
revoyons. Nous ne connoiiïbns même que ces l
traits caraclériftiques des perfonnes avec qui
nous vivons chaque jour.
Ce font donc ces choies cara&ériftiques , cet
effet général que la peinture doit exprimer,
puifque c’eft tout ce qui eft conforme à notre
manière de v o ir , tout ce qui a coutume de
frapper nos fens. L’art doit fe prêter à notre
manière propre de conlidérer les choies. Le
peintre ne traitera pas le payfage comme il
l'eroit confideré par un botanifte, fcrutateur des
moindres objets du règne végétal : il en eft de
môme des autres objets fournis à fon art.
I l feroit difficile de déterminer quel degré
d’attention il faut donner aux petits détails :
il fuffit d’ avertir que. c’ eft en exprimant Ueffêt
général du tout enfemble qu’ on parvient à
donner aux objets leur vrai caractère. Par-tout
où fe trouve cet e ffet, malgré les négligences
qui peuvent d’ailleurs fe remarquer dans P o i v
ra g e , on rëconnoît la main d’ un maître; &
on peut affurer que quand l’ effet général eft
bien rendu , l ’objet s’ offre à nous d’une manière
bien plus frappante que lorfqu’ il eft exécuté
avec la plus fcrupuleufe exaClitude. La
première maniéré eft celle d’ une vue grande
& profonde qui embraffe la nature d’un coup-
d’oeil ; l’autre eft celle d’ une vue courte &
tim id e , qui ne voit rien que par petites
parties.
Les propriétés de tous les objets,, relativement
à la peinture, font le contour ou le
deflin , le coloris & le claïr-obfcur. Le deflin
fert à donner la forme aux objets ; le coloris
exprime leurs qualités vifibles , & le clair-
obîcur leur folidité.
L ’artifte ne peut jamais parvenir à la per-
feClion dans aucune de ces parties, s’il n’a pas
contraClé l’habitude de voir les objets en g rand,
& de remarquer l ’ effet qu’ ils produifent fur l’oeil
lorfqu’il eft dilaté , & feulement occupé du
tout-enfemble , fans en appercevoir diftinCle-
ment chaque partie. C’ eft par cette habitude
qiLon apprend également à bien connoître le
caraôère principal des chofes, & à l’imiter
par une méthode habile & expéditive. I l ne
faut pas entendre, par cette méthode, un teur
d’adreffe, ou un mêchanifme de routine , fondé
fur la conjeâure 8c la pratique 5 mais une
lcience profonde des moyens & des e ffets, qui ,
toujours conduit, par la route la plus sûre &
la plufc courte, an but qu’ on fe propofe.
Les plus grands artiftes, offerts généralement
pour modèles, n’ont pas dû leur célébrité au
fini précieux de leurs ouvrages, ni à l’attention
fcrupuleufe qu’ ils ont portée aux détails ;
mais à la vafte idée qu’ ils ont conçue des
objets y 8c z ce pouvoir de l’art qui lui donne
fon effet caraâéfiftique pour une expreflion
convenable.
Raphaël, par fon deflin ; le T itie n , par fbn
colo ris, tiennent le premier rang entre les
peintres. Les productions les plus considérables
8c les plus eftimées de Raphaël font fes cartons ,
& fes peintures à frefque du Vatican, & l’on
fait que ces ouvrages font loin d’être minutieusement
terminés. I l paroît que cet artifte a principalement
confacré fes foins à l’économie de
l’enfemble, tant de fes comportions en général,
que de chaque figure en particulier : car on
peut regarder chaque figure comme formant, par
elle-même, un touf plus petit, quoiqu’ elle ne
foit qu’ une partie relativement à l’ouvrage auquel
elle appartient ; 8c l’on en peut dire autant
des têtes , des mains, des pieds , & c .
Mais quoiqu’ à l’égard des formes, Raphaël
poffédât l’art de confidérer & de concevoir l’ enfemble
, cet art n’étoit plus le même quand i l
s’agiflbit de l’ effet général qui eft offert à l’oeil
par le moyen du coloris 8c du clair obfcur. I l
eft en cette partie fort inférieur au Titien.
