
4p<f M A R n’ eft pas concevable. On a même bien de la
peifle a fe faire une idée des vaiffeaux à c in q ,
& même à trois rangs de rames'placés lé s uns
au-deffus des autres-, mais quoique cette idée
puiffe coûter à notre imagination , nous ibm-
mes qbligés de l’ admettre , ’puifque le fait eft
prouvé par des paffages multipliés des anciens
& par des bas - reliefs antiques. On voudroit
en vain adopter l’interprétation d’un favant,
qui , fondé fur un paffage d’ un fcholiafte grec
des fiècles inférieurs , prétertdoit que le premier
rang étoit formé par les rameurs qui étoient
à la pouppe ; le fécond , par ceux qui étoient
au milieu du vaiffeau , & le troilieme , par
ceux de la proue. Cette interprétation leveroic
toute difficulté : mais peut-elle s’accorder avec
le récit de Silius Italicus , 1. 1 4 , v. 42.5,
qui rapporte que le feu prit au haut d’ un vaif-
feau , & que déjà les rameurs du premier rang
avoient abandonné leurs rames, avant que ceux
des derniers rangs fuffent informés de l’incendie ?
S’ accorde-t-elle avec ce que nous apprennent
les anciens , que les rameurs du dernier rang
avoient de plus foibles gages , parce q u e , fe
fervant de rantes plus courtes , ils avoient moins
de peine? N’ eft-elle pas furrtout renverfée par
la vue des ba s-re lie fs, qui nous montrent des
vaiffeaux à deux & trois rangs de pâmes distribués
par étages ?
I l eft vrai que s’ il falloit luppofer que les
rameurs aient été placés perpendiculairement
les uns aü-deffus des autres,. on ne comprendrait
pas comment les vaiffeaux pou voient s’élever
aflfez àü-deffus dé l’ eau pour donner place à
tant de rangs ? & comment les rames des rangs
fupérieurs pouyoient être affez longues pour at-r
teindre la mer : mais la colonne trajanne &
quelques médailles , nous montrent que les
rames n’étoientpas perpendiculairement les unes
au - deffus des autres , & qu’ elles étoient
rangées en échiquier * ce qui donne quelque
facilité , non pas de concevoir bien précifé-
ment comment les rameurs étoient placés , mais
de comprendre qu’ ils pouvoient l’ être. On peut
imaginer qu’ au - deffous de l ’intervalle que
laiffoient entr’ eux deux bancs des rameurs diL
premier rang , étoit plac.é un banc de rameurs
du fécond rang , & c .
Le premier rang étoit aflis fur lç haut pofif;
& fes rames fortoient par des ouvertures mç-
nagées à des baluftrades qui couronnoient le
bordage du vaiffeau. Les bancs du fécond rang
étoient placés fur un pont inférieur , & les
rames fortoient par des fabords. I l paroit , par
le ba s-re lie f du Duc d’ Alcala , que , dans'lés
bata illes, les rameurs .du premier pont fe re-
tiroient pour le laiffer libre aux gens de guerre ,
8c que le vaiffeau n’étoit manoeuvré que par les
rameurs des rangs inférieurs.
Qn Vpit, par le témoignage des anciens, qu’à
M A R
quelques exceptions près , les vaiffeaux qui paf-
foient cinq ou fix rangs de rames , manoeu-
Vroient fort mal , & contribuèrent plufieurs
fois à la perte des batailles. On ceffa depuis
Augufte , de donner aux vaiffeaux plus de trois
rangs de rames -, & c’ eft pour cela que les bas-
reliefs n’ en offrent aucun qui èn ait un plus
grand nombre. Enfin , l’hiftorien Zofime qui
écrivoit dans le cinquième fiècle , nous apprend
qu’alors , depuis long-temps , on ne conftrui-
foit plus même de trirèmes ou galères à trois
rangs.
Les yaiffeaux des anciens n’ avoient en général
qu’un mât. En travers de ce mâ t, étoit attaché
« en. forme de croix , l’antenne qui foute-
noit la voile. La hune étoit peinte, & fouvent
ornée de dorure. On pourroit croire qu’ elle,
avoit quelque reffemblance avec une tafle- ;
c’eft du moins ce que fait conjeéhirer. le
mot Carchejîum, qui fignifie également hune&
taffe.
