C H A P I T R E I I I .
D e l ’ancien état de la Nation Kamtchadale.
(^ É T T E Nation fauvage n’avoit jamais payé aucun tribut, avant
que les Ruflës enflent conquis ce Pays : elle avoit toujours vécu
dans une entiere indépendance , fans Souverains & làns Loix.
Les Vieillards, ou ceux qui fe diftinguoient par leur bravoure,
avoient la prééminence fur les autres dans chaque Oitrog ou Habitation.
Cette prééminence ne confiftoit cependant que dans la
préférence qu’on donnoit à leurs confeils fur ceux des autres, D ’ailleurs
une parfaite égalité régnoit parmi eux ; perfonne ne pouvoir
commander à un autre, & n’auroit ofé le punir.de fon propre
mouvement.
Quoique les Kamtchadals reflèmblent à quelques Nations de
Sibérie , par le teint bafané , les cheveux noirs, les yeux petits &
le vifage plat ; ils en différent cependant, en ce qu’ils ont le vifage
moins long & moins creux, les joues plus forçantes, les levres
épaiffes & la bouche très grande. En général, ils font d’une taille
médiocre , ils ont les épaules larges 8c font trapus, particulièrement
ceux qui habitent près de la Mer , & qui font leur nourriture de
Bêtes marines, Onn’a point vu dans tout le Kamtchatka, d’homme
d’une grande taille.
Ils font mal-propres & dégoûtants : ils ne fe lavent jamais les
mains, ni le vifage , & ne coupent point leurs ongles ! ils mangent
dans les. mêmes vafes que leurs chiens, fans jamais les laver.
Tous, en général, fentent le goût de poiflon, & répandent une
odeur femblable à celle du Canard de Mer. Ils nefe peignent jamais ;
les hommes & les femmes partagent leurs cheyeux en deux queues ;
les femmes qui les ont plus longs, les mettent en plufîeurs petites
treffes, dont elles forment enfuite deux grandes queues quelles
lient enfemble à l’extrémité avec une petite ficelle , puis les rejettent
fur le dos comme un ornement. Lorfque les trefles des cheveux
fe défont , elles les attachent avec des fils , afin qu’ils relient unis.
Ces Peuples font remplis d’une fi grande quantité de vermine ,
qu’en foulevantleurs trefles, ils ramaflent la vermine avec la main,
ils la mettent en un tas, & la mangent.
Ceux qui font chauves , portent des perruques qui pefent juf-
qu’à dix livres». Leur tête reflemble alors à une botte de foin. Au
relie , les femmes parbiflsnt plus belles & plus intelligences que les
hommes : auffi choififlènr-ils: par préférence leurs Prêtres , foit parmi
les femmes légitimes , foit parmi celles que Ion appelle des>
Koektchoutchi, & qui font des concubines.
Leurs habillements font faits de peaux. Ils le nourriffent de racines
, de poiflbns, & de bêtes marines. Ils habitent pendant l'Hiver
les Iourtes ( ou Cabanes ) , & font tirer leurs traîneaux par des
chiens. Pendant l’Eté, ils habitent les Balaganes , autre efpece de
bute que l’on décrira ci-après . j.& ils vont dans de grands canots, ou
à pied , félon que les lieux le permettent» Les hommes portent les
fardeaux fur leurs épaules , & les femmes fur leurs têtes.
Ils ont une idée finguliere de Dieu, des vices & de la vertu. Us font1
confiiter leur bonheur dans l’oifiveté & dans la fatisfaétion de leurs
appétits naturels. Ils excitent leur concupifcencepar dès chanfons,
des danfes, & des hiitoires amoureufes qu’ils ont coutume de fe raconter.
L ’ennui, les foins, les embarras ,, l’inquiétude fontregardés
comme les plus, grands malheurs qui puiflènt leur arriver ; 8c peau;
sien garantir , il n’eil rien, qu’ils ne mettent en ufage,. au riique
quelquefois de leur vie. Us. ont pour principe , qu’il vaut mieux
mourir , que de ne pas vivre à fon aife „ ou de ne pas fatisfaire