fes défirs. Auffi avoient-ils autrefois recours au fuïcîdeg "comme au
dernier moyen de fe rendre heureux. Cette coutume barbare devint
même 'fi commune parmi eux , lorfqu’ils furent fournis par
les RuiTes , qu’il fallut que la Cour envoyât de Mofcou des ordres
pour en arrêter les progrès. Au refte, ils vivent fans aucun
fouci ; ils travaillent à leur gré : uniquement occupés du préfenc
& du néceifaire, ils ne fe mettent nullement en peine de l’avenir.
Ils ne connoilfent ni les richelTes, ni l’honneur , ni la gloire :
par conféquent l’avarice, l’ambition & l’orgueuil leur font inconnus.
Tous leurs défirs ont pour objet de vivre dans l’abondance de tout
ce qu’ils peuvent avoir , de fatisfaire leurs pâmons , leur haine 8c
leur» vengeance. Ces vices occafionnent des querelles entr’eux , 8c
des guerres fanglantes avec leurs voifins. Elles ne font point fondées
fur le motif de s’aggrandir ; mais fur celui de recouvrer les.
provifions qu’on leur a volées, & de fe venger des outrages qu’on
leur fait en enlevant leurs filles. Ils raviffent à leur tour celles de
leurs voifins, 8c cette méthode eft la plus courte pour fe procuret
uneffemme.
Ils ne commercent que dans la vue de fe procurer les ehofes
néceiTaires à leur fubfiftance. Ils donnent aux Koriaques des M a î tres
Zibelines, des peaux de Renards , des peaux de Chiens blancs
8c à longs poils, des champignons fecs & d’autres bagatelles. Ils
en reçoivent des habits faits de peaux de Rennes ou d’autres Animaux.
Ils échangent entr’eux les chofes qu’ils ont en abondance ,
pour celles dont ils manquent ; comme des Chiens , des canots,
des plats, de grands vafes , des auges, des filets, de l’ortie
léchée pour faire de la toile, 8c enfin des provifions de bouche.’
Ce trafic fe fait avec les plus grandes marques d’amitié. Quand un
Kamtchadal veut avoir une chofe dont un de fes Voifins eft en
poffeilion, il va le voir, 8c lui expofe tout franchement fes be,
foins
foins, quoiqu’ils foient fouvent peu liés enfemble. Des-lors lHote,
pour iè conformer à la coutume du Pays, lui accorde tout ce qu il
demande ; mais enfuite il lui rend vifite , & il eft traité de même.
Par ce moyen, ils obtiennent tous deux ce qu’ils défirent. On parlera
plus amplement de cet ufage, dans un Chapitre particulier.
Les Kamtchadals font extrêmement groflïers : la politeife 8c les
compliments ne font point d’ufage chez eux. Ils notent point
leurs bonnets, & ne faluent jamais perfonne. Ils . font fi. ftupides
dans leurs difcours, qu’ils femblent ne différer des brutes que par la
parole. Ils font cependant curieux. Ils croient que le Monde , le
Cie l, l’air, les eaux , la terre , les montagnes & les bois font habités
par des efprits , qu’ils craignent 8c honorent plus que Dieu..
Ils leur font des facrifices , prefque dans toutes les occafions : ils
portent même fur eux les Idoles de quelques-uns, ou les gardent
dans leurs Habitations. Cependant loin de craindre Dieu, ils blaf-
phément contre lui, & le maudiffent dans tous les événements fâcheux
qui leur arrivent.
Us ignorent leur âge. Ils comptent néanmoins jufqu’à cent; mais
avec tant de difficulté qu’ils ne peuvent aller jufqu a trois, fans
le fecours de leurs doigts. Rien n’eft plus rifible que de les voir
compter au-delà de dix ; car après avoir compte les dix doigts de
leurs mains , ils les joignent pour lignifier dix ; puis ils comptent
le refte par les doigts du pied ; & fi le nombre • va au-delà de vingt,
ne fachant plus où ils en font, ils relient dans une efpece d’extafe,
s’écriant, Matcha, où prendre le refte ?
Us font leur année de dix mois-; mais les urts font plus longs, les
autres plus courts. Dans la divifion & la dénomination qu’ils en
font, ils n’ont aucun égard au cours des Aftres ; mais uniquement
a la nature de leurs travaux, ainfi qu’on peut le voir dans la Table
fuivante.
Tome II. C