
il fuffit d’ avoir été à portée de connoître d’où
fort immédiatement, ou par fucceflion, la plus
grande partie des hommes qui rempliflent les
hôpitaux, occupent les carrefours, & arrêtent
les paffans fur les grands chemins, pour comprendre
que le nombre de ceux qui fê vouent
aux Arts & au Commerce eft beaucoup trop grand.
Et c’eft là une des fources dé la dépravation
des moeurs dans les Villes. Cette claffe d’Arti-
fans & de petits entremetteurs, réduite à l’ indigence,
s’avilit & fe corrompt. Privés des
douceurs naturelles d’ une fubfiftance sûre, qui
maintiennent une vie réglée, nombre d’individus
de cette Claffe cherchent le' plaiflr dans l’étour-
diffement, qui pour eux eft la crapule : s’il refte
du beau fangchez leurs filles,la proftitution eft
fouvent leur partage ; & cette feule fource corrompt
tout. Car dès que la vie licentieufe a
pris naiflance dans une Ville riche, fes Campagnes
ne tardent pas à fournir auffi des victimes
au libertinage.
11 feroit inutile de repréfenter à la plupart
des Etats aCtuels, qu’ils devroient diminuer
l’excès des Manufactures, & reflerrer le Commerce.
La caufe qui produit tous ces défordrcs
eft trop fortement établie : c’eft celle qui chaffe
les habitans de la Campagne, & les fait arriver
en foule dans les Villes ; favoir le manque de
pofleifions rurales pour eux, ou de poffeflions
bien réglées. D ’ailleurs il eft difficile que 1^ Ch
toyen fente ce qui convient à l’Humanité entière
; comme il feroit difficile de perfuader les
particuliers, de ne pas pouffer leur induftrie
auffi loin qu’ils le peuvent : & l’énergie du Ci-
! toyen eft néceflaire à l’Humanité; car le zèje
; qui a un objet trop vafte, ne produit presque
: rien. * Cependant les Etats ont placé leur prospérité
dans Y Argent; ils voyent qu’ il leur en
arrive par les Manufactures & le Commerce,
& ils ne s’embarraffent pas de ce qui en refulte
ailleurs; il eft difficile même qu’ils s’ y inté-
! refirent. Il eft auffi des Etats qui, n’ayant que
i peu ou point de territoire, ne fubfiftent que par
le Commerce & les Manufactures ; & d’autres
dont la pofition les favorife fi fo r t , qu’ils y
font entraînés par le fuccès. C’eft donc encore
là une queftion compliquée. Mais en' po-
i fant des principes généraux,& citant desexem-
I pies, on peut prévenir des maux avenir.
Perfuadé dès longtems que les Etats qui
avoient pu fe pafler de ces reflources précai-
f res, & fouvent malheureufes, devoient continuer
à s’ en pafler, j’en avois dit quelques cho-
fe dans mes Lettres fur la Suifle, en comparant
Berne à Neufchatel à cet égard; & j’ai