
premiers de ceux qui parlent aux yeux *. la puif-
lance de fon art va julqu’ à l’ enchantement.
I l a plus d’expreffion que le Titien, il eft
plus brillant & moins v r a i, & il lui cède pour
le choix des formes, quoique le Titien lu i-
même n’ait pas été loué pour ce choix.
I l cherchoit plus que le Correge les preftiges
du clair-obfcur j mais il n’ en avoit peut-être pas
autant la v ra ie , la profonde fcience. I l étonnoit
plus -, mais le Correge eft peut-être plus admirable
en n’ employant que des moyens plus fimples.
La manière de peindre de Rubens étoit de pofer
chaque teinte en fa place ,* & près l’ une de
l ’autre , & de n’ en faire le mélange que par
un léger trayail de la brofie ; on connoît, on
lit dans fes ouvrages la manoeuvre de l’ouvrier.
L e Titien fondoit tellement fes teintes q ue ,
comme dans la nature , on ne peut marquer
• i l elles commencent & où elles finiffent :
l ’effet fe remarque , 1 e travail eft caché. Ainfi
Rubens eft plus éclatant, & le Titien plus
harmonieux. Dans cette partie, Rubens appelle
plus*, le Titien arrête davantage. Les carnations
du Titien femblent des chairs véritables*, celles
de Rubens font brillantes comme du fatin : quelquefois
fes teintes font fi fortes & fi féparées
les unes des autres qu’ elles femblent des taches.
L e Titien eft parvenu à l’ harmonie par l’ infinie
variété de fes teintes qui fe confondent les unes
dans les autres \ Rubens ne fembloit arriver à
cet accord qu’à force d’ employer une grande
diverfité dé couleurs & de forts reflets d’une
couleur dans l ’autre. Quelquefois ces reflets
outrés font paroître chez lui les corps comme
s’ il étoient diaphanes.
Mais laiffons parler fur Rubens un artiftecélè- ;
bre. » On peut confiderer ce peintre, dit M.
» Reynolds comme un exemple remarquable d’un
» elprit qui fë montre le même dans les différentes
» parties de l ’art. Cet accord des différentes
» parties eft fi grand dans fes ouvrages, qu’ on
» peut dire qne s il avoit été plus parfait ou
» plus vrai dans quelques .unes d’ e lle s , fes
» ouvrages n’auroient pas eii cette perfection
» d’enfemble qu’on y trouve. S i , par exemple,
» il avoit mis plus de pureté & de correction
» dans fon deffin , fon défaut de fimplicité dans
» la compofuion , dans le coloris oc dans le
» jet des draperies nous frapperoit davantage.
» L’ art fe fait trop appercevoir dans fa com-
» pofition^ fes figures ont de l’exprefîion , &
» leurs attitudes font pleines d’énergie ; mais
» elles manquent de fimplicité & de nobleffe.
» Son coloris , partie dans laquelle il excel-
» loit fur-tout, eft néanmoins trop, brillant &
» trop varié. Ses ouvrages manquent en général,
» & en égale proportion, de cette délicàteffe
3> dans le choix & de cette élégance dans les
» idées qui font néceffaires pour parvenir à la
» plus grande pçrfe&ion de. l’ art j mais c’ eft à
» ce défaut qu’on peut en quelque forte attribuer
» l’éclat dont brille dans fes compofitions la
» la beauté de fon ftyle inferieur. I l eft vrai
» que la facilité avec laquelle il inventoit,
» la richeffe de fa compofition , l’éclat féduifant
» & la beauté de fon coloris eblouiffent a tel
» point la vu e , qu’auffitôt qu’on a fes ouvrages
» devant les y e u x , on ne peut s’ empêcher de
» croire que ces beautés tachettent amplement
ja fes défauts «.
Le tableau de la defcente de croix à Anvers
eft regardé comme le chef-d’oeuvre de Rubens.
Deux hommes d’ un mérite différent en ont parlé.
L’un en a décrit un acceffoire, 8c a mis quelque
chaleur dans fa defcription •, l'autre en a
décrit la figure principale avec tout le feu qui
animoit Rubens au moment où il la peignoit.
