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 Des Chamans ou Magiciens. 
 L e  s Kamtchadals n’ont point  de  Chaman  particulier,  comme  
 leurs Voilîns ; mais les Femmes, fur-tout les vieilles, & les Koehkt-  
 ckoutche,font regardées comme des Magiciennes ; ils croient quelles  
 favent interpréter les fonges. En faifant leurs fortileges, elles ne frappent  
 point fur  des efpeces  de  tambour ; elles ne  fe  revêtent point  
 non plus d’habits deftinés pour cette cérémonie , ainfi qu’il eft  d’u-  
 lage parmi les Koriaques, lesToungoufes, les Bourates, & toutes les  
 autres Nations idolâtres de la Sibérie. Elles prononcent des parolesà  
 voix baffe fur les ouïes  ou nageoires des poiffons , fur l’herbe douce  
 ou\a. Sarana, &le Tonchitche :c’eftpar ce moyen quelles prétendent  
 guérir les maladies, détourner les malheurs , & prédire  l’avenir. 
  Je n ai pu  favoir quelles paroles  elles  emploient  dans leurs cérémonies  
 ou conjurations, ni quel  eft celui  dont elles  invoquent  
 l’aiïiftance. On me l’a caché comme un myftere. 
 Leur principal  fortilege  fe  fait  de  la  maniéré  fuivante.  Deux  
 Femmes s’affeyent  dans  un  coin, & murmurent  fans  ceffe quelques  
 paroles  à  voix  baffe.  L ’une  s’attache au pied un fil  fait  d’orties  
 entortillées  de laine rouge, & agite  fon pied. S’il paroît qu’elle  
 leve  le  pied  avec  facilité,  cela  eft  regardé  comme  un  préfage  
 heureux , & un ligne què  ce  qu’ils ont entrepris  aura  un  heureux  
 fucces j s il paroît, au contraire, qu’elle remue le pied peiàmment,  
 ceft  un  mauvais  augure  :  cependant  elles  invoquent  les  démons  
 par ces mots Gouche,  Goucke, en grinçant les dents ; & quand elles  
 ont quelque vifion , elles  crient  en  éclatant de rire ,  Khaï, Khaï,  
 Khaï.  Au bout  d’une  demi-heure  les démons difparoiffent, &  la 
 Magicienne  crie  fans  cefTe  Icfiki ;  c’eft-à-dire,  ils  n’y  Jbnt  plus-  
 L ’autre Femme qui lui aide , marmote des paroles fur elle, &  l’exhorte  
 à ne rien craindre , mais à confiderer attentivement les apparitions  
 ,  & à fe rappeller le  fujet pour lequel elle fait les  fortileges.  
 Quelques-uns difent lorfqu’il tonne & qu’il éclaire , que  Bilioukaï  
 defcend vers ces Magiciennes, &  qu’en prenant pofTeffion  d’elles ,  
 il les aide à lire dans l’avenir. 
 S’il arrive un malheur à  quelqu’un, ou s’il n’eft point heureux à  
 la  cbaffe,  il vient auffi-tôt trouver  une de ces vieilles, ou  mêmé fa  
 Femme  : on fait alors une conjuration ou un fortilege ; on examine  
 laraifon  qui a pu occafionner ce malheur ;  on prefcrit les  moyens  
 pour le détourner ; on en attribue la principale caufe à lanégligence  
 de quelques pratiques fuperftitieufes ; & pour réparer la faute E celui  
 qui a manqué à cette pratique, eft obligé de tailler  une petite idole  
 ou figure, de la porter dans les bois, & de la mettre fur un arbre. 
 Les Kamtchadals font auffi leurs fortileges dans le temps des fêtes  
 où l’on  fe purifie de fes  péchés. On murmure alors certaines  paroles  
 , on parfume, on agite les bras, on fe met dans un violent mouvement  
 j on fe frotte de Tonchitche, on s’entortille de bandelettes ,  
 on tâche de rappeller à la raifon ceux qui ont perdu l'efprit. On fait  
 d autres cérémonies extravagantes dont  on parlera  plus amplement  
 dans le Chapitre fuivant. 
 Si un Enfant vient au monde pendant une tempête Ou  un ouragan  
 , on fait des fortilegesfur lui lorfqu’il commence à  parler, & on  
 le réconcilie avec les déjjpns : voici comme on s’y prend. On le deshabille  
 tout nud pendai^uelque violent  ouragan ; on lui met entre  
 les mains une coquille marine ; il faut que portant cette coquille  
 en l’air , il coure  autour  de  la  Iourte ,  du  Balagane  &  du  Chenil  
 , en adreifant ces mots a Bilioukai &  aux autres  elprits  malfài-  
 fants :  » La  coquille  eft faite pour  l’eau falée  , &  non pour  l’eau  
 .»  douce,  vous  m’avez  tout  mouillé  ;  l’humidité  me  fera périr. 
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