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ce qui peut fatisfaire leurs défirs & leurs paillons, & ils n’envifagent
comme faute, que ce qui leur fait craindre un dommage véritable.
Ainfi le meurtre, le fuicide, la fornication, l’adultere , la fodomie,
l’outrage, &c. ne font point des crimes : ils croient, au contraire,
que c’eft une grande faute de fauver un homme qui fe néye , parce
qu’ils font dans l’opinion que celui qui le délivre , fera néyé lui-
même. C ’eit aufli une impiété horrible de recevoir dans fon habi-
ration ceux qui étant couverts de neige fur les montagnes, s’en font
débarralfés avant d’avoir mangé toutes leurs provifions de voyage ;
ces perfonnes ne peuvent entrer dans une Iourte qu’après s’être déshabillés
tout nuds, & avoir jetté leurs habits comme fouillés. Boire
de l’eau de fources chaudes, s’y baigner, monter fur les Volcans ;
c’efl:, fuivant eux , s’expofer à une perte certaine, en commettant
un crime que le Ciel doit venger. Ils ont la même idée de plufieurs
autres fuperftitions dont j’aurois honte de parler.
C ’eft un péché chez eux de fe battre & de fe quereller pour du
poiifon aigre ; d’avoir commerce avec leurs Femmes lorfquils écorchent
les Chiens -, c’en eft aulli un de racler avec un couteau la neige
qui s’attache à leur chauffure , de faire cuire dans le même vafe la
chair de différentes bêtes & poiffons, d’aiguifer fa hache & fes couteaux
loriqu’on eft en voyage, ainfi que de faire d’autres puérilités de
cette nature ; ils craignent que ces a ¿lions ne leur attirent quelques
accidents fâcheux. Par exemple, des difputes & des batteries pour
du poiffon aigre, leur font craindre de périr ; s’il leur arrivoit d’avoir
commerce avec leurs Femmes dans Je temps qu’ils écorchent
leurs Chiens, ils çraindroient la gale ; s’ils raclent la neige avec le
couteau, ils fe croient menacés d’ouragans ; s’ils font cuire différentes
viandes enfemble, ils fe perfuadent qu’ils feront malheureux dans
leurs chaffes , ou qu’ils auront des abcès ; s’ils aiguifent leurs haches
dans le voyage , ils s’imaginent être menaces de mauvais
temps & dç tempêtes. On ne doit pas trop s’étonner de t.out cela,
puifquç
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puifque chez tous les Peuples il y a quantité de fuperftitions de
cette nature.
Outre les Dieux dont j’ai parlé, les Kamtchadals révèrent encore
différents Animaux & d’autres Etres dont ils ont quelque chofe à
craindre. Ils offrent du feu à l’entrée des terriers des Zibelines & des
Renards ; quand ils vont à la pêche , ils prient & conjurent par les
difcours les plus flatteurs les Baleines & les Kacatki, ou l’Oréa ,
parce que ces poiffons renverfent quelquefois leurs canots. Ils n’appellent
pas les Ours ni les Loups par leurs noms ; ils prononcent
feulement le nom Sipang, qui fignifie malheur ; ils reffemblene
en cela à nos Chaffeurs de Zibelines, qui fe gardoient bien pendant
la ehaffe d’appeller beaucoup de chofes par leurs noms, comme
fi cela rendoit la chaffe malheureufe. Telle étoit l’état de cette Nation
pendant mon premier féjour au Kamtchatka ; mais aujourd’hui
prefque tous les Kamtchadals ont reçu la Foi Chrétienne, de même
que plufieurs Koriaques Septentrionaux,par la vigilance de Sa Majefté
l’Impératrice Efifabeth, Sf les foins vraiment maternels quelle a pour
tous fes Sujets. En 1741 , 1e Synode envoya au Kamtchatka des
Millionnaires & tout ce qui étoit nécelîàire à l’établiiTement d’une
Eglife, pour convertir à la Foi Chrétienne des Peuples aufli fauva-
ges ; ce qui a fi bien réuffi qu’on en a baptifé un grand nombre. On
a même infpiré à ce Peuple le défir de s’inftruirp > & l’on a établi
des Ecoles en différents endroits. Les Kamtchadals y envoient de
bon gré leurs Enfants, Ôc quelques-uns les fontinftruire à leurs propres
dépens ; ce qui donne lieu de croire que dans peu de temps la'
Religion Chrétienne fera de grands progrès dans cette contrée,
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