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D ’ailleurs, nous avons nombre de preuves convaincantes
que des Artiftes célèbres ont hafardé
des coloris fadices, qui ne font pas conformes à
ceux de la nature , & qu’ils en ont fait quelquefois
réfulter un accord farisfaifant.
Ces fortes d'accords font cependant des illusions
& des preftiges ; le lens phyfique de la vue
•s’y prête , mais la reflexion, la comparailon, la
connoiflànce de la Nature & de l’Art les condamnent.
Tout Colorifte de cette efpèce doit être
p la c é , à cet égard, dans une clafle inférieure à
celle des Peintres qui prennent toujours la nature
pour baie de leur accord.
On pourroit comparer les premiers aux Romanciers
: s’ils plaifent, on pardonne leurs menfon-
ges , on applaudit même à l’art de leurs Fables ;
mais l’on confîdère davantage les Hiftoriens véridiques.
.
Titien , Wandyck, Paul Véronèze , les.Carra-
ches , Raphaël font de ce nombre honoré dans la
Peinture.
Giordans de Naples , Rimbrand, Tintoret &
plu fleurs autres, lont de la clafle des Coloriftes
fou vent imaginaires , mais dont Y accord feduit &
charme Ibuvent les regards.
On peut concevoir, d’après ces explications,
pourquoi l’on ne trouve point dans les Livres qui
traitent de l’Art de la Peinture une fuite de principes
& de pratiques démontrées fur l’harmonie &
Y accord , comme on en trouve fur les proportions
, la pondération 8c la perfpective.
Il me refte à dire que le mot accord fe prend
aufli dans un fèns plus étendu ; mais alors- on y
joint un mot qui défîgne cette différente acception.
Ainfî l’on dit Yaccord de la compofition ,
Yaccord même de l’expreflion, enfin Y accord du
tout enfemble. C’eft aux articles C omposition ,
E xpression , &ç. que fe-doivent trouver les explications
qu’on peut donner fur ces manières de
s’exprimer.
ACH EVÉ , ( part. paff. ) Un ouvrage des Arts
snéchaniques eft achevé, dans le fens le plus ufîté,
îorfque l’Artifan croit n’avoir plus rien à y faire.
Mais une production des Arts libéraux peut
avoir épuifé tout le travail dont un Artifle efl
capable , &. n’être rien moins qu’un^ ouvrage
achevé.
Un tableau achevé r lorfqu’on parie le langage
de l’A r t , efl donc une production qui approche ,
autant qu’il efl pofli-ble , de cette perfection de la
Peinture, que l’on conçoit plus qu’on n’y peut
atteindre. Pour qu’un tableau put être regardé
comme achevé dans la rigueur du fens de ce
mot , il faudroit que l’imitation qu’il contient
approchât tellement de l’objet naturel imité, que
le regard y fût trompé ; mais cette perfection efl
idéale & l’Art ne peut l’atteindre.
Il refte & il reftera toujours aux Peintrès qui
tendent à la perfection, une diftance entre les
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imitations & la nature, comme il refte aux Navigateurs
qui veulent toucher le Pôle , des efpa-
ces à découvrir. C’eft par l’impoflibilité même
d’arriver à leur b u t, que l’émulation des uns &
des autres efl excitée & nourrie. L e Peintre
croira toujours poflible de produire des imitations
plus achevées que toutes celles qu’on a faites.
Enfin, tous ceux qui veulent imiter la nature ,
voyent en l’obfervant, ou penfent voir ce point
fi defîré où ils tendent ; ils travaillent, ils efpe-
rent, ils avancent, reculent , reflent enfin plus
ou moins près. Voilà le fort des Peintres les plus
excellens qui ' ont exifté & de ceux qui exifte-
ront.
Les mots fin i 8c terminé s’emploient aufli, relativement
à la Peinture & aux ouvrages des
Beaux-Arts à-peu-près dans les mêmes fens que
le mot achevé. Cependant on peut y remarquer
des différences ; car les mots fin i 8c terminé donnent
quelquefois , félon la manière dont on les
emploie, l’idée d’un ouvrage fait avec le plus
grand foin. Cependant un tableau exécuté avec
feu , avec enthoufîafme & fans trop de recherche
du côté du faire, a fouvent plus de droit à être-
nommé un ouvrage achevé, que celui qui a coûté
à l’Artifte beaucoup de temps 8C de foins.