On a fait des voiles de toutes fortes de matières
, de peaux, de nattes, de lin : on en a
fait de rondes , de quarrées , de triangulaires :
mais celles des Romains & des Grecs étoient
triangulaires & de lin. Dans les grands vaif-
. fe^ux , on eut jufqu’à douze voiles : quelques-
unes nommées fip a ra , n’avoièht qu’ un pied :
elles fervoient a recueillir les derniers fouffles
d’ un vent qui s’affoibliffoit :
Summaqiu tendent
Sipartr, ventorum perituras colligit auras.
L uçan.
Julius Pollux entend ffins doute autre chnfe,
quand il ne compte que trois voiles ; la grande,
dit-il , eft au milieu du vaiffeau la moyenne
à la poupe, & la plus' petite à là proue. Pline
s’ exprime de même : « D é jà , dit-il , les plus
; » grandes voiles ont ceffé de ftiffire aux vaif-
1 » féaux : quoiqu’ un arbre entier fuffife à peine
» à la longueur des antennes ; on a cependant
» ajouté des voiles au-deffus des autres voiles ;
» & de plus on en a mis à la poupe & à la
» proue ». Jam ver6 ne cvela majora fa t is ejje.
coeperunt n a vig iis : f e d quamvis amplitudini
antennarum fingulæ arbores fu ffic ian t, fiip e r
• c'às tamen addi veiorum a lla vêla , puEtereàque
a lla in pro ris, q lia in puppibus. Ces voiles
placées à la pouppe & à la proue n’ir.diquent-
elléspas clairement trois mâts? Que! auroit été
, l’ ufage des voiles de la pouppe & de la proue,
s’il n’y avoit pas eu de mâts pour les tendre?
Athénée nous apprend qu’ il y avoit trois mâts
au grand vaiffeau d’Hiéron, tyran de1 Sy-racufe,
cofiftruit par Archimède. I l réfulte des paffages
de Pline & de Pollux que cè vaiffeau n’etoit pas
le feul qui eût cet avantage. On comptoit même
I encore une quatrième voile > nommée artemo,
M A R
& placée à la proue. E lle étoit plutôt deftînée,
dit Ifidore , à d iriger qu’ à hâter la courfe des
vaiffeaux. Cela femble avoir quelque rapport a
la voile du beaupré.
On trouve dans le dialogue de Lucien Intitulé
le navire , un paffage qui peut aider a
établir les proportions que les anciens donnoient
à leurs vaiffeaux. Celui donc il parle qui
apportoit du bled des ports de l’Egypte à celui
du Pirée , étoit d’une grandeur extraordinaire ;
la longueur étoit de cent vingt coudées , fa
largeur du quart de fa longueur , & U avoit
vingt—neuf coudées de haut. Ce batiment etoit
d’un feul mât. Un petit vieillard chauve , dit
Lucien , à l’aide d’ une foible barre , guide le
gouvernail de cette énorme machine. Ces mots,
quand on n’ en auroit pas d’autres preuves, nous
apprendroient ce que les bas-reliefs de la colonne
trajanne nous laiffent ignorer , c’ e lt-a-
dire , que les anciens avoient des gouvernails
à-peu-près femblables aux nôtres, fixes de meme
à l’ arrière du bâtiment , & dans lefquels il
entroit une barre ou timon qui fervoit à les
manier -, on nommoit ce timon clavus ; &
l ’extrémité que tenoit la main du pilote , fe
nommoit l’anfe , anfa.
L u c ien , dans le même dialogue, parle de
vaiffeaux qu’ il appelle triarmena à trois vo ile s ,
& l ’on doit entendre par cette expreflion ,^des
yaiffeaux à trois mâts , puifqu’on â vu que même
un vaiffeau à un feul mât avoit jufqu’ à douze
^Voiles.
