
en art de convention*, il finirolt même, avec
le temps , par ne plus confifter qu’ en une efpèce
d’hiéroglyphes, puifque plulieurs écritures n’ont
été originairement que des repréfentations ab-
foluiuenc incorre&es des objets qu’on vouloit
défigner.
Celui qui traite de l’art de la peinture, ou
qui l’ enfeigne doit donc pofer pour principe
abfolu que les, négligences dans la corredion
du trait font des fautes très-gravès, & que les
artiftes ne doivent jamais le les permettre^, fauf
à en accorder le pardon à ceux qui favent racheter
ce péché par toutes les autres perfections
de l’art. .
Les négligences daris.jles effets de la lumière
& du clair-oblcur, pourroient être moins ri-
goureufement condamnées, parce que premièrement
il eft plus difficile de fatisfaire à l’ exadir
tude de la perfpeéfcive aerienne & aux loix de
l’ incidence 8c de la réftadion des rayons lumineux,
qu’aux règles des proportions plus po-
fitives 8c plus, ailées à démontrer ; •d’ailleurs ,
les,fpedateurs d’ un tableau, li l’harmonie ou
l’ accord eft fatisfaifant, ne font pas la plupart
en état d é ju g er de fon éxaditude précife aux
règles du clair-oblcur, au lieu que les défauts
de proportion font le plus fouvent apperçus ,
parce qu’on s’attache principalement aux figures
d’ un tableau & que plus elles y font un rôle
intéreffant, plus on les examine ; comme dans
le monde, on obferve d’ un oeil plus critique
& plus fe vè fè, ceux que leur pfece, leur rang
ou certaines circonftances font remarquer davantage.
Les négligences dans les plans, d’après les
notions que je viens de donner, bleflent fou-
vent de manière à être abfolument blâmées ,
parce que la perlpeftivé linéale -étant une
fcience plus pofitive , eft^auffi plus aifément
démontrée; que d’ailleurs , pour ceux qui n’ en
conaoîtroî.enc pas les opérations , les objets
font:, les, uns par rapport aux autres * dés' échelles
de comparaison ; enforte qu’ un homme ,
repréfenté fur les. premiers plans? d’ un tableau ,
donne à juger par la feule infpeétion ; de
l’éloignement où doit être une figure qui fe
trouve plus petite. I l en réfulte que fi la figure
qu’on fuppofe éloignée eft, trop grande par
rapport au plan & à .la grandeur de la première
f ig u r e o u des autres objets , on juge*
aifément' qu’ elle n’eft pas en , perfpeâive , ou,
comme difent les peintres, fu r fon plan, On
s’ en apperçoit encore affez.diftinâement, lorf-*
qu’elle eft trop éclairée pour l’éloignement où
le peintre la fuppofe ; ou trop peu, s’il la repréfente
pe:.û éloignée:!
Quant aux négligences dans la comtpofttion
& dans .l’ordonnance, à moins qu’ elles ne fofent
des fautes marquées & choquantes , elles d e mandent
des connoiffences plus étendues dans
ceux qui voyent les ouvrages de peinture ï
.quelquefois des fineffés omifes dans la difpo-
ution d?un tableau intérefTant , font àis négligences
, parce qu’on juge d’après le talent de
l’arrifte, qu’ il a dû s’ en-apperce voir & qu’ il
n’auroit pas dû fe les permettre. Ces fortes de
fautes font donc relatives le plus fouvent à la
nature, du fu je t , 8c au mérite des peintres- ;
c’eft air.fi que l’on a droit d’ exiger plus d’exa&i-
tude 8c plus de délicateffe d’ un homme qu’oft
fait être .éclairé, que çÊun homme qui ne l’ eft
pas. D an s J’un , les négligences font des fautes
de, volonté; dans l’autre, elles font des fautes*
d’ignorance.