Certains tableaux de Rimbrand , de Luc Jo rJ
dans , de Rubens, faits, pour ainfî dire , par in£
piration & au premier coup , peuvent être regardés
comme des ouvrages achevés dans leur genre ,
plus juftement quant à l’efprit de l’Art, que plufîeurs
ouvrages de Vand e rv e rf, l’un des,Peintres les
plus précieux qui loient connus.
Les tableaux de ce Peintre font le plus ordinairement
des ouvrages f in is & très - terminés-,
i tandis que plufîeurs de ceux des autres Artittes
dont j’ai parié, lorfqu’ils ne font pas à leur point de
vue, ou qu’ils font offerts à des yeux peu infîruits,
ne paroiflent que des ébauches.
Pour exprimer ce que l’on entend par le mot
f in i , lorfqu’on parie des Peintres précieux,, on. fe
fert encore des mots léché, carefle.
On dit des tableaux de Mieris & de Girar-
doux , qu’ils font précieux, fin is , careffés, léchés„
On les appelle précieux, vrai-femblafllement
parce que le temps néceflaire aux Artiftes , pour
les porter à ce point, ne leur permettant pas d’en
faire un grand nombre, leur rareté les place au
rang des objets précieux.
On fént aifément, d’après ce que j’ai dit juf-
qu’i c iq u e lorfqu’on demande à un Peintre, fî le
tableau qu’il a promis eft achevé y l’on donne à
ce mot un fens qui n’a pas de rapport à l’Art en
particulier & qui appartient à la Langue générale.
Il eft ihjufte fans doiite d’exiger & a attendre
des jeunes Artiftes des ouvrages achevés en prenant
ce mot'dans le fèns relatif à l’A r t ; mais on
a droit fùr-tout dans les Écoles , de lés exhorter
à prendre l’habitude $ achever les ouvrages qu’ils
I commencent.
Rien
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Rien de plus ordinaire que de voir faire des
efquiflès & ébaucher des compofîtions. Rien de
plus rare que de voir achever ces entreprifes.
S’accoutumer à finir efl cependant un moyen
d’exécuter enfin des ouvrages qui méritent le nom
d'achevé. .
Quant au terminé 8c au précieux, fouvent une
patience froide & le temps y conduifent ; mais en
finiflant trop de cette manière, on eft loin d’offrir
des ouvrages achevés\.
Toute manière dé peindre eft généralement
bonne, ce principe eft prouvé par les beaux ouvrages
exécutés par tous les différens moyens de
l’Art. Cependant,' on doit en effet préférer celle
qui convient le mieux à l’ouvrage qu’on entreprend.
-
Peignez donc d’une manière la rg e , par maffes
& à grands effets, les ouvrages qui occupent, un
vafte efpace, ceux qui font dèftinés à être regardés
de loin & dans un point de vue fort élevé.
Si vous allez en Italie , vous obferverez que les
plus célèbres Maîtres, en exécutant ainfî les grands
ouvrages ont fait des ouvrages achevés.
Careflez les tableaux qui doivent être expofés
fous la vue, fur-tout s’ils repréfentent des objets
aimables qu’on fe plaît dans la naturè à voir de
près , & que l’oe il, pour ainfî dire , carefle en les
regardant ; tels font les charmes détaillés de la
beauté, les formes & le coloris des fleurs. Celui
qui s’occupera de vos imitations exigera de votre
pinceau une partie du plaifîr qui le fixe fur ces
objets, Iorfque la nature les lui préfente. 11 voudra
que l’image que vous en faites , les rappelle à
fon imagination avec tous leurs charmes. Vous ne
remarquerez peut-être qüe trop d’ailleurs que le
précieux eft un moyen prefque sûr d’attacher ceux
qui ont peu de connoifl'ance de la Peinture ; mais,
à cet égard, penfez aufli qu’il eft contraire au véritable
intérêt de l’Art de fe prêter aux defîrs.de
l’ignorance. Ce font les fiiffrages des hommes
infîruits & de la clafle la plus intelligente, qui
vous afliireront une réputation durable, & c’eft
en fachant terminer & cependant n’être précieux
qu’à propos & avec une jufte mefùre, que vous
atteindrez la perfection.
