Je quittai ces roches ignées en arrivant à So-
ganïoughi; de là, je remontai le long des rives du
Kour, encaissé par des roches de schiste noir,
et j ’arrivai enfin àTiflis, bénissant Dieu dèmY
avoir ramené au moins vivant, sinon en bonne
santé. Les fatigues de ma longue excursion et les
jeûnes forcés que j ’avais supportés, avaient
ébranlé ma Santé plus que je ne le croyais, en
arrivant à Kathrinenfeld. Là, une cuisine succulente,
allemande, des salades au lard, des
omelettes lardées, du jambon, du rôti, etc., vinrent
remplacer le pilau tatare si simple et si
léger ; mon estomac n’était plus fait pour ces
friandises, et quand j ’arrivai à Tiflis, je tremblais
de tous mes membres, et j ’étouffais sous les
atteintes d’un paroxisme de fièvre tierce. Pour
mon malheur, le bon Salzmann ne pouvait me
loger ; il me céda cependant un petit coin d’une
antichambre ou j ’attendis la fin de mon premier
paroxisme, fort attristé et ne sachant où
je trouverais un refuge. Chancelant encore, je
quittai vers le soir le tapis de feutre si dur qui
me servait de lit, pour aller, sur la galerie, jouir
d’un peu d’air et me restaurer; je regardais
aveô inquiétude ce vaste panorama de Tiflis où
j ’avais tant de peine à trouver un logement,
quand deux cavaliers passent devant la porte et
s’arrêtent à ma vue. Comment, c’est vous, Dieu
soit béni! Oui, c’est moi, j ’arrive et je viens
déjà d’essuyer un rude accès de fièvre ; le pire,
c’est que je ne sais où trouver un abri. Comment!
bon Dieu! que ne parlez-vous ? dépéchez
vous de venir chez moi ; j ’ai plus de place
qu’il ne vous en faut. J'ai agrandi mon logement
depuis votre départ; vous serez bien
soigné; allons, dépéchez-vous ; voilà un dro-
cheki qui passe, profitez-en. Je vais vous rejoindre
: et moi aussi, j ’ai été malade depuis votre
départ, et je vais faire une petite course ordonnée
par mon médecin. Cet homme généreux qui
venait à mon secours, était un de mes compatriotes
de Saint-Gall, M. Charles Meyer, jeune
homme aussi intelligent, aussi zélé dans 'les affaires
qui l’amenaient à Tiflis, que serviable et
bon ami. Je voudrais qu’il pût lire ees lignes, y
reconnaître le sentiment de reconnaissance qui
les a dictées; mais, hélas! si jeune, il repose dans
la tombe, victime de son zèle et de son
courage.