Ce grand maître eft parvenu à rendre, par
le moyen de quelques coups de pinceau, Limages
& le cara&ère de tous les objets qu’ il a voulu,
repréfenter, & à produire, par cela fe u l, une
imitation plus parfaite que ne l’ avoit jamais
pu faire Jean B e llin , ou tout autre de fes pré*
déceftèurs, en finiflant avec exaélitude jufqu’au.
moindre cheveu. Sa grande attention a été d’ ex**
primef la teinte générale des objets, de conserv
er les maffes de clairs & de bruns, 8c de
donner , par oppofition , une idée de la folidité,
qui eft une qualité inhérente à la matière.
Lorfque ,ces chofes font obfervées, fans
qu’il y ait rien de plus, l’ouvrage produit, à
l’ emplacement qui lui convient, tout l’effet qu’i l
doit faire ; mais quand il y en a quelqu’une qui
manque, l’ enfemble du tableau , quelque bien
fini que puiffent d’ailleurs en être les détails,
paraîtra faux, & même non fin i, à quelque jour
8c à quelque diftance que ce foit.
En vain s’occupera-t-on à chercher une variété
de teintes, f i , en fe donnant ce foin ,
on perd de vue la carnation générale de la
chair ; & c’eft également fans fruit qu’on tâchera
de finir de la manière la plus précieufe
les parties, fi l’ on ne conferve pas les maffes,
ou 11 le tout enfemble n’ eft pas bien d’accord.
Ce n’eft pas que l’on veuille confeiller ici
de négliger les détails. I l feroit difficile d’ établir
précifément quand & jufqu’à quel point il
faut s’ y arrêter ou les Sacrifier ; on doit fur cela
s’ en rapporter au goût & au jugement de l’ ar-
tiffe ; mais on n’ ignore pas combien un emploi
judicieux des détails fert quelquefois à donner
de la force & de la vérité à un ouvrage, &
combien par conlequent les détails peuvent ajouter
à l ’iiitérêt du fpeélateur. Tout ce qii’on fe
propofe ic i , eft de faire fentir la véritable différence
qui fe trouve entre les parties cflentielle
& les parties Subordonnées; de montrer quelles
font les qualités de l’art qui exigent principalement
l’ accention de l’artifte, 8c d’ indiquer celles
qu’ il peut négliger fans porter aucun préjudice
à fa réputation.
S’il faut toujours négliger quelque chofe, il
eft certain que c’ eft le moindre qui doit céder
au plus important. La vraie manière de terminer
un ouvrage, c’eft d’augmenter, par une ju d i-
cieufe économie des parties, l’ effet du tout enfemble,
8c non de perdre fon temps à finir
précieusement, 8c peut-être mefquinement, ces
parties.
La perïeClion dans toutes les parties & dans
tous les genres de la peinture , depuis le ftyle
le plus Sublime de l’hiftoire , jufqu’à l ’imitation
de la nature morte, dépend de cette fa cilité
d’embralfer d’ un coup-d’oeil le tout-enfemble,
8c fans cette faculté le travail le plus
opiniâtre devient infruClueux.
En parlant ici du tout-enfemble, on n’entend
pas feulement le tout-enfemble relativement à
la compofition, mais le tout-enfemblë relativement
au ftyle général du coloris; le tout-enfemble
relativement au clair-obfcur ; le tout-enfemble
même relativement à chaque partie,
qui , prife Séparément, peut être le principal
objet du peintre.
I l ferait à defirer, fans doute , que les
charmes de l’art fuffent toujours employés à
confacrer des fujets intéreflans & dignes d’ être
tranfmis-à la poftérité ; c’ eft avec quelque
douleur que ceux qui font vivement touchés
de la dignité de la peinture voient que le plus
grand nombre des tableaux n’ont été entrepris
par les artiftes que comme des occafions d’ occuper
leurs pinceaux, plutôt que d’ illuftrer un
grand fujet par les reffources de leur génie. Cependant
le prix qu’on attache à de pareilles
peintures, fans qu’on en confidère , & fouvent
même fans que l ’on en connoiffe le fujet, nous
montre à quel degré l’ attention peut être fixée
par le pouvoir de l’ art feu l, & même ce qu’on
peut appeller le mêchanifme de l’art.