Dans les premiers temps on ne connoiffoit pas
le s ancres telles que les nôtres. Nous avons
vu que , quand on abordoit , on tiroit^ le
bâtiment fur le rivage. Quand il falloit l ’arrêter
quelque temps en mer , on (e fervoit de pierres
retenues au vaiffeau par un cordage. Les Grecs
nommoient ces pierres eu n ê , qui fignifie l i t ,
p^rce qu’ elles forçoient le vaiffeau à demeurer
tranquille comme dans un lit. Ce nom refta
aux véritables ancres, quand elles furent inventées
; mais on les nomma plus communément
ancura de leur forme courbe & crochue. Ce
mot ne fe trouve pas dans Homère, apparefn-
ment par ce que la chofe el 1er même n’ exiftoit
pas encore. I l fe trouve dans le poème des Argonautes
du faux Orphée -, mais il faut croire
que c’ eft un anachronifme échappé à l’auteur,
& qui peut fervir à dévoiler fon impofture. Én
effet, s’il eût été le compagnon des Argonaute
s , il n’auroit pu nommer ce qui n’ exiftoit
pas de leur temps, & ce qui même probablement
n’ exiftoit pas encore du temps d’Homere.
Les arts contribuoient à l’ embelliffement des
vaiffeaux ; on les ornoit de peintures , de bas-
reliefs , de ftatues. De célèbres peintres de la
Crèce avoient commencé par être peintres de
yaiffeaux, comme chez nous le Fuget acqoi-
& tm ix -A r tS ;Jom e J .
M A R 4 9 7
I mencé par orner de fculptures les vaiffeaux de
I Marfeille.
Comme les navires des anciens étoient peu
confidérables , ils étoient aifement cooftruits ,
& l’on en avoit un grand nombre. Les Grecs
alliés conduifirent douze cents voiles contre la
puiffance de Priam. La flotte de X e rxè s, à la
bataille de Salamine, étoit de 1x07 trirèmes,
fans compter les bâtimens inférieurs ; & celle
des Grecs, qui fut viétôrieufe, étoit de 378
vaiffeaux fans compter aufli les petits bâtimens.
Des états médiocres avoient en guerre plus de
vaiffeaux que n’en armeroitaujourd’hui la France
& même l’Angleterre.
La conftru&ion étant imparfaite , les naufrages
étoient fréquens. Un paffage de Ménandre
, confervé par Athénée, fait préfumer
que la perte approchoit beaucoup du tiers des
bâtimens. » Sur trente vaiffeaux, dit ce poète
» comique & par conféquent fatyrique, il n’y
» en a pas le tiers qui faffe naufrage ; fur
» autant d’hommes qui fe marient, il n’y en
» a pas un qui fe fauve «. Cependant on avoit
toujours, comme du temps d’Héfiode, la pré-»
caution de ne mettre en mer que dans la belle
faifon. I l n’ eft pas vraifemblable que le roman
grec qui porte le nom de Chariton, ait été
écrit avant le cinquième fiècle de notre è re ,
& l ’auteur nous repréfente Chéréas, q u i, transporté
par l’Amour, a l’audace de s’ embarquer
avant le retour du printemps.
Dans les batailles, on élevoit des remparts
autour des vaiffeaux afin que les foldats puffent
combattre comme des troupes affiégées que protègent
les murs d» leurs V ille s ; & pour que les
navires reffemblaffént encore mieux à des forte-
»eflfes, on y élèvoit aufli des tours à la pouppe,
à la proue Sc même fur les côtés. E lles étoient
connues dès le temps de Thucydide , plus de
quatre cents ans avant notre ère : fi elles euffenç
été folidement établies fur les bâtimens, elles
auroient mis obftacle à la navigation : mais on
embarquoit les pièces toutes préparées & parfaitement
afforties; il nè s’ agiffoit plus que de les
monter dans le befoin. Quelquefois on dreffoit
de ces forts au centre même du vaiffeau , comme»
on le voit fur le bas-re lie f du Duc d’Alcala -,-il
falloit alors baiffer le mât ; mais cette manoeuvre
paroît été avoir ordinaire dans les batailles.*
De tous les vaiffeaux que repréfente ce bas^
relief, aucun n’ eft mâté, quoique tous ne foient
pas chargés de tours. Apollonius nous apprend
aufli que l’on baiffoit le mât toutes les fois que
l’on ceffoit d’aller à voiles.
On combattoit fur mer avec des traits, de,s
pierres , des faulx. On fe fervoit de graopin *
pour accrocher le vaiffeau ennemi’ on baiffoit
un pont qui uniffoit les deux bâtimens , & l’on
fe battoit alors comme fur terrç. On fai foi t tomber
fur le nayire qu’pu ^ » q u o it des maffes 4 e