
L ’Homme eft pour l’Homme la plus grande
partie de la Nature; & en même tems chaque
individu eft infatiable de bonheur. Voilà deux
principes qui fe retrouvent, même 4ans le mifan-
thrope le plus fombre. C’eft par leur oppoii-
tion que l’Humanite' devient malheureufe ; &
leur conciliation au contraire eft une fource
ine'puifable de bonheur pour elle. Si c’eft bien
là ce que nous dit l’expérience; le moyen de
concilier ces deux principes, doit être le grand
but du Philanthrope.
Quand tout le Monde phyiique réuniroit fes
biens autour de l’Homme, je le répète, il ne
fautoit combler fes defirs; parce que fa fenfibi-
liré phyfique eft bornée & s’épuife. Mais il a
une autre manière de fèntir, qui peut le faire
jouir conftamment de tout l’Univers.
L ’Homme cherche l’Homme par un penchant
invincible. Mais quand les hommes fe font ras-
femblés, par l’efpérance qu’avoit chaque individu
d’y trouver fon propre bonheur ; le conflit de
leurs efforts pour l’atteindre, peut devenir le
tourment de tous. Le bonheur alors s’évanouit,
par la caufe même qui devait le produire; & ce
malheur général aura toujours lieu, tant que
’’ équilibre entre les hommes ne fera produit que
par des efforts.
Les Etres infenfibles peuvent,, fans inconvénient,
fe contenir les uns par les autres. Si
les rapports de leurs forces viennent à changer
, l’équilibre fe rétablit bientôt ; c’eft la marche
réglée du Monde phyfique. Mais la fenjt*
bilité lutte chez les Hommes ; » elle occafionne
fans ceffe des conflits, toujours accompagnés de
Souffrance; & s’ ils font abandonnés à leurs forces
actives, ils fe chercheront fans ceffe pour
jouir, & ne trouveront que tourment. Livrés
à leur activité propre, ils ne pourront confer-
ver entr’eux d’équilibre. Ceux qui ont été abattus
dans de violentes fecouffes, acquièrent de
nouvelles forces en filence & dans le repos. Ils
fe réveillent alors, ils engagent de nouveaux
combats, ils font victorieux à leur tour ; & tous
ces conflits font accompagnés de fouffrance.
Voilà pourquoi i f ne faut pas qüe l’équilibre
moral s’ établifle, comme l’équilibre phyfique,
par le jeu libre des efforts & des réfiftances.
Que l’Homme fe contînt lui-même ; ce ferait
le plus fur moyen de rendre la fociété tranquille.
Circulant les uns parmi les autres fans fe heurter,
les hommes fe ferviroient alors mutuellement
d’aides au bonheur. C’ eft la ce qu’ ils
cherchent. Mais, ce ne feroit rien encore, en
comparaifon de çe qui pourroit découler duriè