C H A P I T R E X I I .
Des Chamans ou Magiciens.
L e s Kamtchadals n’ont point de Chaman particulier, comme
leurs Voilîns ; mais les Femmes, fur-tout les vieilles, & les Koehkt-
ckoutche,font regardées comme des Magiciennes ; ils croient quelles
favent interpréter les fonges. En faifant leurs fortileges, elles ne frappent
point fur des efpeces de tambour ; elles ne fe revêtent point
non plus d’habits deftinés pour cette cérémonie , ainfi qu’il eft d’u-
lage parmi les Koriaques, lesToungoufes, les Bourates, & toutes les
autres Nations idolâtres de la Sibérie. Elles prononcent des parolesà
voix baffe fur les ouïes ou nageoires des poiffons , fur l’herbe douce
ou\a. Sarana, &le Tonchitche :c’eftpar ce moyen quelles prétendent
guérir les maladies, détourner les malheurs , & prédire l’avenir.
Je n ai pu favoir quelles paroles elles emploient dans leurs cérémonies
ou conjurations, ni quel eft celui dont elles invoquent
l’aiïiftance. On me l’a caché comme un myftere.
Leur principal fortilege fe fait de la maniéré fuivante. Deux
Femmes s’affeyent dans un coin, & murmurent fans ceffe quelques
paroles à voix baffe. L ’une s’attache au pied un fil fait d’orties
entortillées de laine rouge, & agite fon pied. S’il paroît qu’elle
leve le pied avec facilité, cela eft regardé comme un préfage
heureux , & un ligne què ce qu’ils ont entrepris aura un heureux
fucces j s il paroît, au contraire, qu’elle remue le pied peiàmment,
ceft un mauvais augure : cependant elles invoquent les démons
par ces mots Gouche, Goucke, en grinçant les dents ; & quand elles
ont quelque vifion , elles crient en éclatant de rire , Khaï, Khaï,
Khaï. Au bout d’une demi-heure les démons difparoiffent, & la
Magicienne crie fans cefTe Icfiki ; c’eft-à-dire, ils n’y Jbnt plus-
L ’autre Femme qui lui aide , marmote des paroles fur elle, & l’exhorte
à ne rien craindre , mais à confiderer attentivement les apparitions
, & à fe rappeller le fujet pour lequel elle fait les fortileges.
Quelques-uns difent lorfqu’il tonne & qu’il éclaire , que Bilioukaï
defcend vers ces Magiciennes, & qu’en prenant pofTeffion d’elles ,
il les aide à lire dans l’avenir.
S’il arrive un malheur à quelqu’un, ou s’il n’eft point heureux à
la cbaffe, il vient auffi-tôt trouver une de ces vieilles, ou mêmé fa
Femme : on fait alors une conjuration ou un fortilege ; on examine
laraifon qui a pu occafionner ce malheur ; on prefcrit les moyens
pour le détourner ; on en attribue la principale caufe à lanégligence
de quelques pratiques fuperftitieufes ; & pour réparer la faute E celui
qui a manqué à cette pratique, eft obligé de tailler une petite idole
ou figure, de la porter dans les bois, & de la mettre fur un arbre.
Les Kamtchadals font auffi leurs fortileges dans le temps des fêtes
où l’on fe purifie de fes péchés. On murmure alors certaines paroles
, on parfume, on agite les bras, on fe met dans un violent mouvement
j on fe frotte de Tonchitche, on s’entortille de bandelettes ,
on tâche de rappeller à la raifon ceux qui ont perdu l'efprit. On fait
d autres cérémonies extravagantes dont on parlera plus amplement
dans le Chapitre fuivant.
Si un Enfant vient au monde pendant une tempête Ou un ouragan
, on fait des fortilegesfur lui lorfqu’il commence à parler, & on
le réconcilie avec les déjjpns : voici comme on s’y prend. On le deshabille
tout nud pendai^uelque violent ouragan ; on lui met entre
les mains une coquille marine ; il faut que portant cette coquille
en l’air , il coure autour de la Iourte , du Balagane & du Chenil
, en adreifant ces mots a Bilioukai & aux autres elprits malfài-
fants : » La coquille eft faite pour l’eau falée , & non pour l’eau
.» douce, vous m’avez tout mouillé ; l’humidité me fera périr.
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