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» peuvent être fuppofées toutes dans l'ombre que
» par le moyen de quelque corps folide, qui les
» prive de la clarté du grand jour ; & cette pri-
» vation, comme on le vo it, ne leur fait jamais
» perdre leur propre couleur. Il h y a que dans
» les côtés où les reflets ne peuvent aller , que
»' les couleurs fe confondent, & qu’il eft permis
» de pouffer ces bruns, autant qu’on & • veut,
». ou qu’il eft néceffaire pour l’effet général de
» la machine. »
Ce que M. de l’Argillière avoit encore plus
de peine à comprendre, etoit de voir des Peintres
d’une réputation établie, qui fe fervoient
de ce repouffoir dans des fujets de grande com-
pofidon , dont la fcène fe paffoit en pleine campagne.
L à , ces grandes maffes ombrées ne peuvent
cependant 1 être qiie par un nuage. Tous
lés jours la nature nous offre cet accident, mais
il ne produit pas les repouffoirs dont je parle.
Qui de nous ne fe fouvient pas combien il eft
éloigné de ce noir outré & égal; combien dans
ces maffes privées de lumière, les couleurs locales
confervent leurs nuances & leurs variétés,
& combien avec cela , ces maffes fe détachent
de celles qui font éclairées par le grand jour,
fans montrer rien.qui nous oblige a les barbouiller
& à les noircit, comme font ceux qui émployent
le repouffoir? Ce. n’eft pas que je veuille due
qu’il ne puiffe l’être quelquefois & fort a propos,
parce que le fonds en eft dans la nature, ainfi '
que celui des autres effets ; mais il faudrait en
remployant, la confulter exaflement. Elle apprendrait
à celui qui ne les aurait .jamais employés
que par routine & d’un même noir d’un
bout à l’autre, que par-tout où fe trouvent les
grands bruns , certainement' fe trouvent aufli les
Brands clairs, & que fout le refte fe dégradé,
mais avec des maffes Variées de couleurs
Celui qui obferve bien n’auroit qu’a voir comment
les bons Peintres Flamands s’y font pris pour
trouver des repouffoirs. Il connoîtroit bientôt
que ce n’eft qu’en puifarit dans cette fource
due findique i c i , & qui donnera à ceux qui
v ont recours , cette vérité & cette variété
dont nous ne fonimes peut-etre pas allez jaloux-.
Ceux qui ne connoiffent que ces repouffoirs tous
noirs qu’on place fur les plans de devant, feraient
t ie n étonnés fins doute, fi on leur propofoit
d’employer les plus grandes forces en brun fur
le fécond plan. -
Ceft pourtant un effet quils' vérifieraient fou-
vent s’ils sTiabituoienf à lire la nature, & qui
pour*avancer 'ou éloigner leurs objets , leur
fournirait-des reffourees infinies. Et_comment?
Par les effets de la lumière, qui donneront
aux plans une gradation bien plus étendue
qu’on n’en peut donner à ces plans qui font
comme entaffés les uns fur les autres. En forte
que tel qui dans ces plans par échelons , ne fau-
roit OÙ mettre le nombre de figures qutl vou-
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droit faire entrer dans f i compofition, fe trouverait
ici avoir de la place de relie.
J ’ai vu nombre de fois dans la nature le grand
effet que produit la maffe brune placée für^ le
fécond plan. J e me fouviens entr’autres dun
grand bâtiment qui étoit en oppofition fur une
futaye. Comme le tout étoit éclairé un peu par
derrière, la-maffe de cette efpèce de foret etoit
très-brune, '& le bâtiment qui étoit privé de
lumière , fe détachoit deffus en reflets. Tout ce
qui étoit fur ce devant ne tenoit en aucune fa-*
- çon de cette maffe brune , & les groupes -, ■
ètoienr à portée de recevoir la lumière étoiî n3
d’un brillant admirable.
