
Cet ouvrage a paru; c’ eft celui qui traite de
VHomme & de fon éducation. C’eft donc là que
je vais puifer l’argument d’H e l v e t i u s par
lequel il croyoit pouvoir détruire l’effet de la
remarque de R o u s s e a u . „ Ai-je intérêt (dit-
„ il ( a ) ) , de diftinguer entre deux nuances
„ presque imperceptibles de la même couleur,
,, laquelle eft la plus foncée ; j’examine long-
,, tems & fucceffivement les morceaux de drap
,, teints de ces deux nuances ; je me rends
,, très attentif à l’impreflion différente que font
„ fur mon oeil les rayons réfléchis des deux
,, échantillons ; & je juge enfin que l’un eft plus
,, foncé que l’autre ; c’eft à dire, je rapporte
,, exactement l’ impreifion que j’ai reçue. Tout
„ autre jugement feroit faux. Tout jugement
,, n’ eft donc que le récit de deux fentations,
,, ou actuellement éprouvées, ou confervées
„ dans la mémoire Qu’eft-ce donc que
,, j uSer •? c’ eft dire ce qu’ on fent.”
Telles font les obfervations que l’Auteur nomme
fines. L ’attention aux deux échantillons,
produit fans doute deux perceptions diftinCtes;
mais YEtre d’HE L V É T i u s qui les éprouve
pourroit les éprouver éternellement, ians qu’il
e n
(<*) Tom. I. p, 1S0.
en refultât chez lui autre chofe que ces
deux perceptions. Un Etre purement paffif
n’éprouvera jamais que des perceptions individuelles
, grouppées fans doute, quand
elles exifteront enfcmblc, foit par la préfen-
ce des objets, foit par réminifcence ; mais,
malgré toutes les rcffources de la fubtilité, ces
grouppes ne feront jamais, des comparaifons, ta
connoiffance de rapports, des jugemens. Voilà, dis-je,
deux fenfations l’üne à côté de l’ autre (Vil m’eft
permis de me fervir ici d’une expreffion locale);
c’eft-à-dire, que mes deux échantillons,
qui fe trouvent placés l’un auprès de l’autre,.
forment leurs impreffions dans cet ordre fur
mon Cerveau: mais il faut Purement qu’il fe
faffe quelque chofe Se plus, pour qu’il en refaite
un jugement. Les deux impreifions, muettes
chacune à part, ne le font pas moins l’une
à côté de l’autre : les deux fenfations qui en
réfultent pour l’ Etre fentant, s’ il n’eft que
paffif, font deux fenfations coexiftantes, &
ne fauroient être rien de plus. Vouloir changer
ces deux perceptions fimples en un jugement, fans
qu’ il fe paile rien chez cet Etre-, c’eft dire, que
le briquet, placé auprès du caillou, fera du feu.
En un mot il eft évident, que les objets ne
font fur le Cerveau que des impreffions qui leur