A C T IO N , ( fubfl. fém. ) On dit : Cette figure a de Vaction.
Cette phrafe fîgnifie qu’une figure deflinée,
peinte ou fculptée paroît agir.
On dit aufli d’un Comédien : Cet Acteur a de î action, efl fa n s action. L e Comédien eft regardé
comme figure du tableau que le Théâtre préfente
aux Speétateurs.
On dit encore qu’une figure a du mouvement,
& l’on penfe communément que dans cette manière
de s’exprimer, mouvement 8c action, font
à-peu-près fynonymes ; mais il n’eft point de véritables
fynonymes, & je crois que dans le langage
.de la Peinture, on peut diftinguer Y action du Beaux-Arts. Tome I.
A C T
mouvement> j’ajouterai qu’il efl aufli des paflîons
qui ne produifent ni action ni mouvement, 8c qui
ont une exprejfion très-caraClérifée. Telles font
l’abattement, la volupté , la mélancolie , dont les
exprejfions, la plupart p a jfiv e s , arrêtent le mouvement
8c fufpendent Y action , plutôt qu’elles ne
font agir & mouvoir ceux qui en font affedés.
D’une autre p ar t, confîdérez des hommes qui
marchent avec vîtefïè, qui rament avec fo rce ,
qui arrachent un arbre , qui tirent un poids con-
fîdérable ; ces figures ont de l’adion , du mouvement
, 8c ne font affedés d’aucune de ces impref
fions de l’ame qu’on nomme p a jjio n s , auxquelles
le mot d’exprejfion eft principalement confàcré.
J J action peut n’exiger du mouvement que de
quelques parties, fans que la figure fe déplace ;
le mouvement donne une idée plus générale de
déplacement, & Yexpreffion des grandes paflîons
veut que toutes les parties du corps participent
de l’affedion qui occupe & détermine l’ame , fbit
que la figure agifle ou n’agiflè pas.
Quelques exemples donneront une idée plus
fenfîbie de ce que je viens de défîgner. Salomon
eft rèpréfènté aflïs fur fon trône : il a avancé
un bras pour ordonner de partager en deux un
enfant que l’on tient devant lui ; je fiippofè que
le vifage du Pririce fbit entièrement caché : fon
gefte feul peut autorifer à dire que cette figure a
beaucoup d'action. Il ne me paroîtroit pas aufli
jufte de dire qu’elle a du mouvement, puifqu’un
feul gefte produit en elle ce que j’appelle action.
Une femme court fe jetter entre deux com-
battans : toutes les parties de fon corps paroif-
fent concourir à la précipitation de fa courfe ;
elles font repréfentées dahs les polirions qui leur
font néceflaires, qu’elles doivent occuper pour
s’entr’aider & pour favorifer l’intention de cette
femme ; on croit enfin la voir changer de place.
L ’on dira : cette figure a beaucoup de mouvement,
8c je crois que le mot action ne conyien-
droit pas autant à cette figure.
Ces deux exemples feront entendre les nuances
peut-être, un peu délicates que je penfe qu’on
peut admettre dans le fens des mots aétion, mouvement
8c exprejfion , appliqués à la Peinture.
L ’action, ainfî que le mouvement, demande
une grande connoifl'ance de l’Anatomie* L e
mouvement en exige fur l’équilibre & la po ndération
, parce que la jufte imitation des apparences
extérieures des membres, des os & des
mufcles dans Yaction, 8c celle de la diftribution
du poids des différentes parties dans le mouvement
peuvent conduire feules l’Artifte à fon
but. ^ Quant à Yexpreffion , qui eft accompagnée
d’adion & de mouvement , il faut joindre aux
fciences pofîrives que je viens de défîgner, une
fcience plus profonde que j’oferai appeller l’anatomie
de l’ame & du coeur, & l’étude des effets
que produit la rupture de leur équilibre moral.