Le malheur ùes artiftes qui fe permettent
des négligences , eft que ce défaut a coutume
d’augmenter , par la raifon que le peintre
même le plus correél fin it,, en avançant en
â g e , par être plus indulgent pour lui-même. Le
travail de confulter -fans ceffe la Nature , de
revenir • louvent aux principes élémentaires
coûte .peu dans la\ force de l’âge ; mais fèm-
ble un devoir pénible à remplir dans l’âge plus
avancé. On croit, fou vent d’ailleurs que la longue^
habitude acquife a tellement empreint les
rprmes dans l’ imagination 8c même dans la
main , qu’on peut s’en repofer fur cette fécondé
natuçe. ; . . .
Je finirai par dire que fi quelques négligences
heureufes. de ftyle peuvent produire0des beautés,
cet, heureux effet eft bien moins fréquent
dans le de fin . I l eft à cet égard, peu de la
Fontaine en peinture, 8c c’eft dans des. rap-
prochemens de cette nature qu’on fent que les
Arts ne peuvent fouvent fe comparer; car le
f t y le , dans l’art d’ écrire, eft. fondé fur des
formes convenues, 8c le deffin l’eft fur des
formes immuables. Je me bornerai à cetfe obfer-
vation,, en prévenant le s jeunes Artiftes que les
négligences en peinture font non-feulement deâ
defauts en elles-mêmes , mais des eaufes fu-
neftes de défauts par leurs fuites ; 8c que les négligences, dans quelques parties qu’on fe les
permette, dégénèrent prefqu’immanquablemenc
en négligence générale d’ un Art qui demande
la plus grande vigilance, 8c la plus grande fé-
vérité. (Article de.M . Watelet.) : ...
N ÉG L IG E R , ( V . A. ) Négliger V A rtn é g lig e r fon talent, c’eft
l’ exercer moins, ou l’ exercer avec moins d’ application.
Négliger la nature, eft pour l’Artifte une
négligence qui influe»immédiatement.fur l’A r t ,
fur le talent, fur la pratique du talent. Cette
négligence eft donc celie qui doit nuire davantage
• au peintre.
Du verbe aétif négliger, on forme le verbe
réfléchi fe négliger. Il offre alors une expref-
fion générale 8c v ague , qui exprime unrallentSffement
d’ efforts, d’ études, de travaux, de
foin 8c d’attention.
Il n’ eft pas néceffaire d’ entrer dans de grands
détails fur des termes qui ne comportent cjue
des obfervations très - générales mais il n eft
pas inutile d’ en rappeller au moins le fouve-
nir <à la plupart des Artiftes.
Dans le nombre de ceux qui Te négligent >
e’ eft-à-dire, qui ne font pas tout l’ emploi qu’ils
pourroient faire de leur intelligence, de leur
temps, de leurs foins, les uns font entraînés par
défaut de caraétère , d’autres par * défaut de
fente; quelques-uns, parce qu’ ifs ont peu de
lumières & trop d’amour-propre, ce qui les
aveugle également, ou bien ils fe négligent
en travaillant trop ou trop vite par cupidité,
ou trop peu &*,, d’ un ^manière peu fu iv ie , par
le goût dominant, & devenu trop général aujourd’h
ui, des plaifirs 8c de la diffipation.
I l eft difficile de remédier aux deux premières
eaufes, le défaut de caraétère & la privation
de la-fanté. L’homme qui* manque de caraétère
perd la plus grande partie de fa vie dans l’ in-
décifion de fes idées. Ce défailt eft commun :
il tient à l’humanité, fouvent a la complexion ,
fouvent à l’éducation, & il femble auffi parmi
nous être un défaut national; au moins eft-on
autorifé* à croire que l’ efprit de la nation ,
porté allez généralement au changement & à
la légèreté, doit être moins propre aux applications
fuivies que s’ il étoif plus grave &*plus
fixe. Ce défaut doit .encore devenir plus fen-
fible avec le temps & l’âge, car l’habitude
l’augmente > & lorfque les forces & les facultés
diminuent, il devient infurmontable.
Dire à un Artifte foible de tempérament ,
ou dont l’ efprit a peu de reffort : foyez laborieux
8c a é t if, c’eft à peu près comme fi l ’on
exigeoit d’un homme engourdi, 8c qui n’a point
de confiftance , de marcher d’ un pas ferme 8c
fans s’ arrêter.
