
mille a n s , fixée par Platon , comme une époque
précife, nous pouvons la regarder du moins
comme une époque indéterminée qui remonte
à une antiquité inexprimable. Le témoignage
du difciple de Socrate nous prouve donc que
l’ art de peindre etoit fort ancien en Egypte,
que les ouvrages de cet art étoient d’ une
très longue durée , mais q u e , pendant le cours
d’un nombre inexprimable de fiecles , les Egyptiens
n’y avoient fait aucun progrès.
. Nous parlerons avec plus de détail de l’art
des Egyptiens dans l’ hiftoire de la fculpture :
51 fuffira de favoir ici que leurs figures peintes
ou fculptées étoient toujours dans une pofition
très roide , les jambes rapprochées, les bras
ordinairement collés fur les flancs. I l lembloit
qu’ ils euffent pris pour modèles leurs momies
çmmaillottées.
Comme ils ne diflequoient point de cadavres,
ils ne pouvoient connoître ni les véritables
formes des os , ni celles des mufcles , ni leurs
fondions. Aufli ne repréfentoient - ils pas les
mufcles fur leurs ouvrages , pas même ceux
qu’ ils auroient pû connoître à-peu-près en ob-
fervant d’un oeil ftudieux la nature vivante.
On a prétendu qu’ils connoiffoient l ’anatomie •,
mais ce n’ eft qu’un abus de mots. L’anatomie
confiftoit uniquement chez eux dans l’art de
vuider les cadavres pour les préparer à recevoir
l ’ embaumement. Cet art groflier ne les cond
u is it pas à mieux connoître la forme & les
fondions des os & des mufcles , que les valets
de cuifine ne connoilfent chez nous l’ anatomie
du gibier & de la v o la ille , quoiqu’ ils s’occupent
journellement à vuider des pièces de
vo la ille & de gibier. L e s Egyptiens pouvoient
connoître la forme des entrailles ; Sc c’ eft pré-
«ifément une partie de l’anatomie étrangère aux
beaux - arts.
Les Egyptiens n’étoient beaux ni de taille
ni de figure ; mais ils avoient du moins la
conformationnéceflaire à l ’homme, & leurs ar-
ëiftes ne favoient pas rendre cette confirmation
, puifqu’ils n’ exprfmoient pas les parties
fenfibles des mufcles & des o s , puifqu’ ils né-
gligoient dans l’homme fa charpente & fes
fefforts.
Ils étoient même fort incorreds dans l ’ en-
femble de la tête -, car ils plaçoient les oreilles
beaucoup plus Jiaut que le nez. © ’ailleurs ils
donnoient à la face fa forme d’ un cercle plutôt
que celle d’ un ovale , ils faifoient le menton
trop' court & trop arrondi, ils arrondilfoient
aulfi les joues .avec excès , ils relevoient de
même1 avec excès l’ angle extérieurtde l ’oeil &
faifoient fuivre à la bouche le même mouvement.
Plufieurs de ces défauts pouvoient avoir
leur principe dans la conformation naturelle ’
des Egyptiens ; mais la manière dont ils pfaçoient
les oreilles ne pouvoît être fondée qué
lur leur caprice ou leur ignorance.
On a beaucoup célébré leur fcience dans le»
proportions : mais quand nous^ accorderions
quils obfervoient bien la longueur des différentes
parties du corps , ils auroient encore été
des artiües très défeaueux , puifqu’ils n’en-
obiervoient pas la largeur , puifqu’ïls ne peu-
voient pas même l’obferver dans l’ ignorance-
où ils étoient de la forme des mufcles. Que
1 on prenne exaâement la longueur de toutes
les parties du célébré Apollon du Belvedere
& qu’on faire d’après ces mefures une ftatue à
laquelle on donnera , pour la largeur des
parties, des mefures toutes différentes de celle-
| de l’Apollon ; on pourra faire une figure très-
mal proportionnée.
