
la nature , que les Grecs admiroient dans les
tapis de Perfe.
Les Perfes , ainfi que les Arabes , ont connu
la mofaique. Cette induftrie eft eftimable quand
e lle reproduit d’ une manière indeftruétible les
ouvrages des grands maîtres : mais fi les Perfes
n’avoient pas de bons tableaux à traduire en
mofaique , qu’ importe qu’ ils aient eu l ’adreffe
de ranger d’une manière folide , des cailloux
le s uns à côté des autres ?
On ne connoît le nom que d’ un feul peintre
Perfan : mais on l’ a retenu , non parce qu’ il
étoît peintre , mais parce qu’ il adapta au chrif-
tianifme l’ ancienne doélrine des deux principes.
D ’ailleurs , tout ce qu’on dit de Mânes eft fort
incertain : il eft même douteux qu’ il ait été
Perfan : on dit qu’ il fe nommoit d’abord Cur-
bicos , ce qui ell: un nom grec. Eft-on plus
certain qu’ il étoit peintre ? On loue le peintre
Giotto en Ita lie , parce qu’ il fit un cercle fans
compas : on loue , dit-on , le peintre Manès en
A fie , parce qu’ il tiroir des lignes droites fans
régie. Cela prouve tout au plus que Manès
avoit de la fermeté dans la main , & l’ adrefle
du Giotto ne prouveroit rien de plus , fi l’ on
ne fa voit d’ailleurs qu’ il fut le meilleur peintre
de Ion temps.
Les Perfans modernes n’ ont fait aucuns progrès
dans les arts. L’Empereur Schah - Abbas
eut le caprice de vouloir apprendre à defliner :
51 fut obligé d’avoir recours à un peintre hol-
landois qui fe trouvoit alors dans fes états.
P e in tur e dans l'Inde & au Tkibet.
Les Perfans modernes peignent des toiles ;
le s Indiens font leurs rivaux dans ce genre
d’induftrie : mais ces peintures font purement
capricieuies. E lles repréfentent des plantes ,
des fleurs qui n’ont aucune exiftence ; elles
ne font eftimées que par l ’ éclat & la folidité
des couleurs.
D’ailleurs l’art des Indiens fe réduit à pré-
fent , comme dans la plus haute antiquité,
à repréfenter des figures monftnïeufes, relatives
à leur religion ; des animaux qu’on né trouve
point dans la nature ; des idoles à plufieurs
bras , à plufieurs têtes , qui n’ ont ni vérité
dans les formes, n i jufteflfe dans les proportions.
On peut en voir quelques exemples dans l’ ou-
vfa e e de M. Holwell.'
J ’ ai vu des peintures originales du Thibet.
E lle s montrent beaucoup de patience , & font
remarquables par la finefle du trait : mais je
parle ici d’ une finefîe ou plutôt d’ une fubti-
lité phyfique , & non de celle qui eft une qualité
eftimable de l’art. Les peintres Thibétains
auroient pû le difpüter à Apelles & à Proto-
•genes pour l’ extrême ténuité du pinceau ; mais
çe »’ eft que dans cette partie qu’ils pourroient
entrer en concurrence avec d’ habiles artïftes.
On peut confulterl’alphabetumThibetanum : on
y trouvera la gravure de quelques ouvrages du
Thibet.
On connoît aufli des idoles thibetaines en
re lie f1, ce font les productions d’ un peuple qui
en eft encore à l’enfance de l’ a r t , & comme
ce peuple eft laid , il n’exprimera jamais l’ idée
de la beauté , qui feule peut conduire l’art à
fa perfeétion. La meme caufe condamne pour
toujours les Chinois , les Calmoucks & la nombre
ufe famille des Mongols à la médiocrité ,
fi pourtant on peut efpérer qu’ ils faffent jamais
aflez de progrès pour y parvenir.
P e in tu r e à la Chine.
