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préluder fur Ion violon à l’accord pittorefque de
Ion tableau. Il peignoit des chalTes , des fêtes ,
des foires, des payfàges, & les figures dont il
les ammoit étoient defiinées finement, & peintes
avec une couleur vigoureufe & naturelle.
Comment s’efi-il fait que Ion nom , tranfmis
dans le langage de l’A r t , y ait porté plus généralement
le foüvènir de fa di (grâce que de fon
talent. Hélas ! c’eft que la dérifion imprime des
traces plus ineffaçables que la louange. Cette réflexion
un peu trifte prépare le ledeur à apprendre
encore que la vieillefTe de Bamboche ne fut
pas femblable à fa jeunelïè. L a nature, plus lou-
vent bizarre qu’elle n’eft conféquente, après l’avoir
maltraité fans raifon , dédommagé avec u(lire
, parut fe repentir encore de fa juftice & dé-
truifît fa fan té : elle le fit tomber dans une mélancolie
funeffe. Il vécut trop de quelques années
, & c’efl ce trop ou ce trop peu d’exiftence
qui décide du bonheur & de la réputation de la
plupart des hommes. Cette mefure n’eft pas à
notre difpofîtion ; mais on auroit droit de me reprocher
fi je n’en mettois pas une à cette notice
épifodique. J e la termine donc en diiant que,
depuis Pierre de L a a r , on appelle Bambochade,
de fon nom, des figures qui ont l’empreinte de
les difgraces. C’efl ainfi que Calot, en fe permettant
des productions bizarrement ridicules,
quoique deffinées & gravées avec beaucoup d*e£
p r it, a créé un genre de caricatures qu’en riant
on appelle des figures à c a lo t, des figures calo-
tin es.
Au refie , on appelle auffi dans le langage
plus férieux de la Peinture , Bambochade, une
forte de genre qui embrafïè la repréfentation
de la nature ruftique * les habitations des Villageois
, leurs ufages ou leurs moeurs vulgaires.
L e goût devroit préfider au choix de tout
objet qui entre dans les imitations ; mais fouvent
c ’eft le penchant & le caradère de l’Artifie qui y
influent davantage. Moins les objets font impor-
tans , plus il femble que nous avons un jufte droit
de les abandonner à notre penchant, & même à
nos caprices. Auffi dàns les differentes fortes de
Idambochades, les uns choififïènt jufqu’aux baraques
des habitans les plus pauvres de la campagne
; d’autres, comme Teniere, le premier Peintre
de ce genre, fans dédaigner ces indices dé
la misère , peignent les habitations & les hommes
ruftiques: dans la fimplicité qui leur convient
& qui fouvent afinonce un plus Vrai bonheur que
les maifons que le fafle décore.
Lorfqu’on confîdère l’Art d’un point de vue moins
élevé que celui que j’ai ofé prendre à l’article Art
& dans le premier Difcours, toute imitation eft
efiimable , fi elle offre la v é r it é ,.& fi elle efi
conforme aux principes pratiques de la Peinture.
Une Bambochade, peinte avec la plus grande
reffemblance dans les formes , dans la couleur
dans les objets, efi un excellent tableau. Il vaut
B A S
mieux personnellement, fi l’on peut parler ainfi,
qu’un tableau de l’hiicoire la plus importante mal
exécuté, comme un Villageois honnête, de bon
fens. & rempliffant parfaitement fon état, efi
préférable au plus grand Seigneur qui ne fe fou-
met à aucune convenance. L ’ordre hiérarchique,
établi par la nature meme entre les genres de
taiens , & qui doit y^ etre confervé pour leur plus
véritable avantage, ne peut donc nuire à la ju £
tice perfonnelle due aux Artiftes. Aucun d’eux,
fi j ’ai l’avantage d’en etre bien connu, ne pen-
fera que j’aie voulu , dans les notions que j’ai
développées, altérer la moindre fleur de fa couronne.
L e s vrais principes s’établilfenr d’eux-
mémes , ils ne doivent bieflèr perfonne, & les
jugemens particuliers fur les taiens ne font ordinairement
fâcheux que pour-xeux qui n’ont point
de talent.
