en continuant d’aboyer. Plusieurs fois, elle chercha
à sauter sur moi pour me mordre; mais
mon immobilité et mes regards l’effrayaient ;
elle reculait, se tournait tantôt d’un côté, tantôt
de l’autre; mais ma figure sévère et mon regard
la poursuivaient partout, car je la suivais sans
cesse avec une lenteur presque imperceptible.
Bientôt la terreur commença à s’emparer
d’elle, elle crut m’échapper en se plaçant devant
la loge de ses petits ; mais quand elle se retourna,
déjà j’étais vis-à-vis d’elle. Tremblante d’épou-
vanle, elle essaya de se réfugier sur le toit plat,
en terre, de la maison, espérant défendre de là
ses petits ; mais pendant qu’elle fait le tour d’un
côté, je me hâte d’en faire de même de l’autre;
et prête à s’y tapir..., cette même figure, cette
figure épouvantable, ce regard fixe, se trouvent
là pour la recevoir. Pour le coup elle n’y tint
plus ; la plus grande terreur s’empara d’elle, et
abandonnant toit et nichée, elle prit la fuite en
poussant des cris lamentables et ne s’arrêta qu?à
quelques centaines de pas de la maison.
Cette expérience étonna, comme on peut
croire, le moullah et Ali, qui me regardaient
opérer à distance : le moullah surtout ne pouvait
concevoir comment une chienne si vaillante, si
méchante, avait pu abandonner ses petits. Cependant
, me dit-il, vous n’avez eu à faire qu’à
une chienne de la moyenne espèce ; nous avons
dans le village un chien qui est bien plus terrible
: c’est la plus grosse et la plus méchante
bête; nous sommes obligés d’avoir de ces animaux
pour nous défendre en cas d’invasion
quand les femmes restent seules au village. Le
voyez-vous inquiet, posté sur le toit de sa maison;
il s’aperçoit déjà qu’il y a quelque étranger
nu village. Il n’y a que quelques jours que quatre
soldats russes n’ont pu se défendre contre lui • il
les terrassait; on a été obligé de courir à leur secours.
Pendant qu’il me parlait, je considérais
l’énorme animal, qui, de la distance où je le
voyais, me paraissait plus grand encore, debout
sur son toit, qui était à l’opposite de la partie du
village où nous étions arrêtés. Je n’en ai pas
peur, dis-je au moullah, et je vais essayer encore
une fois l’effet de ma méthode, et tout d’un
élan, sans armes, les mains derrière le dos, je
me dirigeai vers le redoutable cerbère. Ali et le
moullah étaient à quelque distance derrière moi.
Dès que je fus à portée et que le chien m’aperçut
, il s’élança à bas de son toit et ne fit que sauts
et bonds pour m’atteindre. Quand je le vis s’approcher,
je ralentis ma marche insensiblement,
et quand il voulut sauter sur moi pour me terrasser,
j ’étais immobile comme un terme, le visage
sévère et les yeux fixés sur lui. Saisi à cet
aspect si peu ordinaire, l’animal s’arrêta court,
et redoubla ses aboiements en tournant autour