Dans l’exemple dont il s’agit i c i , c’eft un
principe capital que lorfque cette force en brun
eft établie fur le fécond plan, tout ce qui fe
trouve fur le devant eft clair & vague» Quand
même les objets établis fur ce devant feroient
fùppoles privés de lumière, ils ne doivent participer
en rien des forces qui fe trouvent fur le
fécond plan , & doivent, tout privés qu’ils feroient
de lumière, faire malle deffus en reflets
& d’un ton fubordonné. Ce qui n’exclud point
pourtant l’emploi de certaines touches vigou-
reufes, parce que, ne faifant point maffe, elles
ne perceront jamais avec -le fonds.
L ’intelligence des maffes eft écrite dans toute
la nature. §uivez-la avec attention ; elle ne man-
' quèra en aucun temps de vous' les montrer toutes
déterminées. '
Ceft l’étude du monde la plus agréable & qui
. vous ferait le plus de bien.
Oui, je voudrais, quand vous auriez un ta -
; bieau dont la fcène feroit en pleine campagne ,
i que vous vous y portaffiez avec deux ou trois,
amis bien unis par l’amour du travail; qu’après
avoir trouvé un âfpeô ou un effet à peu près
convenable à votre fujet, vous, vous mifliez. à-
. eh faire quelques bonnes études , tant par rapport
à la forme & à la lumière , que pour la
. couleur ; qu’ayant bien arrêté vos plans , vous
mifliez deffus quelques figurés dans les endroits
; où vous auriez deffein de les placée dans votre
compofition, pour voir l’effet qu’élles y feroient
& par leur couleur & par leur grandeur.
Deux d’entre vous ou quelqu'un pris fur les
lieux peuvent remplir cét objet, parce que vingt
figures ou une , c’eft le même principe. J ’efpèrè
que vous fentez que, moyennant ces précautions ,
vous feriez des chofes au-deffus de ce que l’on
fait communément:, & que vous acquerreriez un
fonds, d’intelligence qu’on ne peut efpèrer de
trouver dans le (impie raifonnement. Sentez encore
combien il vous eft aile de faire cette pro-
vifion de fivoir par les facilités- que vous offre
la nature qui vous fend partout les bras.
Car elle ne vous eft pas moins lècourable dans
les Injets que vous avez à traiter fur un fonds
d’Architeâure, de ceux dont faâion principale
fe
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fe doit pafler dans un Temple, dans un Palais
ou tout auprès. Elle ne vous préfente pas à la
vérité ces édifices tout jufte comme il vous les
faut ; mais elle vous offre des moyens pour fup-
pléer à ce qui manque, & ces moyens font les plus
fimples du monde.
Par exemple, la fcène de votre tableau fup-
pofe-t-elle le dedans d’un Temple, entrez, dans
une Eglife ancienne ou moderne, vieille ou
neuve , fuivant que l’exigera votre fujet. Examinez
bien ce qu’y produiront les perfonues que
vous y trouverez, fi çlles font maffes colorées
contre l’Architedure, ou quel autre effet elles
y feront; quel eft celui quelles feront par rapport
au f@l ou au pavé de l’E g life , fuivant qu’il
fe trouvera éclairé par les lumières qui entrent
par les croifées. Faites bien attention à l’a lueur
qui environne ces points de lumière, à la façon
dont la lumière fe dégrade ; aux ombres de
l’Architedure, par rapport a celles des figures,
à ce que les différentes couleurs des habillemens
font les unes contre les. autres. Vous verrez
prefque toujours toutes vos figures colorées contre
les maffes de l’Architedure. Elles fe détacheront
fur le pavé en brun , & auront fans équivoque
l’air d’être debout fur leur plan , & vous ne tomberez
pas dans le défaut affez commun de les
faire paroître couchées par leur lumière. La
nature vous fera voir qu’il eft faux que des pieds
bien éclairés fe puiffent trouver fur un pavé ou
lur une terraffe fort brune : quand même ils po-
feroient fur une étoffe noire , elle feroit maffe
claire avec e u x , & ils n’en feroient détachés
que par leur propre couleur, mais avec cet accord
que donne la lumière q u i, frappant fur
ces pieds, frapperoit également fur l’endroit où
ils feroient pofés. ^
Ce dernier principe fait encore bien le procès
à ceux de nos jeunes Peintres qui cherchent à
jetter de la poudre aux yeux, par dés effets de
lumière hafardés, quoiqu’impoffibles. Nous pouvons
, je crois, mettre de ce nombre ceux qui
dans une fimple demie figure , pour faire valoir
un bout de tête , & faire briller un 1 coup de
clair fur le front & fur le menton, couvrent
tout le reffe de leur tableau d’un noir général.
