qui en ufent avec modération , n’en deviennent que beaucoup plus
légers, plus vifs, plus gais, plus hardis & plus intrépides. L’état où ce
champignon les met, eft femblable à celui où l’on dit que les
Turcs fe trouvent lorfqu’ils ont bu de l’Opium.
Tous les Kamtchadals affurent que tous ceux qui en mangent,,
ibnt excités par la Puiffance invifible du Mucho-mote, qui leur ordonne
de faire toutes ces folies. Mais toutes leurs a étions, à ce qu’ils
prétendent, font alors fi dangereuiès pour eux , què fi on ne les gar-
doit pas à vue, ils périroient prefque tous.
Je ne parlerai point ici des extravagances auxquelles s’abandonnent
les Kamtchadals, puifque je ne les ai point vues, & qu’ils font
très réfervés a parler fur cette matière. Peut-être suffi que l’habitude
où ils font de manger de ces champignons , les rend moins
füfceptibles d’éprouver ces violents délires, ou peut-être n’en mangent
ils qu’avec modération.
Je vais rapporter des effets de ces champignons fur quelques Co-
iàques qui en avaient mangé ; j.’en ai moi-même été témoin, ou
je les tiens de ceux qui avaient éprouvé ces folies, ou enfin je les
ai entendu- raconter à des perfonnes dignes de foi.
Le Mucho-more ordonna, dit-on, à un domeftique du Lieutenant
Colonel Merlin, qui étoit alors au Kamtchatka , d’étrangler
fon maître, en lui repréfentant que tout le monde admireroit cette
aétion, & il l’auroit effeétivement exécuté, fi fes camarades ne l’en
euffent empêché.
Un autre habitant de cé pays s’imagina voir l’enfer &un gouffie
affreux de feu où il alloit être précipité, & quune Puilïance invi-
fible, qu ils croient être le champignon, lui ordonnoit de fe mettre
à genoux, & de confeffer fes péchés. Ses compagnons qui étoient
en grand nombre dans la chambre où il faifoit fa confeffion ,. le-
coûtèrent avec beaucoup de plaifir ; il croyoit en. effet confeffer
fecrétement fes péchés devant Dieu, Ils s’amuferent beaucoup, parce
qu’il s’accufa de quantité de chofes qu’il n’auroit certainement
pas dites à fes camarades.
On rapporte quun Soldat ayant mangé un peu de Mucho-more
avant de fe mettre en route, fit une grande partie du chemin fan»
être fatigué ; enfin après en avoir mangé encore jufqu a être ivre, il
fe ferra les tefticules & mourut.
Mon Interprète ayant bu de la liqueur de ce champignon, iàns
le favoir, devint fi furieux , qu’il vouloit s’ouvrir le ventre avec un
couteau, fuivant l’ordre , difoit-il, du Mucho-more ou champignon.
Ce ne fut qu’avec bien de la peine qu’on l’en empêcha,
& on ne lui arrêta le bras que dans le moment qu’il alloit fe frapper,.
Les Kamtchadals & les Koriaques-fixes mangent du Moucho-,
more, lorfqu’ils ont deffein de tuer quelqu’un. Au refte ces derniers
en font tant de cas, qu’ils ne laiffent pas piffer par terre ceux
qui font ivres pour en avoir bu ou mangé ; mais ils leur mettent
un vafe devant eux pour recevoir leur urine qu’ils boivent enfuite g
ce qui leur procure la même ivreffequele champignon. Ils ne pratiquent
cette efpece d’économie , que parce qu’il ne croît point de"
ces champignons chez eux, & qu’ils font obligés de les acheter des
Kamtchadals. La dofe modérée eft de quatre champignons au-
moins ; mais pour s’enivrer, il faut en manger jufqu’à dix.
Comme les femmes font fobres, elles n’en font jamais ufage ;
tous leurs divertiffementsfe bornent àcaufër, danfer & chanter.
Voici quelle étoit la danfe que j’ai eu occafion de voir,"
Deux femmes qui devoient danlèr enfemble étendirent une
natte fur le plancher au milieu de la Iourte, & fe mirent à genoux
1 une vis-à-vis de l’autre, en tenant dans la main un paquet de
tonchitche ; elles commencèrent à haulïèr & baiffer les épaules ,
& a remuer les mains, en chantant fort bas & en mefure ; enfuite
elles firent infenfiblement des mouvements de corps plus grands,,