H i s t o i r e
de la maifon fort exprès, ou va trouver la femme de l’ami qu’il 3
chez lui. Refufer de coucher avec la femme du Maître de la maifon
, c'eft lui faire un outrage II grand , que dans ce cas, on court
rifque d’etre tué pour avoir reçu avec mépris ces témoignages de
leur amitié : c’eft ce qui eft arrivé plus d’une fois , dit-on , à nos
Cofaques d’Anadir, qui ignoroient cette coutume ; aulîl leurs
femmes mettent-elles tout en oeuvre pour fe parer fuivant leurs ufa-
ges. Elles fe|peignent de blanc & de rouge , & fe revêtent de leurs
plus beaux Habits ; les femmes des Tchouktchi enchériiTent encore ;
elles font différentes figures fur leur vifage, fur leurs cuiffes & fur
leurs mains ; elles fe tiennent toutes nues chez elles, lors même
qu’il y a des Etrangers.
Ces Peuples en général font très groffiers, emportés, opiniâtres,
vindicatifs ôi cruels. Les Koriaques à Rennes font vains & pré-
fomptueux. Us ne peuvent fe perfuader qu’il y ait au monde une vie
plus heuréufe que la leur ; ils regardent tout ce que les Etrangers leur
difent pour les defabufer , comme autant de menfonges & d’impof-
tures ; aulïî difoient-ils à nos Marchands qui palloient de Iakoutsk
*par Anadir pour aller au Kamtchatka : » Si la vie que vous menez
» etoit plus heureufe que la nôtre, vous ne viendriez pas de fi loin
» chez nous ; il éft aifé de voir que vous n’y venez que pour man-
» ger de la chair graffe de nos Rennes, que vous ne trouvez point
» ailleurs. Comme nous avons tout en abondance , nous fommes
» contents de ce que nous poiledons, & nous n’avons pas befoin
» d’aller chez vous «.
Ce qui contribue beaucoup à les rendre fî fiers & fi infoîents,
c eft qu ils font craints & refpeâés par les Koriaques fixes , à un tel
point, que fi un fimple Koriaque à Rennes vient chez eux , ils
fortent tous pour aller au devant de lui, lui font un accoeuil favorable,
le comblent de préfents & de toutes fortes de politeffes, fupportant
meme patiemment tous les affronts qu’il peut leur faire. Je n’ai pas
entendu dire qu’il foir jamais arrivé qu’un Koriaque fixe ait tué un
Koriaque à Rennes. Nos gens qui lèvent les impôts, ne vont jamais
ch e z les Olioutores, fans être accompagnés de Koriaques à Rennes 1
avec lefquels ils fe croient en fureté ; fans cette précaution , ils font
expofés à être maffacrés par ceux de ces Peuples qui n’ont pas encore
été entièrement fournis. Cela eft d’autant plus furprenant que les
Koriaques fixes font plus robuftes & plus courageux que les Koriaques
à Rennes. Je crois qu’on ne peut en attribuer la caufe qu’à
deux raifons : la première, au refped que les pauvres portent par un
ancien préjugé, à ceuxqui font riches , & à l’habitude de leur
être fournis : la fécondé, fc’eft que recevant des Koriaques à Rennes
tous leurs-vêtements, ils craignent de les irriter, & de s’expofer
par-là à fupporter toute la rigueur du froid.
Les Koriaques à Rennes les regardent, & particulièrement les
Olioutores , comme leurs efclaves. En effet Olioutore vient d’un
mot Koriaque corrompu ( Olioutoklaul ) qui fignifie efelave. Les
Koriaques fixes ne refufent point eux-mêmes de le donner ce nom.
Les feuls Tçhouktchi n’ont pas la même vénération pour les Koriaques
à Rennes ; au contraire ils s’eri font tellement craindre ,
que cinquante Koriaques n’ofent faire tête à vingt Tchouktçhi, 8c
fans les fecours que les Ruffes d’Anadir leur fourniffent , les
Tchouktchi les extermineroient entièrement, ou ils les feraient
èfclaves, en leur enlevant leurs troupeaux, & les forçant à demeurer
dans des Iourtes de terre , & à s’y nourrir de racines & de poif-
fon , comme les Koriaques fixes. Ce fut ainfî qu’ils traitèrent
en 1738 & 1739 les Koriaques de Katirka &'"d’Apoukina. Au
refte comme il n’y a point de Nation qui n’ait au moins quelque
avantage fur’une autre; les Koriaques ontaulfi plufieurs bonnes
qualités qu’on ne trouve point dans les Kamtchadals. Us font plus
juftes & plus laborieux , plus honnêtes & moins débauchés ; peut-
£tre ne peuvent-ils pas Rire autrement.
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