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fio n '( i) . I l fignifie , ioit dans la compofition, I
foit dans le deffin, fçit enfin dans la manière,
un certain caractère qui tient au grand, & qui
defigne fur-tout le contraire de la maigreur &
de la féchereffe.
Ces fortes de fens détournés que les arts donnent
à plufieurs mots qu’ ils adoptent dans leur
langage , femblent des bizarreries , & ces lignifications
, fouvent extrêmement figurées, ajoutent
des difficultés confidérables à l’ inrelligence
des langues pour les étrangers; E lles'en1 offrent
même à ceux qui n’ont point de notions des arts,
& en préparent d’ infurmontabl es peut - être à
ceux q u i , lorfque les langues où elles font employées
feront au nombre des langues mortes ,
voudront en interpréter les ouvrages.
Mais il ne faut pas cependant regarder ces
fingularités comme des objets * de caprice.
Le mot la rg e , doit vraifemblablement le fens
qu’ il a dans le langage de l’^rt à un fentiment
intérieur , à ùn fecret rapprochement d’ idées.
Une compofition fimple, femble mettre le regard
& l ’efprit à leur aife , comme l’ eft un voyageur
dans une voie fpacieufe. L’artifte a étendu
ces applications métaphoriques des fenfations juf-
qu’àcertains détails defon art. l i a dit des maffes
la rg e s, pour fignifier des objets grouppés ou
réunis par la lumière & les effets du clair-obfcur,
fans que leur difpofition produife aucun embarras
dans la compofition. Enfin, le deflinateur
même a voulu défigner dans fon tra it, dans fa
touche, ce qui en donne une facile intelligence,
& qui ne peut être en lui que le fruit d’ une
connoiffance sûre & profonde des objets qu?il a
tracés. I l en eft réfulté comme principe, qu’ il
faut que le trait & les contours d’ une figure
foient larg es , & même à certains égards matériellement
la rg e s , & que la touche le foit
auffi , pour que fon intention foit indiquée,
fans maigreur & fans féchereffe -, défaut dont
l’ effet eft de rétrécir les lignes dm les exptefiions
du fentiment défignées par la touche.
Le large , relativement aux arts libéraux,
tien t, comme on le v o it , d’affez près au g ra n d ,
• & l ’on peut dire que c’ eft la maniéré d’Homère,
comme c’ eft le ftyle du Corrège. Le grand, eft
leur caractère pie larg e, ëft , pour ainfi dire ,
leur moyen. Ils ont une certaine fimplicité dans
les plans, qui met à l’ aife le leéleur, une diftri-
bution qui fe comprend aiiement, & qui fait
que l’ efprit ou les regards ( pour fuivre la figure
dont il èftqueftion ),• marchent à leur aife dans
les routes qui leur font tracées.
( i) M Watelet me paroîte tromper ici. Les maffes
larges, le pinceau large , * le crayon large , les touches
larges, ont réellement une largeur de dimension qui les
dilHngue des petites maffes, du pinceau mefquin , 'de la
touche sèche , qui n’ont phyfiquement qu’une dimenfion
étroite. ( Note au Rédaéieur. )
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Au refte, on doit penfer que lps artiftes, dont
ces fortes de mots.figurés font le langage, les
compofent, ou en font une application plus jufte
que ne peuvent jamais le faire ceux qui n’ont
qu’ une théorie légère des arts. Les hommes qui
pratiquent un des beaux arts, ont pour l’ordinaire
bien plus de facilité à comprendre avec
jufteffe les mots du langage figuré d’ un autre
a r t, que ceux qui ne s’occupent d’aucun.
Afpirer à les faire comprendre avec exaéli-
tüde , feroit un projet vain. Heureux, fi dans le
projet de donner plus d’ordre & de clarté aux
idées du plus grand nombre, on parvient dans
cer ouvrage à mettre fur la voie , & à défigner
au moins j:e qu’on ne peut expliquer avec une
égale clarté à tout le monde '.