Un peintre Italien nommé Giovani Ghi-
rardini a" été à la Chine : c’étoit un artifte
fort obfcur ; mais fou jugement fur le s objets
d’ un art qu’ il exerçoit, & dont il devoit avoir
au moins quelque connoiflanre , eft bien préférable
à celui des voyageurs qui n’en avoient
aucune. I l a prononcé que les Chinois n’a-
voient pas la moindre idée des beaux - arts
& fon jugement eft fortifié par tout ce que
nous connoiflons de ce peuple,
Les Chinois femblent ne pas même foupçon-
ner la perfpeCtive. Us font des payfages &
n’ont aucune idée des plans, aucune du feuil-
ler des arbres, aucune du parti que l ’on peut
tirer des fabriques , aucune de la fuite des
lointains , aucune des formes variées que prennent
les nuages, aucune de la dégradation des
objets en proportion de leur diftance : c’ eft-
à-dire qu’ils font des payfages, qu’ils ne font
guere que^ des payfages, 8c qu’ ils n’en ont
aucune idée.
Chez eux la nature humaine n’eft point
belle-: loin de chercher à l’embellir , loin de
chercher même à la rendre telle qu’ elle eft
ils s’étudient à la rendre encore plus difforme!
Us ont une forte de vénération pour les gros
ventres : ils croyent ne pouvoir donner de trop
gros ventres aux repréfentations de leurs dieux *
une figure courte & ventrue eft pour eux une
figure du ftyle héroïque , un gros ventre eft
le caraftère extérieur par lequel ils désignent
leurs grands hommes. Les figures de femmes-
au contraire minces, allongées, reffemblent à
des ombres plutôt qu’à des êtres vivans.
Pour que les arts fleuriffent , il faut 'qu’ils
foient confidérés & recompènfés. Les peintres
font les ouvriers les plus mal payés de l ’Empire.
Les îgnorans admirent l’éclat 8c la propreté
de leur couleur : mais il faut bien -qu’une enluminure
faite avec des couleurs fans mélange
ait du brillant & de la propreté. La difficulté
de l’ art eft de mélanger 8c de fondre feg cou--.
leurs fans les tourmenter & les falir : mais lès
Chinois ne peuvent fuccombèr aux difficultés
de l’ art , puifqu’ ils ne connoiflent pas même
l ’art. .
U faut bien avouer que leurs couleurs naturelles
font plus brillantes que les nôtres : Il
c ’eft un mérite , c’ eft celui de leur climat oc
non de leur talent.
Un frère Jéfuite qui , dans fon enfance ,
avoit été broyeur de couleurs , fût élevé au
rang de premier peintre de la cour : les Chinois
admirèrent la fupériorité de fon talent ;
jamais Raphaël ne jouit de tant^ de gloire.
L ’éclat que fes fuccès donnèrent à fa place la
fit envier par les pères , qui depuis s en font
toujours confervé la pofleffion. On fait que les
batailles envoyées de la Chine pour êtes gravées
à Paris étoient l’ouvrage des per es Je -
fuites : il s’ en faloit beaucoup qu’ aucun Chinois
fût capable de faire ces mauvais dellins,
qui ont été corrigés par un artifte célébré , M.
Cochin , avant que ' d’ être diftribues aux graveurs.
Je me fouviens que nous admirions ,
en examinant ces ch e fs -d ’oeuvre , qu aucun
cheval ne touchât la terre , qu’aucune figure
ne portât d’ ombre.
En général , les Chinois , comme tous les
Orientaux, ne connoiflent qu’ un petit nombre
de traits qu’ils répètent toujours. Ils multiplient
tant qu’ on veut les figures, mais toutes fe reffemblent.
. '
Dans les ouvrages de poterie , qu on peut
regarder comme des. dépendances de la fculp-
ture y on ne remarque aucune fcience des formes
, aucun fentiment des mufcles les plus
fenfibles , aucune idée' de proportion. Enfin ils
ne font pas aux premiers élémens de 1 etude de
la nature -, loin de l’ avoir obfervéë , a peine
lemblent-ils l’ avoir regardée. On peut croire
que perfonne ne fe doute, dans tout 1 Orient,
que l’anatomie puiffe avoit quelques rapports
avec les arts qui appartiennent au deflin. Quelques
tètes ..faites par un Chinois , ont une forte
3 e vérité , mais d’un choix bas & vicieux.