Rien ne prouve mieux l ’excellence de ce
pouvoir, que de voir qu’il imprime uncaraClère
de génie à des ouvrages dont l’auteur, en les
failàftt, n’ a prétendu à aucun autre mérite qu’à
celui d’ exercer ce mêchanifme, & dans lefquels
il n’ y a d’ailleurs ni exprelïion, ni caraClère , ni
nobleffe, ni même un fujet qui puiffe intéreffer
perfonne. On ne peut, par exemple, refufer au
tableau des noces, de Paul Véronèfe, le caractère
de’génie , fans heurter le fentiment général ;
8c des perfonnes même dont l’ autorité femble
faire lo i , ont regardé cet ouvrage comme le
chef-d’oeuvre de l’art par excellence ; on ne
fauroit le refufer non plus au tableau d’autel
peint par Rubens, pour Péglife de faint Au-
guiHn d’Anvers. Cependant ni} l’uii ni l’ autre
de ces deux ouvrages n’ eft intérefiant par le fujet.
Celui de Paul Véronèfe ne repréfente qu’ un grand
concours de peuple à un repas ; 8c le fujet de
Rubens , fi l’on peut même lui donner le nom
de fu je t, eft une affemblée de plufieurs feints
qui ont vécu en différons fiècles. Toute la perfection
de ces deux tableaux confifte dans l’habileté
de l’ exécution ; l’habileté qui opère des
effets puiffans par l’ influence de la faculté qu’ elle
pofsède d’ embraffer un tout enfemble d’ un feul
coup-d’oeil, 8c de le faire embraffer de même
au fpeâateur.
Celui qui fait généralifer & raffembler les
idées pour en former un tou t, exprimera un
grand nombre de vérités par un petit nombre
de lignes , s’ il eft écrivain ; 8c par un petit
nombre de traits, s’ il eft peintre. C’eft ce qu’on
ne trouvera pas dans un ouvrage dans lequel on
aura fini les parties avec le plus grand foin, fans
faire attention à l’ enfemble ou à l’ effet général.
Ceux qui n’ont aucune connoiffance de la
peinture, croient q ue , parce qu’ elle eft un
a rt,"fes productions doivent leur plaire d’ autant
plus qu’ ils y voient l’art employé avec
plus d’oftentation. En partant de cette erreur,
ils préfèrent une exécution délicate & finié, &
un coloris b rillan t, à la vérité , la fimplicité ,
l’unité de la nature. Ils ne favent même pas
ce que c’eft qu’ un tout-enfemble, & les artiftes
inèptes ne le favent pas mieux. Mais les
perfonnes qui font en état de réfléchir , & q u i,
fans connoître l’a r t , 8c fans vouloir s’ériger
en juges , fe contentent de fe livrer à l’im-
premon qu’ elles éprouvent, louent & condamnent
un ouvrage félon que l’auteur a rendu ou
manqué l’ effet général. I l faut cependant fup-
pofer que ces perfonnes n’aient pas l’eferit
préoccupé par de faufles notions de l’art. I c i ,
l’ approbation ou la critique générale, que l’ artifte
méprife peut-être comme ne devant être
attribuée qu’à l ’ignorance des principes, devrait
fervir à régler fa conduite, & ramener fon
attention à ce qui doit être fon objer principal 5 1
objet dont il s’écarte trop fouvent pour l ’amour
de quelques beautés inférieures qui n’appartiennent
qu’aux détails.
Ce n’eft pas qu’il p e faille pointfinir fes ouvrages.
Nous ne prétendons pas louer le défaut
d’ exaClitude, 8c nous avons voulu feulemènt indiquer
l’ elpèce d’exaClitude q u i, feule , mérite
d’ être regardée comme telle. Aucun ouvrage ne
peut être terminé avec trop de foin ; mais ce foin
doit être dirigé vers le but convenable. Le
travail exceflU que l’on accorde aux détails
eft le plus fouvent , même parmi les grands
maîtres, pernicieux à l’ effet général.
Toute la fubftance de cet article eft extraite
du onzième difeours de M. Reynolds , dont on
n’ a même fait fouvent que tranferire la traduction.
( Article de M. L e v e s q u e . )