Pour vo u s , artiftes qui créeriez ces mots
figurés & fignîficatifs, s’ ils n’ exiftoient pas , &
par conféquent qui les comprenez parfaitement,
remerciez le deftin qui préfide à votre raient,
s’ il vous a donné pour maître un artifte dont la
manière foit large, ou fi l’on vous a fait commencer
vos premiers traits d’ après des originaux
qui aient ce caraéière.
Ifolés dans quelque province, & entraînés par
un goût & un penchant naturel vers le deffin & la
peinture, vous auriez pu n’avoir pour guides
que de mauvais deflins ou des eftampes. I l
auroit été bien difficile que vous n’ eufiiez pas
contracté, par cette route, une maigreur & une
féchereffe que vous auriez confervées, & qui fe
feroient converties en habitude.
Deflinezdonc large , pour parler le langage de
l’ a r t , & vous peindrez enfuite de même.
I l ne faut pas cependant que le zèle que vous
mettrez à fuivre cette manière v vous conduife
jufqu’à l’ exagération où elle peut tomber. I l ne
faut pas , pour affeéter une manière large, nég
lig e r les détails importans, ou devenir lourds.
Dans chaque partie de votre art & de tous les
arts , où l’ imagination a part, il y a deux
écueils à éviter, & la perfeélion eft toujours
voifine de l’ imperfeélion. On ne^jeut vous exciter
à vous élever à l’ une des perfections, fans être
obligé de vous avertir que plus vous en atteindrez
le dernier degré, plus vous vous rapprocherez
du défaut qui la circonfcrit. Nos verrus mêmes
ont ce danger à craindre. Mais quand vous ne
feriez pas affez bons navigateurs pour être sûrs
de tenir un jufte milieu , ou d’approcher le plus
près poffible des écueils fans les toucher, portez
toujours vos efforts plutôt vers les défauts qui
touchentaux grandes qualités, que vers ceux qui
avoifinent les qualités inférieures.
I l vaudra mieux pour vos ouvrages & pour
votre réputation que vous paffiez un peu les
bornes que doit s’impofer le large dans la manière,
que de tomber dans le maigre■ Sôyez plutôt
trop-grand que trop petit , trop fimple que trop
recherché. Ayez plutôt, enfin, une trop grande
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idée de votre a rt, & de chacune de fes parties
, que de les concevoir au - deffous de ce
qu’il eft en e ffet, & de ce qu’ elles doivent être.
( Article de M. ^ a t e l e t . )
L A R G E . Peindre d’ un pinceau large ,
peindre largement, eft le contraire de peindre
d’ un pinceau maigre & mefquin. La manière
large a l’agrément de la facilité ; elle eft même
fondée fur la vérité , car la nature frappe bien
plus nos regards, par fes effets larges, que par
les petits détails. Le grand Maître peint large-
m ent, parce qu’il voit en grand la nature, parce
qu’ il l’obferve en maffe, & n’eft pas obligé de
la tâtonner dans fes petites parties. Quand on
voit grandement les formes & les effets, on produit
un ouvrage qui eft largement fa it.
Les cheveux font^d’une fineffe qui échappe
prefqueà la vue ; mais leur enfemble forme de
larges maffes , & l’artifte les traite largement.
ün doit draper par larges plis, principalement
fur les grandes formes. Une foule de plis étroits
en détruiroit l’unité, & auroit lé défavantage
d’offrir des multitudes de petites lumières &
de petites ombres qui fatigueroient la vue. Quand
on eft cependant obligé de faire des petits plis,
on a foin de les diftribuer par maffes ou fuites :
la lumière domine dans les unes de ces maffes,-
& l’ombre dans les autres.
L’ouvrage entier doit être diftribué par larges
maffes de clair & de brun : c’ eft par ce procédé
feulement qu’ il produit de l’ effet, & qu’ il appelle
le fpe&ateur, qui de loin ne voit que les maffes.
S’il étoit compofé de petites parties d’ombres &
de lumières, il n’offriroit de loin que des taches,
& feroit méprifé fans avoir été même fournis à
l’examen.
L’ effet large eft le réfultat de ces grandes
maffes.
