Abbas, ne pouvant tenir contre les Turcs qui le
poursuivaient, se trouva avec son armée à
Djoulfa pendant que ses ennemis occupaient
Nakhtchévan. Ainsi menacé, Chah-Abbas songea
à mettre l’Araxe entre lui et les Turcs. Déjà le
pont avait été ruiné ; il fut obligé de faire passer
sur des bateaux toute son armée, ainsi que tous
les prisonniers arrachés à l’Arménie, qu’il traînait
après lui. Ceux de ces pauvres gens qui ne
voulaient pas passer le fleuve eurent le nez et les
oreilles coupés. Jean, frère du patriarche Ara-
kheal, et un grand personnage de Garni, eurent
la tête tranchée. Ce passage durait depuis plusieurs
jours. A la fin, Chah-Abbas, ennuyé d’en
attendre la fin, ordonne de jeter dans l’Araxe
tout ce qui restait de ces malheureux sur la rive
gauche, femmes, vieillards, enfants, etc. « Ceux
« qui savent nager atteindront bien l’autre
< rive, disait-il; pour les autres, qu’ils se
« noient. »
Jusqu’alors, Djoulfa était restée intacte. Celte
opération achevée, Chah-Abbas envoya alors
Thamas-Kouli-beg dans la ville, avec l’ordre de
la faire évacuer. Des hérauts promulguèrent
dans tous les quartiers le décret suivant :
« Ecoutez tous, habitants de Djoulfa, le grand
« roi Chah-Abbas vous ordonne de le suivre en
« Pei ’se. Vous avez trois jours pour vous y
« préparer. Quiconque, au bout des trois jours,
« sera trouvé ic i , sera mis à mort, et ses biens
« appartiendront au grand roi. Si quelqu’un se
« sauve ou se cache, celui qui le dénoncera
« aura ses biens et le grand roi sa tête. »
La plupart des habitants de Djoulfa ne pouvant
emporter leurs richesses , et espérant revenir
bientôt dans leur patrie , les enterrèrent
auprès de leurs maisons. A la fin du troisième
jour, quand il n’y eut plus de répit, plus d’espoir,
quand il fallut partir, quitter une demeure
paisible et chérie pour un avenir effrayant et
sans asile, chacun emportant les clefs de sa
maison suivit les prêtres qui emportaient celles
des églises, et quand tout ce peuple fut arrivé
devant l’église de la Sainte-Vierge , qui est sur
le rocher hors de la ville, chacun poussa des
gémissements et pleura, en portant un dernier
regard sur la ville déserte. Puis, s’adressant à la
reine des cieux, ces infortunés confièrent à cette
mère des malheureux leurs églises et leurs maisons,
dont ils jetèrent les clefs dans le fleuve.
Chah-Abbas arriva sur ces entrefaites, pressant,
encourageant, menaçant. Voyant l’embarras
de celte multitude, il ordonna à ses soldats
de venir leur aider. Chacun s’empressa de
fondre sur ce qu’il y avait de jeunes filles et de
jeunes garçons, s’emparant en même temps des
effets les plus précieux. Ce fut autant de butin
que ces braves de Chah-Abbas envoyèrent chez