Rembrandt, quand il donnoit dans ces fortes
d’effets , employoit un art infini pour les autorîfer
à peu prés , ou du moins en rachetoit l’abus par
de grandes beautés. Ceux qui les tentent fans
avoir un certain fonds de ces principes, donnent
dans un faux infoutenable. Ils tirent leur tête
en avant par fa lumière, & par leur grand noir
enfoncent les épaules & le refte du corps au
dedans & à une diftance prodigieufe. Si le jour
donne fur la tête en plein, il eft difficile de préfumer
que le bufte puiffe être dans l’ombre; mais
en le fuppofant même privé de lumière, il ne
fauroit être d’un noir fi outré, & doit néceffai-
rement être de reflet ; finon il doit faire maffe
Beaux-A rts, Tome /,
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claire avec la tête , fauf à Ce ménager par les
couleurs locales, les oppofitions par lefquelles
on la veut faire briller. Il n’y a que ces deux
moyens pour la faire tenir enfemble avec le
corps.
Lorfque'j’ai dit que vos figures tiendront p re fque
toujours leurs maffes colorées contre vos
fonds d’Archite&ure, c’eft en rationnant fur le
pied de la pratique ordinaire, félon laquelle,
comme vous lavez , tout fonds d’Archite&ure eft
peint de couleur de pierre neuve, fût-il com-
pofe de fabriques à demi dégradées & ruines.
Si vous voulêz avoir des figures qui foient oppo-
fées en clair fur leurs fonds, il faut aller voir
de vieilles Architectures brunes , verdâtres ,
ou bleuâtres, elles vous guideront pour cette
intelligence , comme feront les neuves pour
l’intelligence oppofée ; les clairs de vos figures
foit ceux des chairs, foit ceux des draperies,
fe détacheront par leurs couleurs , & les ombres
par leur force. Quand une fois vous aurez donné
au tout un bon ton de couleur, tenant bien
fa maffe , vous la travaillerez comme vous voudrez
, & pourvu que vous n’y faffiez pas de
petites; parties , votre effet eft sûr.
Ainfi que je viens de vous l’infînuer, ces principes
vont à tout; & fi vous voulez bien être un peu
foigneux à les appliquer, vous y trouverez partout
vôtre compte. Si vous étudiez un fonds de
payfage, faites la même chofe que je viens de vous
indiquer, pour le fonds d’Architedure. Confidérez
d’après le naturel, l’effet que vos figures feront contre
les arbres & contre ieslointains; vous y verrez
des couleurs que l’on ne peut rendre par fouve-
n ir , parce que c’eft la lumière qui donne le ton
vrai à tous les plans en général & à tous les
objets en particulier.
En vous faifant une règle de cette conduite,
vous éviterez bien des fautes où la fimple pratique
jette Ibuvent. Par exemple , j ’ai remarqué
dans bien des tableaux de bons- Maîtres , des
objets éclairés centre un ciel clair , quoique rien
n’indiquât que ces objets fullent éclairés par un
coup de fbleil. Si ces Maîtres avoient con fuite
la nature, elle leur auroit fait voir que cet effet
eft tout à fait contraire a ceux qu’elle produit,
elle leur auroit montré que tout objet, fut-il blanc,
tient fà maffe colorée contre le c ie l, pour ne
pas dire brune, quand il n’eft pas éclairé du fble
il, & que ce n’eft que quand il l’eft que les
coups de lumière font clairs contre le c ie l, &
d’un clair toujours coloré. Les ombres que porté
toujours cet objet, deviennent en même tems
plus vaporeufes, à mefùre qu’il eft plus élevé ; &
plus fortes, à mefùre qu’il eft plus proche de la
terre.
r Dans les objets qui ne font éclairés que du
jour naturel, c’eft-a-dire, fans effet du fo le il,
comme par exemple, dans une figure étant debout,
le haut eft toujours plus fort dans les om- 1