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: Ces cris durèrent plus d’une demi-heure , après quoi une Fille
comme tranlportee de fureur , s’élança du coin où elle étoit ; &
après avoir rapidement monté 1 échelle., faifit le bouleau. Dix Fem-
mes environ accoururent pour 1 aider ; mais le Chef ou Toion de
cette habitation., fe tenant fur 1 échelle, les empêcha d’enlever le
bouleau. Cependant on defcendit cet arbre dans la Iourte; & lorf.
qu on put le toucher d en-bas , toutes les Femmes s’en étant failles,
fe mirent a le tirer à elles, en danlânt & jettant des. cris effroyables ;
mais ceux qui etoient fur la Iourte le retirèrent avec force. Après
cela toutes lès Femmes tombèrent a terre, comme fi elles eulfent
été polfedees par quelque démon, excepté la Fille qui avoit faifi la
première le bouleau : elle s y tint iufpendue , & ne cellà de crier
qu après que le bout de l arbre fût fur le plancher. Alors elle tomba
comme morte , de même que les autres Femmes.
Le Vieillard defenchanta toutes les Femmes & les Filles de la
meme maniéré qu auparavant, & les fit revenir promptement, en
prononçant tout bas quelques paroles ; il n’y eut qu’une Fille fur ta
quelle il relia plus long-temps. Cette Fille revenant à elle, fe
mit a crier qu elle avoit fort mal au coeur ; enfuite elle confelfa fes
fautes, s accufant d avoir écorché des Chiens avant la Fête. Le
Vieillard la confola , l’exhorta à fupporter avec courage la douleur
qu elle s etoit attirée elle-même , pour ne s’être pas purifiée de fes
fautes avant la Fete , & n avoir pas jetté dans le feu. des nageoires
ou des ouïes de poilfon.
Au bout d’une heure ou d’une heure & demie, on jetta dans la
Iourte huit peaux de Veaux marins, dans leiquelles on avoit mis du
Ioukola, de 1 herbe douce & des boyaux remplis de grailfe de Veaux
marins. On y jetta encore les quatre nattes qui avoient été données
ayec des provifions , a ceux qu’on avoit envoyés pour chercher le
bouleau. On trouva dans les nattes des copeaux de bouleau & tout
le refte de leurs provifions. Tous les Kamtchadals qui étoient préd
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fents partagèrent entr’eux le poilTon qui étoit dans ces peaux,
l’herbe douce & la grailfe ; ils étendirent ces peaux au pied de l’échelle
, & ils firent de ces copeaux de bouleau de petites Idoles à
tête pointue, en l’honneur de ces démons, qu’ils croient s’emparer
des Femmes lorfqu’elles danfent. Ils nomment ces Idoles Kamoude.
Les peaux de Veaux marins dont nous avons déjà parlé, font defti-
nées dès l’Automne à ces démons, lorfque les Kamtchadals vont à la
chaiTe de ces animaux, & c’eft pour cette raifon qu’ils ne les emploient
à aucun ulàge ; ils fe contentent de coucher delfus.
Quand ils eurent fait cinquante-cinq petites Idoles, ils les rangèrent
les unes à côté des autres , & commencèrent par leur enduire
le vifage de Broqjnitfa ( 1), après quoi ils leur préfenterent fur trois
vafes de la Sarane pilée, & mirent devant chaque Idole une petite
cuiller. Ils y lailferent quelque temps ce mets , & quand il les
crurent ralfafiées -, ils mangèrent eux - mêmes la Sarane. Enfuite
après avoir fait des bonnets avec de l’herbe, ils les mirent fur la tête
de chaque Idole , & leur attachèrent au cou de l’herbe douce & du
Tonchitche ; ils les lièrent en trois paquets que deux hommes jet—
terent dans le feu en poulïant de grands cris & en danlânt. Us brûlèrent
en même-temps les petits copeaux qui étoient reliés lorfqu’on
avoit fait les Idoles.
Vers minuit environ une femme Kamtchadale entra dans la
Iourte, par la-feconde ouverture ( nommée Chopkhade ), portant une
efpece de baleine attachée fur fon dos ; elle avoit été faite d’herbe
douce Sf. de poiflbn au commencement de la Fête. Cette Femme fe
mit a ramper autour du foyer , fuivie de deux Kamtchadals qui tenaient
des boyaux remplis de grailfe de Veaux marins , enveloppés
d herbe douce. Ces deux Hommes, en faifant des cris femblables au
croalfement d une Corneille, frappèrent la baleine aVec leurs boyaux.
'(■•1) VcLccinium. Linij. Sueç. Spec. 3.