On deffine largement, comme on ^emt largement.
D’abord en ne fe fervant point d’un crayon
a igu, mais d’un crayon émouffé qui forme des
hachurés nourries; enfuite, en établiflant largement
les maffes d’ombre & de lumières , & mettant
fur les dernières peu de travaux.
Quand la largeur du deffin eft relative au trait,
il faut esntendrè , par cette exprefîion , que l’ar-
tifte établit de grandes formes, & ne s’arrête
point aux formes mefquines de la nature. On
dit cependant auffi qu’un trait eft large &
moelleux , pour faire entendre qu’il n’ eft pas
tracé d’un crayon maigre.
Quelquefois les artiftes convertiffent l’adjectif
large en fubftantif. Us difent, il y a du large
dans ce tableau. (A r t ic le de M* L e vesq u e .)
L A V E R , (verbe aéf. ) L A V I S , (fubft.
male. ) L a v e r un deffin , defliner au la v is , c’ eft
deffiner au pinceau avec une fubftance colorante,
telle que le biftre ou l’encre de la Chine,
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délayée à l’ eau. Ce procédé appartient à la pra"
tique de l’art.
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L É C H É , ( adj. fouvent pris fubftantivement V
On appelle léché l ’ excès du fini. L’artifte qui
ne fait pas quitter fon ouvrage à propos, femble,
en quelque forte , s’amufer à le lécher. L ’emploi
de ce mot, dépend fort fouvent du goût particulier
de celui qui le profère; ainfi , l’ un appellera
léché, ce qui fera pour l’autre un f in i précieux.
Celui qui aime la grande vivacité d’exécution,
ne manquera pas d’appeller léché un ouvrage patiemment
terminé. Les peintres vénitiens reprocheront
le léché aux peintres hollandois,
& ceux-ci le heurté aux peintres vénitiens. Le
léch é, plus ou moins vic ieux, fera toujours op-
pofé au grand goû t, à la grandeur du faire , au
pinceau large , à la liberté , la fa c ilité , la vivacité
de l’ exécution. Il eft toujours condamnable
dans de grands ouvrages, & f i , dans les petits
tableaux, ilufurpe quelquefois le droit de plaire,
il n’échauffera du moins jamais le fpe&ateur, &
parlera toujours foiblement à fon ame.
On peut faire un grand reproche au peintre
qui aime le léché ; c’ eft de préférer le métier de
fon art à l’art lui-même. Le véritable artifte eft
capable de foins ; le peintre qui donne dans le
léch é, eft toujours petit & minutieux : on peut
même obferver que plus il s’applique à finir
fes ouvrages avec amour, & plus il s’éloigne
de l ’effet général de la nature, qui, nous étonnant
par fa grandeur, ne permet pas à notre attention
de fe fixer fur fes détails.
» Une manière de finir, qu’on peut hardiment
» condamner , dit M. Reynolds, parce qu-’elle
>5 nuit au but même qu’ elle fe propofe, c’eft
» lorfque l’artifte . pour éviter la dureté qui
y> réfuîte de ce que la ligne extérieure tranche
» trop fur le fond , adoucit & éteint fes couleurs
» à l’ excès. Vo'ilà ce que les ignorans appellent
» finir précieufement , & qui ne fert qu’à
» détruire la vivacité des couleurs, & le vé-
» ritable effet de l’imitation , qui confifte à
» conferver le tranchant & la vagueffe des
» contours , au même/degré qu’on le remarque
» dans la nature. Cet extrême adouciffement,
» au lieu de produire l’ effet de la morbideffe
» donne aux corps un air d’ivo ire , ou de telle
» autre fubftance bien polie.
» Les portraits de Corneille Johnfon paroif-
» fent avoir ce défaut; de forte qu’ il leur man-
» que cette morbideffe qui caraélérife la chair ;
» tandis q u e , dans les portraits de Van-Dick
» ce jufte mélange de molleffe & de dureté eft
» exaélement obfervé. On trouve le même dé-
» faut dans la manière de Vander-Werf, conv-
» parée à celle de .Teniers «.