C’étoit d’ouvrages religieux ques’occupolenc
principalement les artiftes Egyptiens , & ces
ouvrages avoient une polîure contactée' : ils
avoient aulfi des formes convenues , dont en
ne pouvoît s’écarter , & ces forçnes étoient
monftrueufes : c’étoient des corps d’ aftimaux lous
des têtes d’ hommes; c’é t o ie n t fu r des corps
humains , des têtes d’animaux : <4: ces animaux
étoient fouvent eux-mêmes bizarres , imaginaires
, & n’ayoient point de types dans la
nature.
^Dire que les Prêtres ne permettaient pas de
s écarter des-attitudes convenues pour les fimu-
lacres religieux , c’e fl dire qu’ ils ne permet-
toient pas de perfeSionner l’ art en étudiant
les mouvemens de la nature.
Suppofons que depuis la renaiflance dès arts
on n’eût repréfenté en Europe que Jefus-Chrift *
la Vierge , les Apôtres , & un petit nombre
d autres Saints perfonnages, & que chacun de
ces perfonnages eût eu fon attitude confacrée
dont on n’ eût pu s’écarter jamais. Dans le temps
où l’art étoit encore gothique , toutes ces attitudes
auroient été trouvées, & l’on n’auroit fait
que les répéter jnfqu’aujourd’hui ; l’art au lieu
de faire des progrès , auroit dégénéré , parce
qu’ il n’auroit confifté qu’en des efpéces de copies
qu’on auroit faites avec négligence. Bientôt
chaque peintre auroit fu tous fes Saints
par coeur, comme Vate au, qui avoit été longtemps
occupé chez un marchand du pônt Notre-
Dame à peindre toujours le même Saint N i- ’
colas , difoit qu’il favoit fon Saint Nicolas par
i coeur. I l fa u t , pour que l’art fafle des progrès
qu’ il foit permis , & même néceflaire aux a rtiftes
, de repréfenter toutes fortes de perfon-
nageç , d’aéïions , de proportions, de caraétè-
re s, d’ expreflions de mouvemens.
Les monumens les plus connus de la peinture
des Egyptiens , dit Wincfcelmann , font
les bandelettes des momies. Ces ouvrages ont
réfifté aux injures des fiècles & font encore
fournis à l’ examen des curieux» Le blanc cosar
pôle de fcérufe , fait l’ end ui\t de la to ile ; c’ eft
ce que nous appelions Vimpresfion. Les contours
des figures font tracés avec du , noir ,
comme dans ceux de nos deflins au lavis dont
on fait le trait à la plume. Les couleurs proprement
dites ne font qu’au nombre de quatre;
le bleu , le rouge , le jaune & le v e rd ; elles
font employées entières , fans être ni mélangées
ni fondues. C’ eft le rouge & le bleu qui dominent
le plu s, & ces couleurs font allez grof-
fièrement broyées. Le blanc de l’ impreflion eft
épargné aux endroits que le peintre a jugé à
propos de lailfer clairs , comme les modernes
épargnent l’ ivoire pour former les lumières
dans la miniature , ou comme ils laiffent travailler
1g blanc du papier dans les deflins.
Cette defeription fuffit , pour qu’ il foit permis
de prononcer que l’art des peintres Egyptiens,
au moins dans ce genre , fe bornoit à l’enluminure
; car toutes les perfonnes qui ont
quelque connoilfance des arts conviendront
que , fans‘ teintes , fans mélange de couleurs,
il ne peut exifter de peinture véritable. Mais
eji général les Orientaux aiment trop l’ éclat
des couleurs vierges pour fe permettre de les
mélanger : ils croiroient gâter leurs ouvrages,
s’ ils oloient rompre la variété des couleurs naturelles.
Tant qu’ ils conferveront ce g o û t, qui
e ft celui de l’ ignorancei, ils n’auront point de
véritable peinture , puifqu’ ils ne connoîtront
ni la vérité ni l’harmonie.
La haute Egypte poflede des peintures col-
loffales qui n’ont,été jugées que par les voyageurs
; & les voyageurs font ordinairement de :
bien foibles juges des arts. Winckelmann avoit
raifon de fouhaiter que. des artiftes , ou du
moins des hommes qui connuflent bien les
arts , euflbnt pu examiner ces morceaux , &
en indiquer la manoeuvre , le ftyle , le caractère.
