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C’est au milieu de ces anciens monuments,
au pied meme dé .cette tour, que le khan actuel
ou gouverneur de Nakhtchévan , El-s an Khan ,
a bati son palais., qui forme je ne sais combien
de cours à la persane, avec des appartements
fort richement ornésc C’est là qu’il me reçut un
soir, en me disant : « Aujourd’hui je vous traiterai
à la persane,, mais demain ce sera à • la
russe. » A la persane, c’était me dire que je mangerais
avec lui les jambes croisées, sous moi sur
un de ses Superbes tapis ¡autour d’un énorme
p ia f (1) pyramidal entremêlé de volailles ; que
je me servirais de mes doigts pour fourchette et
d une layache (2) pour serviette , et que je boirais
tout simplement de l’insignifiant cherbet.
— Le lendemain, changement de décorations
du tout au tout. Toutes les notabilités de Nakh-
tchéyan sont reçues dans un vaste salon ; nous
avons des tables, des chaises : on joue aux cartes
en attendant qu’on serve à l’européenne une
grande table pour 25 personnes; avec nappe,
serviettes, cristaux, etc. Quatre ou cinq ans
auparavant1, savait-on ce que c’est que tout cela
à Nakhtchévan?
• (1) On écrit ordinairement pilau, mais les Orientaux ne
prononcent pas autrement que piaf.
(2) Grande galette très-mince d’un pied et demi de long;
elle tient lieu de pain, de serviette et d’assiette. Voyez Jean
Potocki, Voyage duKaultase, I, 186.»
Pour nous faire honneur, Je khan voulut
nous donner une représentation de danseurs
persans, dont tous les fours étaient assaisonnés
des plaisanteriés d’un Baïazzo comme chez les
Italiens. On ne peut pas décrire ces divertissements
mieux que M. Morier. La scène la plus
plaisante était Baïazzo amoureux , et faisant la
cour avec sa. guitare persane à deux jeunes danseurs
.costumés en femmes, qui lui répondaient
par des«soufflets. Quant aux autrës scènes, qui
n’étaient que dés farces par trop sales et par
trop plates, il n’y avait d’intéressant que le
bonnet pointu de Baïazzo, son visage enfariné,
sa pelisse retournée , et sa pelle à four, dont il
appliquait rondement des coups à droite et à
gauche en guise de batte aux autres acteurs.
Mais j ’entends crierde tous côtés r Vous nous
parlez la de tant de tours, de portes-, de soupers,
de farces persanes, et*vous oubliez... Oh! non,
je n oublie pas, mais j ’ai honte, après vous
avoir décrit ces superbes monuments' et d’autres
tombeaux presque aussi beaux que la Tour
des Khans, de vous mener à celui de Noé... j
car, au nom de ce patriarche, âu nom de ce père
du genre humain, vous vous attendez à voir un
monument aussi grand que sa gloire, aussi beau
que la vénération qu’on lui porte.. . ; et au lieu dé
cela, a cote des murs ^ravages- de la nouvelle
forteresse abandonnée, au milieu d’uiie vaste et