» R u b en s, dit l’ abbé Dubos, fans mettre
» dès diables à côté de fon mauvais Larron ,
» comme l’avoient pratiqué plufieurs de fes de-
» vanciers, n’a pas laifïe d’ en faire-un objet
» d’horreur.. . On voit par la meurtriffure de la
» jambe de ce malheureux, qu’ un bourreau
» l ’a déjà frappée d’ une barre de fer qu’il tient
» à la m ain.. . . Le mauvais Larron s’eft foulevé
» fur fon g ibet, & dans cet effort que la douleur
» lui a fait fa ire , il vient d’ arracher la jambe
» qui a reçu le coup, en forçant la tête du
» clou qui tenoit le pied attache au poteau
» funefte. La tête du clou eft même chargée
» des dépouilles hideufes qu’ elle a emportées
» en déchirant les chairs du pied à travers
» lequel elle a paffé. Rubens qui fa vo it‘fi
» bien en impofer à l’oeil par la magie de Ion
» clair-obfcur, fait paroître le corps du Larron
» fertant du coin du tableau dans cet effort.. . . .
» On voit de profil la tête du fupplicié, &
» fa bouche, dont cette fituation fait encore
» mieux remarquer l’ouverture énorme, les yeux
» dont la prunelle eft renverfée , & dont on
» n’apperçoit que le blanc fîllonne de veines
» rougeâtres & tendues , enfin l’aétion vio—
» lente de tous les mufcles de fon v ifa g e ,fo n t
» prefque ouir les cris horribles qu’il jette ».
On'peut lire ci-deffus , article Convenance ,
ce que M. Falconet a écrit fur la figure principale
du même tableau.-
« Pourquoi, dit aifîeurs le même artifte,la Ju-
» dith de Rubens fa it-elle frémir? Pourquoi
i » laiffe-t-elle dans l’imagination des traces pro-
» fondes ? C’eft qu’ il a montré une bouchère
» qui hache le cou d’ un homme endormi. Le
» fang jaillit fur les bras de l’ exécutrice , Ho-
» lopherne lui mord deux doigts de la main
» qu’elle appuie fnr fon vilage. Rubens a. peint
» une Ju iv e infpirée -, il a déployé toute l’ hor-
» reur du fujet. Peignez les moeurs , le carac-
» tère des perfonnes , des nations ; vous pein-
» drez la nature ».
L 'école Flamande dont Rubens eft le plus
grand maître, joint à l’ éclat dé la couleur & à |
la magie du clair-obfcur , un deffin favant quoiqu’
il ne foit pas fondé fut le choix des plus belles
formes, une compofition qui a de la grandeur, -
une certaine nobleffe dans les figures , des ex^~ ;
preffions fortes & naturelles , enfin, une forte
de beauté nationale qui n’ eft ni celle de 1 an-
tiq u e , ni celle de Ÿecole Romaine ou Lombarde,
mais qui eft capable & même digne de plaire.
L’ école H ollandoïse , fi l’on veut en parler
en général & fans avoir égard à de nombreufes
exceptions, ne poffede de tous ces avantages
que celui- de la couleur. Loin de s’ occuper de
la beauté des têtes 8c de celle des formes , elle I
lemble fe plaire à l’ imitation des formes les
plus baffes j des têtes les plus ignobles. Les Tu jets
les plus abje&s font ceux qu’elle préfère, des tavernes
, des forges, des corps-de-garde, des
fêtes de payfans greffiers. Elle réuflit a rendre
les expreffions ; mais ce font celles des pallions
qui rabaiffent l’ humanité 8c non celles des affections
qui l’anobltffent : on diroit qu’ elle s eft
fait un art de dégrader à la fois l’ame & le corps
de l’ homme. C’ eft cette école dont aujourd’hui
les ouvrages font les plus recherches en France.
I l faut convenir qu’ elle a , dans certaines 1
parties de l’art , des fuccès qui la diftingûent.