Des murailles de quatre-vingt pieds de
haut font décorées de figures colloflales ; des
colonnes de trente-deux pieds de circonférence
en font couvertes. Suivant la relation
de Norden, les'couleurs de ces peintures font
entières , comme celles des momies : ce ne font
donc encore que des enluminures colloflales :
car la proportion ne change rien à l’eflence
des chofes. Les couleurs font appliquées fur un
fond préparé & couvert d’ un enduit , ce qui
indique le procédé de la frefque. Elles, o n t,
ainfi que les dorures , conlèrvé leur fraîcheur
pendant plufieurs milliers d’années, & le temps
n’a pu les détacher des murs où elles font appliquées.
Winckelmann ajoute que tous les
efforts de l’induftrie humaine ont contre elles la
même impuiflance que le temps ; ce qui doit
être regardé comme une exagération de cet
an iquaire trop fouvent enthoufiafte. La peinture
peut avoir la folidité du mur fur lequel
«lie -eft appliquée ; c’ eft pn des caractères de
la frefque ; mais il n’elb point de muraille
dont la force & l ’ induftrie humaine aidées
par des inftrumens d’a c ie r , ne puiflent dégrader
la furface.
I l paroît que la grande occupation des pein"
très d’Egypte étoit de colorer de la vaiflelle
de terre , de peindre des perfonnages fur dé»
couppes de verre , d’orner des barques, & de
charger de figures les bandelettes & les caifles
des momies. Ils peignoient aufli des toiles*
Toutes ces branches d’ induftrie fuppofent d es
ouvriers peintres, & non des peintres artiftes.
La fonékion de décorer les temples , &rc. de figures
relatives à la religion , & qui étoient
toujours les mêmes pour l’attitude & pour la
fo rme , ne fuppofe encore que des ouvriers.
On ne dira pas que les arts foient aujourd’hui
cultivés dans la Grece , quoique des ouvriers
y peignent des images de dévotion qui font
toujours les mêmes. Les ouvriers qui peignent
en Ruflïe des Chrifts tenant un globe d’ une
main & donnant la bénédiction de l’autre , ne
font pas affociés à l’académie impériale des
beaux-arts.
Pline nous apprend que les Egyptiens peî-
gnoient les métaux précieux : c’ eft à dire qu’ ils
favoient les vernir ou les émailler. I l eft douteux
que ce fût un art : ce n’étoit probablement
qu’ un métier , qui confiftoit à couvrir
l ’or & l’argent d’ une feule couleur ou même
de plufieurs couchées à plat.
I l eft vraifemblable que les Egyptiens gardèrent
conftamment leur ancien ftyle , ju f-
qu’à ce qu’ils fuflent pafles fous la domination
des Ptolemées.
P e in t u r e che\ les Perfes,
Les Perfes étoient fi loin d’exceller dans les
arts , qu’ils empruntèrent l’ induftrie des ar-
tiftés Egyptiens lorfqu’ ils eurent fait la con-^
quête de l’Egypte. On connoît des médailles
frappées en Perfe fous les Rois fucceffeurs de
Cyrus : elles ne peuvent même être comparées
à nos ouvrages gothiques médiocres. E lles re£*
femblent aux deflins que font les enfans qui,
n’ont point appris à defliner.
Les tapis de perfe étoient célébrés dans la
Grece , même du temps d’ Alexandre , & ce*
tapis étoient ornés de perfonnages : mais cela
ne fignifie pas que oes perfonnages fuflent bien
repréfentés. On connoît les caprices du luxe :
on Voit, dans les pays où les arts font maintenant
cultivés & même floriflans , des riches
acheter chèrement des magots de la Chine i
tandis qu’ ils mépriferoient un modèle d’ un habile
fculpteur, dont ils font trop loin de fentir
les beautés. C’ étoit le mélange induftrieux de
la fo ie , & no& la vérité des repréfentatipns de L U I ij