
eonnoiffe le plan qu’ il fuivra pour l’expofer &
tous lesincidens qui le modifieront, avant qu’ il
entreprenne d’écrire.
L ’ intelligence & la mémoire n’ont qu’une certaine
étendue. Il faut que l’attention fe fixe,
pour qu’on acquière dë nouveau & tant qu’un
grand objet la captive, elle fe fixe difficilement
ailleurs. Qu’un homme donc fe voue à un fu-
jet plein de détails & de difficultés : quand il en
aura vu aflèz de faces pour que toute fon atten--
tion & fa mémoire y foyent employées, il n’y
fera plus que dès progrès très lents : il pourra
mêriie fe flatter de l’avoir tout vu. Si alors il
entreprend d’écrire; fon plan fe forme fur ce.
qu’ il fait, ou croit favoir; il arrange fes idées
dans leur fucceifion naturelle; il les annonce
dans cette ordre par un exorde; & s’ileft réfolu
de ne travailler que fur fes matériaux aétuels, il
n’ a pas befoin d’une Préface. Il avoit fon Lecteur
en vue en formant fon plan, & il l'aura
fatisfait de fon mieux.
Mais fi, fortement" attaché à fon fujet, il n’attend
que l’occafion de s’initruire par l’ob-
fervation & la réflexion, il la trouve bientôt
en écrivant. A mefure qu’ il décharge fon attention
& fa mémoire, en dépofant fes idées
furie papier, il devient plus libre de réfléchir;
fes idées, forties pour ainfi dire d'une pépinière
où elles fe #preflbient les unes les autres, Sé
tranfplantées djans un terrein plus étendu, pous-
fent de nouvelles branches; & e’ûit iouvent,alors
qu’elles fructifient.
Que fera donc un Auteur,, qui fe voit obligé
d’e'carter, d’étayer, d’anterde nouveau ce qui
dans la foule étoit refté fauvage? Donnera-t-il
une nouvelle ordonnance au tout, à caufe de
ces nouveaux développemens? Quiconque l’exi-
geroit de lui, ne s’eft pas trouvé à la peine.
Je l’éprouvai déjà quand j’écrivis fur VAir.
j'eus befoin presqu’ à chaque Chapitre, de; nouveaux
AvertiJJmens pour leur donner un peu
d’enfçmble. C’eft que Ja matière foifonnoit en
la travaillant; ou plutôt elle foifonnoit dans la
Nature; & à chaque fois que mon attention fe
portait toute entière fur un objet ifolé, il
poufibit des branches de toute part, Falloit - il
vérifier une conjcéture par l’expérience? De nouveaux
doutes s’ élevoient, de nouvelles vues
s’ouyroient, de nouvelles conféquences fe pré-
fentoient; & ne trouvant jamais le bout du fil,
il falloit enfin prendre la réfolution de le couper.
Mais un paragraphe, étoit devenu un Chapitre
qui ne s’étoit pas trouvé dans le pr.emief
pian ; l’ouvrage étoit avancé & même fous
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