B A S , ( adj. ) Caradères b a s , genre b a s , voila
ce que le goût épuré exclut de tous les Arts , avec
une répugnance impérieufe ; mais cette exclu-
fion ne demande-t-elle pas quelques adoucifîèmens
& quelques exceptions dans la Peinture, 8c
n’exerce-t-elle pas effedivement des droits moins
rigoureux dans certains Arts que dans d’autres f,
Voilà ce qu’il n’eft pas inutile d’examiner ici.
L a Poëfie, qui ne tombe fous les fens qu’à
l’aide de lignes convenus , ne pouvant préfenter
comme la Peinture une imitation phyfique, ne
peut offrir certaines perfedions d’exécution qu’on
admire dans un tableau.
L e Peintre peut, en imitant un objet, pour
lequel l’efprit fentira quelque dégoût, préfenter
aux y eu x , par l’imitation favante de la couleur &
des formes de cet objet, des beautés qui dédommagent
, en quelque forte, de la répugnance qu’il
caufe en lui-même. Il peut arriver encore que
ces beautés l’emportent tellement, pour des yeux
infiruits, fur le jufte éloignement dont je parle ,
que le Connoiffeur & l’Artifte enfin , s’écrient
dans un mouvement d’admiration: Ah \ que cela
efi beau ! il eft vrai que, par un retour fecret
fur cette expreflion , ils la modifieront, en ajoutant
: Quelle vérité ! quelle couleur ! quel effet i
Pourquoi un f i Ja va n t homme n’a -t-il pa s fa it
un autre choix ?
Ce qu’on peut ajouter , c’eft que, fi l’Artifte
ne paroît pas avoir èu une intention trop marquée
de fixer nos regards fur un objet b a s , par
préférence & comme objet principal. L e fpeda-
teur fera porté à l’indulgence, en (uppofànt toujours
que les beautés de l’Art dédommagent de
ce que le goût & la délicate (Te veulent ffien céder
de leurs droits. Il eft même des occurrences, où
l’on faura gré au Peintre d’avoir hafardé la repréfentation
d’un objet b a s , fi cet objet occafîonne
un contrafte heureux, & s’il relève le prix de la
beauté, en procurant une oppofition ingénieufe.
Reprenons ces divers emplois des.objets baf,
B A S
Nous avons dans un tableau de Morillos, la repréfentation
d’un Mendiant, occupé du foin le
plus dégoûtant que puiffent néceffiter la misère
& la mal-propreté. Ce tableau a mérité cependant
, par la beauté du fa i r e , par la vigueur,
par l’effet, & par une vérité qu’on peut nommer
courageufe pour l’Artifte, de palier fuccefliye-
jnent dans les collections les plus importantes.
Voilà l’exemple fenfible que le bas n’eft pas
auffi févèrement exclu d’un Art que d’un autre;
car je ne penfe pas que, quelqu’effort que fit la
Poefîe, dans une defcription de ce que préfente
ce tableau, elle pût fe faire lire auffi fouvent que
ce tableau fe fait regarder.
Mais il eft à propos , je crois , d’indiquer une
diftindion entre les objets bas & les .objets rebu-
tans. C a r , dans tous les Arts d’imitation, & dans
la Peinture en particulier , un affez grand nombre
d’objets peuvent être rebutans, parce qu’ils offrent
la Nature dans un état qui nous afflige & qui
nous peine, fans que cette Nature foit regardée
comme baffe ,• ainfi la repréfentation des effets
de la pefte doit préfenter les détails les plus affli-
geans, les plus pénibles, les plus rebutans : les
malades, que guériffent les Apôtres, les bleffés
& les morts répandus fur un champ de bataille ,
la plupart dés Martyrs, ou la mort tragique de
plufîeurs Héros offrent le même caradère; mais
tous ces fujets ont des privilèges, les uns fondés
fur l’Hiftoire & dans leur célébrité; les autres,
dans les opinions reçues ou dans des cultes ref-
pedés. D ’ailleurs , ils portent quelquefois avec
eux une inftrudion ou une moralité qui les auto-
rifent à fe préfenter avec les circonfiances qui
doivent frapper davantage & qui nous forceront
d’autant plus à les admirer & à les louer même,
que nous en aurons détourné avec plus d’horreur
nos premiers regards.
