Après avoir traîné pendant quelques minutes fur cette mer imaginaire
, les bottes de Sarane , repréfentant les Veaux marins; ils les
remirent à leur première place , & fortirent de la Iourte. Ils furent
fui vis par un Vieillard, qui ayant emporté de la Iourte un petit vafe
rempli de Tolkoucha, le laiflà dans l’enceinte de la Iourte, &
rentra. Les autres fe mirent à crier quatre fois de toutes leurs forces
Lignoulkh ; mais je ne pus favoir au jufte ce que ce mot lignifie, ni
pour quelle raifon ils pouffent de grands cris. Tout ce qu’ils purent
me dire, c’eft que cette cérémonie eft depuis fort long-temps en
ufage chez eux.
■Cela fait ils rentrèrent dans la Iourte, & tirèrent pour la fécondé
fois leurs Veaux marins fur cette mer de fable, comme s’ils étoient
agités & repouffés par les flots; après quoi ils fortirent de la Iourte
8c fe mirent à crier Kouneouch.it Aloulaik ; ce qui lignifie, que le
vent heureux qui nous pouffe les Veaux marins , fouffle Jür la côte:
car quand les vents s’élèvent du côté de la mer, ils pouffent les glaçons
contre le rivage , & c’eft alors qu’on fait ordinairement une
chaffe plus abondante d’animaux marins.
Lorfqu’ils furent rentrés dans la Iourte, ils tirèrent pour la troi-
iîeme fois leurs Veaux marins, ou les herbes qui les repréfentoient,
fur ce qu’ils appellent la mer ; après quoi ils mirent dans un fac
les hures ou mâchoires de ces animaux. Tous les Pêcheurs qui
fe trouvèrent préfents, mirent fur ces hures un peu d’Herbe douce
, en prononçant chacun leur nom, 8c en leur faifant des reproches
de ce qu’ils ne venoient pas en grande quantité chez eux,
qui régaloient fi bien 8c combloient de préfents ceux qui y ve-
noient.
Après avoir pourvu, comme ils fe l’imaginent, leurs Hôtes
voyageurs de toutes les provifions néceffaires, ils les portèrent près
de l’efcalier. Un Vieillard mit encore pour eux dans le fac du Tolkoucha
, leí priant de porter cela à ceux de leurs Parents qui s’étoient
noyés dans la mer, dont il leur dit les noms. Après cela deux Kamt-
chadals qui avoient eu le plus de part à la fête, commencèrent à partager
les boulettes de Tolkoucha avec les Veaux marins faits d’herbes
, & donnèrent deux boulettes à chaque Pêcheur. Pour eux ,
après avoir pris les boulettes, ils montèrent fur la Iourte, 8c fe mirent
à crier Ouenie, c’eft-à-dire toi ; c’eft la façon dont ils s’appellent
les uns les autres, quand ils font à la pêche des Veaux marins.
Ils revinrent, 8c ayant tiré des boulettes de Tolkoucha les Veaux
marins de Sarane, ils les jetterent au feu, mangèrent les boulettes
de Tolkoucha, en conjurant les Veaux marins de les vifiter plus
fouvent, puifqu’ils s’ennuyoient de ne les pas voir. Cependant on
apporta la taffe remplie de Tolkoucha, qui avoit été expofée dehors.
Après avoir éteint le feu, ils partagèrent le Tolkoucha en-
u’eux, 8c le mangèrent. Enfuite un Kamtchadal ayant pris le fac
où étoient les têtes, il y mit le petit canot fait d’écorce de bouleau
8c un charbon ardent. Il fortit, jetta le fac, 8c ne rapporta
que le charbon, parce qu’il eft le fymbole du flambeau avec lequel
on accompagne les Convives pendant la nuit, 8c que l’on rapporte
à la maifon.
Après avoir reconduit leurs Hôtes, ils mangèrent les poiffons,
le Tolkoucha 8c les baies, comme fi c’eût, été les reftes d’un repas
qu’ils venoient de donner à de véritables convives.
Des Chevaux marins.
On voit rarement des Chevaux marins aux environs de Kamtchatka
, ou fi l’on en trouve , ce n’eft que dans les endroits fitues
plus au Nord. Celui où l’on en prend le plus , eft aux environs du
Cap Tchoukotskoi, où ces animaux font plus gros & en plus grande
quantité que dans aucun autre endroit. Le prix de leurs dents dépend
de leur groflèur 8c de leur poids. Les plus cheres font celles qui
pefent environ dix-huit livres, 8c dont il faut deux pour faire .un
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