
Quant à moi » j’aime à additionner dans
mon esprit les empreintes que je trouve par*
tout d’une Main bienfaifante. J’ ignore comment
Elle a fait le Monde; mais je fuis bien
loin de faire de'pendre mon bonheur de la fa-
tisfaftion de ma curiofité, fur un objet qui
très vifiblement eil audeilüs de la portée de
l’Homme. J’aime à ne me pas fentir égaré
dans l’Univers, jouët de Caufes aveugles, fans
reifource contre la crainte du mal, fans certitude
pour la durée du bien. La conféquence
immédiate & durable de chaque moment d’attention
fur les phénomènes, eft pour moi un
raviffement mille fois plus doux, que celui que
j’éprouve à la folution d’un problème de Phy-
fique. C’eft un plaifir de l’Ame, qui pénètre
l’Homme dans fa ’principale eüence : il eft de
l’ espèce de l’Amour délicat: ou plutôt, c’en
eft le degré fuprême ; ' puisqu’ il , eft excité par
la contemplation de l’Etre qui poffède tout ce
qui eft bon & beau, & qu’il s’ empare du coeur
par la reconnoiffance l’admiration Sç l’espérance.
Je ne croirai jamais que tous les hommes ne
puiflent pas être fusceptibles de ce bonheur.
Ils font réduits quelquefois par leur prétendu
Savoir, & prennent plaifir à exercer leurs fa*
cultes intelleétuelles dans la région des Poffibles.
je crois que ce penchant- s’affoiblira, à me-
fure que leurs vraies lumières augmenteront:
ils ne prendront plus de .plaiÿr à des maifons
de cartes, quand ils çonnoîtront quelques prin-,
eïpes.d’Architeéture. 4 ,
J’en reviens à ceci. Quand on croit avoir
formé l’Univers par la force de fon génie,
que s’y, trouve - t - o n ? Le jouet paiTager des
événement. Trifte contemplation pour un Etre
qui voudroit être tout, &: dont la foif de bonheur
eft infatiable! L’ennui, mal fi terrible, &
cependant fi commun, procède chez une multitude
de gens, de ce qu’ils croyent avoir déjà,
ëpuifé toutes les combinaifons de leur exiften-
ce & qu’ ils font las de tout : rien ne les
intérefle plus dans le Monde, parce qu’ ils ont
comme anéanti pour eux , fes rapports aveq
ce qui lui donne le plus de prix: l’ avenir
donc ne leur promet rien, le pafie n’eft plus
que fonge, & le préfent n’étant que ce qu ils
ont vu & fenti mille fois, n’excite plus aucun
fentiment doux chez eux. Qui ne defire-
roit de fortir de cette apathie !
Le fentiment de leur ignorance les en tirera
enfin: non de cette ignorance d’oftentation, que
quelques Philofophes ne profeflent que du bout