L ’ampleur des draperies cache toutes les parties;
mais on fent qu’ on n’ a pas même penfé qu’ elles
exiftoient fous les draperies : on ne voit que
les extrémités, & elles font mal faites. I l faut
cependant avouer que fl la (culpture eft très
Biauvaife à,la C h in e , elle a du moins quelque
fiipériorité fur la peinture.
Peintoke che\ Us Etrufques.
Les Orientaux femblent deftinés par la nature
à ébaucher tous les genres d’ induftrie ,
à n’ èn perfeétionner aucun. S’ ils font entrés
dans la carrière des arts avant tous les peuples
de l’Europe , ils fe font arrêtés dès les
premiers pas.
Ce font les anciens habitans de la Thufcie
ou E trur ie , qu’on nomme aujourd’ hui la Tof-
c an e , qui les premiers ont fondé les arts fur
l’étude de la nature , qui les premiers ont joint
l’ idéal à cette étude. Nous parlerons avec plus
d’étendue des différens périodes de l’art che«
ce peuple , lorfque nous traiterons l’hiftoire
de la fculpture. Nous nous contenterons d’ob-
ferver ici q u e , dans les monuméns étrufques
qui ont été refpe&és par le temps, on recon-
noit un premier ftyle qui eft celui de l’ enfance
de l’a r t , & un fécond ftyle dans lequel
on obferve le même caraftère q u i , chez
les modernes, diftingue les artiftes florentins ;
plus de grandeur que de g râ c e , plus de fierte
que de précifion 8c de beauté , de l ’exagération
dans le caractère du deflin & dans les
mouvemens. C’étoit dans cette exagération
qu’ ils plaçoient l’ idéal.
Pline dit que la peinture étoit déjà portée
à la perfeélion dans l’Italie avant la fondation
de Rome : peut-être ne veut-il parler que
d’ une perfeétion relative à l’ état d’enfance où.
l ’art fe trouvoit encore dans la Grece : mais
enfin il femble que , de fon temps , les peintures
de Coeré, ville de l’Etrurie , foutenoienc
encore les regards des connoifleurs.
C'étoit vrailemblablement de l’Etrurie que
le Latium mandoit les artiftes qui décoroient
fes villes : tel dut être celui qui peignit à
frefque à Lanuviinn une Hélene 8c une Ata-
lante dont on admiroit la beauté. Le temple
étoit en ruines du temps de Vefpafien, & cependant
ces peintures n’étoient pas encore endommagées.
C’ étoit peut-être aufli de l’Etru-
rie qu’ étoit forti ce Ludius Helotas , qui ,
avant la fondation de Rome , peignit à Ar-
dée la coupole du temple de Ju non, & dont
l’ouvrage confervoit encore fa fraîcheur dans
le premier fiécle de notre ère. Pline dit , il
eft vrai , que cet artifte étoit originaire de
l’Etolie -, mais fes peres pouvoient s’ être éta-
blis dans l’Etrurie avant fa naiflance. On ne
peut guères foupçonner qu’ il eût appris fon art
dans la Grèce , puifqu’alors cet art paroît y
avoir été loin encore de l’époque où il devint
floriflant. Je n’écris tout cela qu’avec un ef-
prit d’ incertitude ; parce que le récit de
P lin e , qui peut feul me conduire , eft fort
embarrafle.
Les feules peintures qui nous reftent des
Etrufques ont été trouvées dans les tombeaux
de l’ancienne Tarquinie. On y voit de longues
frifes peintes , & des piiaftres ornés de grandes
figures qui occupent depuis la bafe ju f-
qu’ à la corniche. Ces peintures font exécutées
fur un exduit épais de mortier •, plufieurs
font d’une bonne confervation -, d’autres ont
été prefqu’ en fièrement dévorées par l ’air qui
j a pénétré dans ces fouterrains, Winkelmann