
Ce ne fut qu’environ quatre cents ans
après Théophrafte, que parut Pedanius ou
Pedacius Diofcoride, qu’on peut avec rai-
fon regarder comme le fécond des Bota-
niftes célèbres qu’ait produit l’antiquité.
Né en Sicile, dans une petite Ville nommée
alors Anarbaza , il fut un des Médecins
les plus habiles de fon tems : il écrivit fur
la matière médicale , & raffembla avec
foin, & plus complètement qu’on ne l’avoit
encore fa it, toutes les connoiffancés qu’on
avoit acquifes fur les vertus des plantes &
fur les différens remèdes employés juf-
qu’alors.
Diofcpride ne fait mention dans fes ouvrages
que d’environ fix cents plantes, qui
formoient fans doute la totalité de ce qu’on
connoilfoit de fon tems ., & parmi lesquelles
il n’en décrit qu’un petit nombre ,
encore très-brièvement, & rappprte feulement
le nom des autres & leurs proprié;-
tés. On voit par-là combien étoient lents
alors les progrès de la Botanique, puif-
qu’en quatre fiècles d’intervalle entre Théophrafte
& Diofcoride, on n’ajouta qu’une
centaine de plantes au nombre de celles
qui étoient auparavant connues. On eft
encore forcé de convenir ici que , comme
Diofcoride n’employa que des caraftères
trop vagues 8c communs à beaucoup de
plantes j, fans diftinttions fuffifantes des cas
particuliers , on ne peut guères reconnoî-
tre , des plantes dont il a parlé, que celles
qui font très-communes , & dont 1 identité
fe trouve en quelque forte confirmée
parla nature des ufages qu’on en fait encore.
Les vertus & les propriétés des plantes
étant toujours le feul objet qu’aient
envifàgé les anciens, Diofcoride , comme
fes prédéceffeurs,. ne fit aucune tentative
pour établir dans les plantes alors connues
un ordre qui pût en quelque forte les carac-
térifer, & aider, à les faire reconnoître .- il
range les plantes dont il traite , en conft-
dérant feulement leurs qualités & les propriétés
qu’on leur a découvertes ; de forte
que , dans fes quatre premiers livres, il
fait mention des plantes aromatiques , de
celles qu’on emploie comme aliment, &
de celles qui ont des vertus médicinales ;
& dans le cinquième, il parle de différens
vins médicinaux , & des plantes propres à
les fonrnir ouà les compofer.
Quoique Diofcoride n’ait pas décrit aflèz
complètement les plantes mentionnées .
dans fes ouvrages , néanmoins, comme il
y a expofé leurs vertus, 8e qu’il a recueilli
tous fes noms fous lefquels les plantes
étoient connues alors ; perfonne des anciens
ne s’eft acquis plus de célébrité que cet
Auteur,' & n’a été auiïi long-tems d’une
plus grande autorité que lui. Àuffi Fes ouvrages
ont-ils été en divers tems traduits ,
interprétés , commentés 8c publiés de nouveau
& de toutes fortes de manières, par
différens Auteurs , & ont-ils fervi de fonds
principal à beaucoup d’Ecrivains qui font
venus après lui.
Columella, très-verfé dans l’Agriculture
8c l’Economie rurale, 8e qu’on doit regarder
comme le premier fondateur des préceptes
de cette partie de nos connoiffancés,
parut fort peu après Diofcoride- Malgré
cela , comme dans les douze livres qu’on
a de lu i, cet Auteur ne fait mention que
des végétaux qu’on cultive en grand dans
la campagne , tels que les divers fro-
mens , le-» fourrages , &c. 8c de ceux qui
font l’objet direft des potagers & des vergers
; on peut dire qu’il contribua peu aux;
progrès de la Botanique confidérée généralement.
Je crois qu’on feroit auffi fondé à en
dire autant de Pline même, mais'cependant
fous une confidération très-différente.