Se négliger parce qu’on ne connoît pas l’importance
de fe furveiller & de s’ exercer continuellement
à la théorie ou à la pratique d’ un
art dans lequel il y a fans celle à apprendre,
c’eft céder à une caufe à peu près auffi abfolue
que celles dont j ’ai parlé.
. I l refte à parler des trois autres eaufes qui
entraînent un afiez grand nombre d’Artiftes.à
f e négliger; fevoir, l’opinion trop avantageufe
qu’ils ont quelquefois de leur talent, la cupidité
8c le goût des plaifirs.
L’opinion trop favorable du talent dont on
fe trouve doué, eft affez-générale & naturelle
à l’ homme, parce que chacun s’occupe plus de
foi que des autres , & que les comparaifons
qu’ on fait font ou partiales ‘ ou incomplettes ;
mais il faut convenir que cette bonne opinion
eft généralement plus exaltée chez les hommes
occupés des travaux auxquels l ’ imagination a
part. L ’ imagination devient plus a é liv e , lorf-
qk’on l’ exerce, 8c elle met de plus en plus
un prix imaginaire à fes produélions : L’ invention
qu’ elle s’ attribue fur-tout, quoiqu’au fonds
elle ne püiffe rien créer en e ffet, la porte à
une vanité indéfinie.
Au refte le remède le plus puiffant qu’on
puiffe oppofer à la trop bonne opinion qu un
Artifte a de fon talent, feroit de lui prouver
•qiie cette exagération eft infiniment contraire
au bon u-làge qu’il doit faire de fon imagination.
J ’ ai indiqué la cupidité, comme une autre caufe
qui entraîne les Artiftes àfe négliger, & l ’on peut
obferver qu’ en fe livrant a l’ interet, c’ eft par
trop d’aélivité que l ’Artifte f e néglige. La cupidité
qui dégénère le plus fouvent en avar
ic e , eft une forte de furie q u i, armée-d’un
fouet-, force les Artiftes qu’ elle pou Huit, non
à travailler bien, mais à travailler beaucoup.
E lle ajoute à l’ordre qu’ elle leur en donne des
raifonnemens faux 8c captieux : « Envilagez,
» leur dit-elle , la gloire & le profit. L’unè
» vous promet désavantagés; l’autre vous les
» donne. Si vous vous attachez aux grands
» principes, fi vous cherchez à atteindre aux
» beautés fublimes vous perdrez le temps fi
» précieux où vous .pouvez tirer parti de‘votre
» talent. Suivez donc le goût le plus général,
>a fût-il mauvais : les Chinois, les: Magots ,
» les Pantins , les fujets fantafques font-ils de
» mode? Qu’ importe? 'oubliez, pendant que
» cette mode dure, les grands modèles, l’an-
» tique , la nature, & peignez tout ce qu’on
« demandera, non pour être loués après vous ,
» mais pour être bien payez de votre v i-
» vant. »
Quelle réponfe à ces raifonnemens ? une
i feule : fi vous préférez le métier d’Artifan à
celui d’Artifte ; faites ce que la cupidité vous
ordonne.*Lorfque l’efprit mercantile fe répand
univerfellement dans une nation, 8c q u e , fe
gliffant dans les atteliers, dans les cabinets ,
parmi les Artiftes & les favans, il attaque la
gloire nationale ; cette nation peut bien devenir
plus riche , mais certainement elle commence
à s’avilir
Le goût des-plaifirs, moins vil que la cupidité
, plus naturel fans doute, & qui l’ çft
d’ âu'tant plus, qu’ il eft exeufé par la jeuneffe,
peut au moins, il faut en contenir, s’ âeco-
moder, jufqu’à un certain degré, avec l ’es ta-
lens regardés comme agréables. Raphaël même
fut efclave de l’ amour : à trente-fix ans il fut
le premier des peintres qui. avoient e xifté , 8c
mérita d’être le modèle de ceux qui dévoient
naître ; mais le citer, n’ eft pas autorilèr les
foibleffes', q u i, trop communes dans'l’hiftoîre-
des Artifte s, ne-font pas auffi bien rachetées.