S i Fon penfe aux circonftances dans lefquelles
un objet rebutant a droit à l’indulgence & mérite
même d’être loué, on ne pourra difconvenir
que l’oppofition d’un perfbnnage, que la vieillefTe
ou la laideur n’empêchent pas de fe trouver au-
~ rès de la jeunelïè & de la beauté, autorife le
éintre à repréfenter une Duègne décrépite, dont
le caradère n’a aucune nobleffe,à côté d’une jeune
fille qui lui a ‘été confiée par un jaloux, & l’on
fourit fur-tout avec plailir à cet objet ignoble, fi
quelque jeune amant dérobe à fa pupile une légère
faveur, ou lui remet un tendre billet.
L ’Hiftoire , la Fable & l’intention juftifient
donc fouvent, comme je Fai d it , le Peintre du
reproche qu’on feroit prêt à lui faire, de préfenter
des objets b a s , ignobles, défagréables, & l’au-
torifent quelquefois à peindre des objets rebutans.
Irus , mendiant couvert de haillons , combat
avecUlyfle. Une telle oppofition, confaçrée par
Homère, efi juftifiée aux regards des fpedateurs
infiruits , & fi le fiijet eft traité avec la magie
de l’A r t , il aura droit à un fiircroît de louange,
B A S
qu’il tirera de la baffeffe même de l’objet, q ui,
fans la liaifon d’idées que je viens de faire apper-
cevoir , auroit infpirc la répugnance & la désapprobation.
En effet, que penfera le fpedateur féduit par
les beautés de l’Art & inftruit de la moralité du
fujet ? Il fera frappé de l’excès d’abaiffement où
fe trouve un Héros, pourfuivi par la Fortune &
vidime de paflions déréglées.
L a vérité artielle, la vérité hiflorique, la vérité
morale ont par conséquent le droit de faire difpa-
roitre la baffeffe d’un ob je t, quoique le Peintre
habile la rende fenfible par l’imitation phy-
fîque qu’en offre la Peinture ; mais , en faifànt
cette obfèrvation, Fon doit penfer que, fi le goût
national, devenu trop délicat, s’y refufe, il eft
bien près d’être efféminé.
Au refte, je ne prétends pas, dans ce que j ’ai'
d it, faire l’apologie de ce que l’on doit appeller
véritablement b a s , j’ai voulu faire fentir que ,
non-feulement il y a des objets bas qui fe trouvent
fuffifàmment autorifés, mais que la délica-
teflè trop exceffive du goût eft un défaut plus important
dans les Spedateurs qu’un mauvais choix
d’imitation dans les Peintres ; car ce défaut ne
peut influer que fur quelques ouvrages , & l’autre
fubftitue, par un raffinement dangereux pour les
moeurs , une délicateffe qui n’appartient qu’aux
fens, à la véritable fenfîbilité- qui doit appartenir
à l’ame. Les plus légères fenfations de douleur
paroiffent infupportables à des hommes qu’affoi-
blit la molieffè.
Mais pour revenir au fujet de cet article,
j’ajouterai que les Artiftes hollandois fe font permis
plus généralement que ceux de toutes les autres
Ecoles, de traiter des fujets bas ; quelques-uns
mêmes femblent les avoir préférés. Les caractères
des figures & le lieu des fcènes, traitées
par Oftade , B ég a , quelquefois par Tenières &
Rimbrand, méritent la qualification de bas 8c
quelquefois Vignobles. Différentes éaufes y ont
contribué ; les moeurs du temps où vivoient ces
Artiftes , moins de cette urbanité nationale ,•
d’après laquelle nous portons la plupart de nos
. jugemens, peut-être moins de réunions entre ceux
qui exerçoient les Arts ; car ces réunions qui ont
des inconvéniens ont auffi des avantages, puiF-
; que, par la communication des lumières & par
l’émulation, elles élèvent les idées de l’Art ; la
plupart des Artiftes qui fe font diftingués dans
cette Nation, nés avec des difpofitions naturelles
pour l’imitation, guidés par les ouvrages de quelques
autres Artiftes d’un même genre, ou enfin
par la vue d’une Nature p iqu ante, fè font livrés
fans aucune contrainte à leur penchant, ils pei-
gnoient fouvent fans fortir de la maifon bour-
geoife ou champêtre qui les avoit vus naître : ils
vivoient dans des moeurs fi Amples, qu’elles dé?
généroient fouvent en moeurs groflïères ; ils pei-
gnoient les objets b a s , que ces moeurs occafion