommes enfin, & mal-
heureufement des femmes q u i, aux juftes droits
qu’on leur reconnoît, ajoutent celui de prononcer
fur les réputations & fur les talens, objets,
-qu’elles ne croyent pas .plus importans que beaucoup
d’autres dont elles ont eu de tout tems le
droit de décider fbuverainement.
Ce que les Artiftes rencontrent aufli plus fbu-
Yent qu’autrefois, ce font des poflëfleurs de collerions
qui s’ en occupent vivement lorfqu’ils
les font admirer, & les oublient dès qu’ils font
feuls avèc elles $. femblables en cela à ces époux
mal-aflortis’ , qu’on voit affeder en compagnie
l ’intérêt le plus édifiant, & qui tête-à-tête s’abandonnent
à l’ennui qu’ils fe caufent & à l’indifférence
qui les glace.
Mais , après avoir tracé l’efquifîe des ridicules
peu favorables aux Arts & aux Artiftes, il eft jufte
d’obferver que ceux-ci contribuent eux-mêmes à
les multiplier. L e defir d’anticiper leur réputation
, de s’approprier par préférence les occafions
d’accroitre leur ‘célébrité & les avantages moins
nobles qu’ils peuvent tirer de leurs talens , ofons
dire avec franchife , la cupidité augmentée par
le luxe & nourrie par la diflipation & la frivolité,
les entraînent à flatter des ridicules qui nuifent
à leurs véritables intérêts, en aviliflant ou en
égarant leurs talens.
C’eft donc de l’excès & de la multiplicité des
prétentions réciproques , c’eft de i’impreflion que
font trop fouvent fur les Artiftes les noms , les
rangs & les richefles , que naiflent la plupart des
défauts qui altèrent les âmes des Artiftes & leurs
ouvrages.
Ce qui réfulte de ces obfervations , je l’adref-
ferai à tous ceux qui fe deftinent aux Beaux-
Arts., ou qui les pratiquent déjà avec fuccès.
Si vous n’avez pas un tempérament moral,
ferme & robufte, ne faites que voyager quelquefois
dans la fociété fans vous y établir ; autrement,
refroidis par l’indifférence ,• tourmentés
par le caprice & l’ignorance, enchaînés par les
opinions régnantes & par les modes, vous participerez
à toutes les erreurs & à toutes les pallions
de votre fiècle. I l vaudroit mieux fans
doute , pour vos progrès & pour votre bonheur.,
que vous vous fufliez voués à une retraite pref-
qu’abfbiue j car la folitude occupée , en portant
les hommes à m éditer, leur inïpire au moins une
modération .& un calme favorables à leurs luccès*
Après m’être peut-être trop étendu fur les abus
qui terniflent quelquefois le nom $ amateur y nom
fait pour être eftimé, je dois, dire qu’il a exifté
& qu’il exifte fans doute encore dés amateurs ,
vraiment dignes de ce titre honorable. On en
peut nommer .qui , par des obfervations & des
travaux fui vis jufqu’à la fin de leur carrière, par
des connoiflances acquifes dans une vie retirée ,
par un jugement fain , par l’équilibre de l’ame
& par le feeours de colledions faites avec ordre
& intelligence, ont joint aux lumières relatives
aux Arts,, cette érudition hiftorique qui inftruit
de leur marche, de leurs progrès, & qui leur
devient réellement utile. Il en eft qui fuivront
cette route tracée , entr’autres par MM. Mariette,
de N ie rt, Calviere , Caylus , & . plus anciennement
par de Piles , Féiibien, &c. Il s’en élève
qui, dans les loifirs de différens états, dans des
rangs diftingués , dans les âges des paflipns , pratiquent
véritablement les Arts pour parvenir à les
éclairer. Il eft des femmes qui parent leurs attraits
& , leurs grâces de talens plus durables que ces
avantages paffàgers. Elles acquièrent & trouvent
dans d’aimables ; occupations un préfervatif contre
l ’afcendant de la diflipation, & fe préparent des
reflources pour les temps où cette diflipation perd
fes charmes & où la fatigue fe fubftitue infenfî-
blement au plaifir qu’on y cherche. Elles joindront
à ces avantages l’honneur d’être immorta-
lifées dans les faftes de ces mêmes Arts qu’elles
honorent ; furtout , fi en Ce garantiflant de la -•
manie de protéger, du danger des préventions 8c
du fentiment de leur jufte & naturel afcendant,
elles n’abandonnent pas le bonheur plus grand de
s’inftruire & de jouir des talens qu’elles favent
embellir.
Puiflent les Amateurs de ces clafles aimables
& bienfaifantes fe multiplier pour l’avantage des
Beaux-Arts & l’honneur de ma Patrie ! Puiflent
les autres exagérer afîez leurs ridicules prétentions
, pour devenir dignes de fubir au théâtre
la punition que Molière impofa aux précieufes
& aux faux fav2ns de fon fiècle !
Qu’il me foit permis d’adrefler encore quelques
mots aux. jeunes afpirans à ce titre ft’Amateur >
fi eftimable lorfqu’on le mérite.
Les petites pratiques de la Peinture, d’après
lefquelles vous pourriez vous croire connoiffeurs
& juges des ouvrages de l’A r t , ne donnent pas
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