Lorfque le Convive n’en peut plus, & qu’il eft hors d’état de ré-
iifter à la chaleur, il demande la permiffion de s’en aller ; mais il
faut qu’il fe racheté, afin qu’on ne le faffe plus chauffer, ni manger
davantage.
Il ne reçoit la liberté quen donnant au Maître de l'a maifon des
chiens , des habits , en un mot tout ce qui plaît à fon hôte. Celui-
ci en revanche lui donne des haillons j au lieu des bons habits qu’il
reçoit ; &r quelques mauvais chiens eftropiés, ou qui ne peuvent
prefque plus marcher.
Cette réception, loin d’être regardée comme une injure, eft
chez eux une marque d’amitié-, lorfqu’on agit des deux côtés avec
réciprocité. Si celui quia ainfi dépouillé fon ami, ne va pas chez
lui a ion tour pour lui rendre fa' vifite, celui qui a été dépouillé ,
revient une fécondé fois chez fon ami, non pour y manger , mais
pour recevoir un préfent à fon tour. Quoique le Convive-ne dife
rien du fujet de fa vifite, car tel eft leur ufage , le Maître de la maifon
en fait le fujet, 8c doit à fon- tour lui faire des préfents propor-
tlonnément a ies facultés j mais-s’il ne lui en fait pas , alors le Coru
vive après y avoir paffé la nuit, attelle fes chiens fur la Iourte même,
fe met fur fon traîneau, enfonce fon bâton dans la terre,. & refis
là jufqu’à ce qu’if ait reçu quelque chofedte ion ami.
Si par avarice il ne lui donne rien , fe Convive retourne
chez lui fort mécontent, & dévient fon plus cruel ennemi Cela
arrive cependant très rarement ; car les Kamtchadals regardent
comme un fi grand-deshonneur d’outrager ainfi Ion ami , qu’aucun
d eux ne voudroit jamais lier amitié avec celui qui auroit eu un
pareil procédé j if eft même honteux à un Convive de demander
des préfents en repréfaiflles de ceux qu’il a faits.
Les Kamtchadals traitent de même leurs amis, forfqu’ils leur
donnent quelques feftins , a 1 exception qu’ils ne chauffent pas fi
fort leurs Iourtes , 8c n exigent pas d’eu-x des préfents> S’ils-les-ré:
DU R A M T C H A ï? K A.
galent aVe'c de la graille de Veaux marins ou de Baleines, l’Hôte
après avoir coupé la graille en long & en forme de tranche, femet
à genoux devant fon Convive qui eft aflis ; puis tenant une de
ces tranches de graiffe d’une main, 8c un couteau de l ’autre, il
la lui fourre dans la bouche , & crie comme en colere Tana,
qui lignifie voilà, & il coupe avec un couteau tout ce qui ea
fort, - : ■ , ;
Quand on a envie d’avoir d’un Kamtchadal quelque choie qli’ôn
lui a vu, il n’y a pas d’autre moyen pour l’obtenir-, que celui-là :
çar ce feroit un deshonneur au Maître de la maifon dé refufer à fon
Convive ce qu’il lui demande. J’en rapporterai un exemple allez
plaifant r voici ce que fit un Cofaque nouvellement baotifé dans
1 Oftrog inférieur de Kamtchatka. Suivant la coutume du pays, il
etoit lie d’amitié avec un Kamtchadal qu’il fa voit avoir une fort
belle peau de Renard , il fit tout ce qu’il put pour l’avoir, mais ce
fut inutilement. Le Kamtchadal malgré tous les préfents que lui
offroiCfê Cofaque , tint toujours ferme , & ne voulut point fe dé-
faifîr d’une fourrure aulïi précieufe. Le Cofaque voyant qu’il ne
vouloitconfentir à rien , s’y prit àinfic II l’invita., chauffe beaucoup
fa chambre de bain , . fit cuire du poiffon èn abondance,, & après
avoir fait aflèoir fon Convive fur le gradin-le plus haut, il commença
à le régaler avant d’avoir verfé de l’eau fur les- pierres rougies
par le feu1 ; mais ayant remarqué que le Kamtchadal regardoit
comme un mauvais traitement la chaleur modérée de la chambre,,
il verfa de l’eau fur les pierres brûlantes, & par ce moyen caufa une
fi grande chaleur , qu’il ne put y relier lui-même. Il en fortit em
qualité dé Maître de la maifon à qui cela eft permis, & fe tint dans
le veftibule qui eft à côté du bain , d’où en ouvrant la porte , if
verfoit fans difconcinuer de l’eau fur les pierres. De cette maniérés
le Kamtchadal n’en pouvant plus , fut bientôt obligé de le prier de
ceilèr y mais le Cofaque ne lui fit point de grâce, 8c ne difeenti