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ne jamais examiner fi l’opinion qu’ils ont reçue eft vraie ou non. Ils
adoptent tout avec facilité & fans réflexion.
Leur Religion eft principalement fondée fur d’anciennes Traditions
qu ils confervent précieufement, fans vouloir écouter aucun
raifonnement qui pourroit les détruire.
M. Steller rapporte qu’il a demandé à plus de cent d’entr’eux, fi
en jettant les yeux fur le Ciel, les Etoiles, la Lune, le Soleil, &c.
il ne leur étoit jamais venu dans l'eiprit qu’il y eût un Etre tout,
puiflant, Créateur de toutes chofes, que l’on devoir autant aimer
que refpeéter a caufe de fes bienfaits. Us lui ont tous répondu affirmativement,
que jamais cela ne leur étoit venu dans l’idée, & qu’ils ne
fentoient & n'avoient jamais fenti pour cet Etre fuprême ni amour,
ni crainte.
Us penfent que Dieu n’eft la caufe ni du bonheur , ni du malheur
; mais que tout dépend de l’homme. Us croient que: le monde
eft éternel, que les ames font immortelles, quelles feront réunies
au corps , & toujours fujettes à toutes les peines de cette vie , avec
cet avantage feulement quelles auront tout en abondance dans l’autre
monde , & quelles ne feront jamais expofées à endurer la
faim.
Toutes les Créatures,jufqua la mouche la plus petite, reflufeite-
ront après la mort, & vivront fous terre ; ils Croient que la terre eft
platte, & qu’au-deifous il y a un Ciel femblable au nôtre , fous lequel
eft encore une autre terre, dont les Habitants ont l’Hiver lorf-
que nous avons l’Eté, & l’Eté lorfque nous avons l’Hiver»
Quant aux recompenfes de 1 autre vie, ils difent que ceux qui ont
été pauvres dans ce monde , feront riches dans l’autre ; &{ que ceux
qui font riches ici, deviendront pauvres à leur tour. Us ne croient
pas que Dieu punilfe les fautes ; car celui qui fait mal, difent-ils, en
reçoit le châtiment dès-à-préfent.
.Voici le conte qu’ils débitent fur l’origine de leur Tradition, II
t) V K A M T C II A T t &.
y a, difent-ils, dans le monde fouterrain où les hommes paffent
après leur mort, un grand & fort Kamtchadal appellé Gaetch, qui
eft né de Koutkhou ; c’eft le premier qui foit mort au Kamtchatka
; il a habité feul ce monde fouterrain , jufqu’au moment que fes
deux Filles moururent & furent le rejoindre ; il palfa alors dans notre
monde pour inftruire fa poftérité , & c’eft lui qui leur a raconté
tout ce qui fait aujourd’hui l’objet de leur croyance ; mais comme
plufieurs de leurs Compatriotes moururent d’effroi en voyant revenir
un mort parmi eux, ils abandonnent leurs Iourtes depuis ce
temps , lorfqu il y meure quelqu’un, & H en conftruifent de nouvelles,
afin que fi quelque mort revenoit chez eux comme Gaètch,
il ne pût trouver leurs nouvelles habitations.
Ce Gaetch eft , difent-ils, le chef du monde fouterrain. II reçoit
tous les Kamtchadals qui font morts, & il donne de mauvais Chiens-
& des haillons à celui qui y vient revêtu de riches habits ou avec de-
beaux Chiens ; au-lieu qu’il fait préfent de beaux Chiens & de magnifiques
habits à ceux qui y viennent déguenillés & avec de vieux
Chiens. Us s’imaginent que les morts fe conftruifent des Iourtes „
qu ils s occupent a la chaffe, à la pêche ; qu’ils boivent, mangent &
fe rejouiffent comme ils faifoient dans ce monde-ci , excepté qu’ils
ne reffentent aucune des peines & des maux attachés â la condition,
humaine. Us croient qu’on n’y elfuie jamais ni ouragans ni tem-
í petes , que la neige & la pluie y font inconnues ; que toutes les
chofes néceffaires a la vie y font en abondance , ainfi qu’au»
Kamtchatka du temps de Koutkhou. Us penfent' que ce monde
j empire de jour en jour, & que tout dégénéré en comparaifon.
de ce qui a exifté autrefois ; car les animaux, auffi-bien que les:
hommes, difent-ils , fe hâtent d’aller s’établir dans ce monde fouterrain.
Quant aux vices & aux vertus, ils en ont des idées auffi bizarres
que deleurs Dieux, Us regardent comme une chofe permife, tout