mortes que la mer jette fur le rivage : ils fe contentent d’en prendre
la graiffe dont ils fe fervent pour s’éclairer. Et quoique ces
Tchouktchi aient de grands troupeaux de Rennes qui pourroient
leur fuffire, fans qu’ils euffent befoin d’avoir recours à d’autres nourritures
, ils font cependant meilleurs pêcheurs Si prennent plus de
Baleines Si de Bêtes marines que leurs voifins ; ce qui provient en
partie de ce qu’ils en regardent la graiffe comme le mets le plus exquis
qu’ils puilfent manger, mais principalement de ce que manquant
de bois, ils chauffent leur Iourte avec de la moufle trempée
dans cette graiffe. Ils fe font desjchemifesde même que les Peuples
de l’Amérique de leurs inteftins, & s’en fervent au - lieu de vafes
comme les Olioutores.
M. Steller dit avoir appris de perfonnes dignes de foi qu’on a
trouvé plulieurs fois dans. le corps des Baleines que la mer avoir
jettées fur les côtes de Kamtchatka, des harpons fur lefquelsetoient
gravées des infcriptions latines; Sc fuivant fon opinion ces Baleines
avoient été bleffées au Japon, où on les prend de la même maniéré
qu’en Europe- Il efl: prefque impoifible, fuivant la poiîtion connue
aujourd’hui de l’Amérique, que ces Baleines mortes viennent de
cette Contrée, Car comment fe perfuader que dans une diftance
aulfi étendue Si remplie de beaucoup d’Ilfes,, elles ne fe foient pas
arrêtées quelque part fur les côtes. Comment d’ailleurs les Kouriles
, les Kamtchadals, Sc même les Cofaques ont-ils pu dire qu’il
y av oit une infcription latine fur ces harpons; les Naturels du Pays
n’ont aucune connoiffance des Lettres , & conféquemment aucune
idée de la différence qui fe trouve entre les caraûeres. Avant
notre arrivée il n’y avoit point encore eu de Cofaque qui sût ce que
c’éroir que des lettres latines.
Les habitants du Kamtchatka tirent une grande utilité des Baleines;
ils font de leurs cuirs des femelles Sç des courroies ; ils mangent
leur chair Si leur graillé , qui de plus fert à les éclairer. Leurs
barbes ou fanons leur fervent pour coudre leurs canots j ils en font
aulfi des filets pour prendre des Renards & des" Poiffons. Ils font
avec leurs mâchoires inférieures des gliffoires à leurs traîneaux, des
manches de couteaux, des anneaux, des chaînes pour attacher les
Chiens & d’autres bagatelles.
Leurs inteftins leur tiennent lieu de barils & d’autres vâiffeaux.
Les nerfs Si les veines font propres à faire de greffes cordes pour les
bâtons qui fervent aux pieges; les vertebres fervent de mortiers.
Les morceaux de la Baleine les plus délicats, & qui ont un meilleur
goût, font la langue Si les nageoires : enfuite la graiffe cuite
& bouillie avec de la farane , m’a paru affez bonne ; mais je ne
m’en rapporte pas â mon goût, car un homme qui a faim n’eft pas
ün bon juge de l’excellence d’un mets.
Mais toute cette abondance que procurent aux habitants de ces
Contrées les Baleines que la mer jette fur les côtes, leur devient
quelquefois bien funefte, & les Habitations entières en périffent.
Je fus témoin, au mois d’Avril 1739, de l’horrible ravage que
caufa parmi eux cette nourriture. J’allois alors de Kamtchatskoi -
Oftrog inférieur à Bolcheretskoi-Oftrog, eri fuivant la Côte Orientale,:
Il y a fur les bords de la riviere Berejvwa une petite Habitation
appellée Alaoun. M’étant arrêté le i Avril dans cet endroit
pour y dîner, je remarquai que tous ceux que je vo-yois étoient
pâtes Si défaits, & qu’ils avoient auffi mauvais vifage que s’ils fuf-
fent relevés de quelque grande maladie. Comme je leur en deman*
dois la raifon, le Chef de l’habitation me dit qu’avant mon arrivée
, un d’entr’eux étoit mort pour avoir mangé de la graiffe d’une
Baleine empoifonnée,& que comme ils en avoient tous mangé,
ils craignaient de fubir le même forr. Au bout d’environ une demi-
heure , utïKamtchad'al très fort Si très robufte , Si un autre plus petit
commencèrent tout-à-coup à fe plaindre , en difant qu’ils avoient
la gorge tout en feu- Les vieilles femmes qui font leurs Médecins,