Si elle ne choifit qu’une nature baffe pour objet
de fon imitation , elle rend cette nature avec la
plus grande vérité, & la vérité atoujours droit
de plaire. Ses ouvrages font de la plus grande
propreté , du fini le plus précieux. E lle réuflit a
produire non les effets les plus favans & les
plus difficiles du c lair - obfcur ; mais ceux qui
font les plus piquans : tels que ceux d’ une
lumière étroite dans un efpace renfermé 8c de
peu d’étendue , d’ unè nuit éclairée par la lune
ou par des flambeaux, de la clarté que répand
le feu d’ une forge. Les Hollàndois entendent
bien l’ art des dégradations de la couleur , celui'
des oppofitions , & font par ce dernier moyen
parvenus à peindre la lumière elle - même. Ils
n’ont pas de rivaux dans la peinture du payfage
confideré comme la repréfeniation fidelle, & ,
s’il eft permis de parler ainfi, le portrait d’ une
campagne particulière -, mais ils font loin d’égale
r le T itien , le Pouffin , Claude le Lorrain ,
& c. qui ont porté à un degré éminent l’ idéal de
ce genre , & dont les tableaux , au lieu d’ être
la représentation topographique de certains
lieux , font le résultat compofé ae toutes les ri-
cheffes que leurs auteurs ont trouvées dans leur
imagination , 8c de toutes celles qu’ ils ont ob-
fervées dans la nature. Les Hollàndois fe dil-
tiguent auffi par la repréfenration des perfpcc-
t iv e s , des-ciels, des marines, des animaux,
des fruits , des fleurs, des infe&es , 8c par des
portraits en petit. Enfin tout ce qui n’ exige
qu’une im tation fidelle r de la couleur & un
pinceau précieux eft de leur reffort.
Ail Fefte la Hollande a produit de bons peintres
d’ hiftoire , tels qu’O&ave Van -Veen ou Otto-
Venins, qui étoit de L e yd e , d’ excellens peintres
de portraits en grand, tels que H an d e r-h e ljl,
l’émule & peut-être le vainqueur de Vandick :
mais ce n’ eft point. par le cara&ère de ces
grands artiftes qu’ il faut fpécifier le fty le hollandais.
On ne trouvera pas non plus l’origine de ce
ftyle dans L ucas de L eyd e , qui cependant ,
par le temps où il a vécu , doit être regardé
comme le patriarche de l'école Hollandoije. Sa
manière appartient plutôt au ftyle gothique,
qui étoit celui des premiers peintres Allemand*
fes contemporains. I l naquit à Leyde en 1 4 9 4 »
Son père., nommé Hugues Jacobs ,fiit for. premier
maître. I l eft du petit nombre des hommes
célèbres à qui la nature s’eft plu à épargner le
temps de l’enfance : fes premiers jeux'furent
l’étude de la peinture & de la gravure -, dès
l’âge de neuf ans, il mit au jour des fujets que
lui-même avoit compofés, & trois ans après il
étonna les connoifllurs 8c les artiftes par l’ hif-
toire de Saint-Hubert, peinte en détrempe. Son
eftampe de la tentation de Saint-Antoine qu’ i l
grava à l’ âge de quinze ans, eft d’une invention
plus agréable que celle de Callot -, il y a
repréfenté le démon qui a pris pour féduire le
Saint la figure d’une jolie femme. L’ eftampe
de la Converfion de Saint-Paul qu’ il grava la
même année eft eftimée par la jufteffe de l’ ex-
preffion, par des ajuftemens vrais à la fois
& pittorefques , & par l’ intelligence du burin.
I l a fu éviter la confufion & répandre une
grande vérité dans fes fujets d’ hiftoire , & il
a furpaffé Albert Durer dans la compofition
parce qu’ il avoit mieux approfondi les principes
de l’art. Les peintres peuvent puifer çes prin r
cipes même dans fes ouvrages gravés , & à peine
pourroient-ils avec le fecours des çouleurs,fuf>
paffer les effets de perfpe&ive aerienne qu’il a
exprimés par le feul fecours du burin. C’ eft la
juftiçe que lui rend V a fa r i, qu’on ne foùpçon-
nera pas d’ avoir voulu flatter un artifte qui
n’étoit pas Florentin. Mais comme un peintre ne
peut réunir au même degré toutes les parties
de fon a r t, Lucas le çédbit à Albert dans la
fcience du deffin.
1 1 peignoit à l’ huile , en détrempe , 8c fur
verre -, il traitoit l’hiftoire, le payfage & le
portrait. On conferve de lu i , à l’Hotel de -ville
de Leyde, un tableau du Jugement dernier d’ une
belle çompofition & d’ un détail immenfe. Les
femmes fur- ont y font délicatement peintes , 8ç
les carnations en font agréables & vraies. On
voit , par ce ouvrage , avec quel foin \\ avoit
étudié la nature. Si l’on fe plaint q-e fes fi t
gures tranchent trop durement avec les fonds ,
fur tout du côté de la lumière, il faut lui patv
donner çe défaut tjui eft plutôt celui du tero*