En effet , quoique ce célèbre Naturalifte ,
qu’on peut vraiment regarder comme le
premier Hiftorien de la Nature , parle depuis
fbri onzième livre inclüfivement jusqu’au
vingt-feptième , à peu-près, de tout
ce qui avoit été dit fur les plantes par ceux
qui l’ont précédé , S tq u ’il ait même fait
mention d’un nombre de végétaux bien
plus confidérable que celui qu’on trouve
dans les Auteurs qui font venus avant lui ;
malgré cela, fon défaut d’ordre , fes descriptions
trop courtes 8e toujours incomplètes
, enfin fes longs détails fur les vertus
fouvent fauffès 8è imaginaires dès plantes
I dont il traité , l’ont fa it , avec ra ifon1
négliger par le plus grand nombre des
Botaniftes.
Cependant après Pline , on ne trouve
pendant un efpace de près de quatorze
cents ans, aucun Auteur qui ait traité directement
de la Botanique, &c qui ait contribué
aux progrès de cétteScienee. Perfonne
n’écrivit généralement fur les plantes connues,
8e il n’y eut que les Médecins qui ,
chacun dans leur tems, firent mention des
plantes qui étoient employées comme
remèdes. Ainfi Galien, dans le fécond fit®
cle , Oribafe dans le troifieme, Paul <PE-
gine 8c Aetius dans le cinquième ,- traitèrent
des vertus des plantes, fans fe mettre
aucunement en peine de les faire bien con-
noître. On peut dire qu’ils confidéroient
feulement la matière des plantes mêmes ,
fans s’intérèffer en aucune manière à leur
organifation , leur ftruéture 8c leur forme
diftinStive.
Il faut dire à-peu-près la même ehofe
des Médecins Arabes, tels que Serapion ,
Rhaxès, Avicenncs, Mefué, Averrhoès 8t
Abenbitar, qui, depuis environne huitième
fiècle jufqu’au treizième, cultivèrent la
Médecine, à la vérité avec une forte d’é c la t,
mais qui néanmoins contribuèrent à jeter
la nomenclature des plantes dans.le cahos
le plus obfcur, en ne confidérant les plantes
> que relativement-à leurs vertus médicinales.
Après les Médecins Arabes,-l’ignorance'
qui répandit fes ténèbres de toutes parts,
jufqu’à-peu-près au commencement du fei-
zième fiècle ,, ne fut pas moins funefte aux
progrès de la Botanique, qu’à ceux des
autres parties des connoiffancés humaines.
L’ufage qui dominoit depuis long-tems de
n’envifager l’étude des plantes que comme
une partie de la Médecine , bornôit toujours
la Botanique à la recherche des plantes
(libelles , 8c continuait d’introduire la plus
grande confufion dans fa nomenclature.
Chaque Médecin connoilfoit de vue un
certain nombre de plantes qu’il nommoit
à fon g ré , 8c auxquelles il attribuoit des
vertus la plupart merveilleufès :■ ces plantes
étoient diverfement nommées dans les différens.
cantons ; 8c quoique fouvent chacune
d’elles fût changée en panacée Uni-
verfelle , on conçoit qu’il n’en étoit quef-
tion que pendant un tems;elledifparoiffoit
enfuite, 8c reparoifloit après cela fous de
nouveaux noms , 1 & décorée de nouvelles'
propriétés. Pour avoir une idée de l’ ignorance
, de la crédulité & de la fuperfticion'
de ces tems de barbarie, il fuffif de con-
fulter les Ouvrages des Myrepfus, des
Hildcgardes , des Platearius, ’ des Villa-
nova , des Suardus 8c des autres Auteurs
qui-vécurent à-peu-près à ces époques.
Enfin, à la renaiffance des Lettres, c’eft-
à-dire vers la fin du quinzième fiècle, on
commença à reprendre du goût pour l’étude
des plantes. Il eft vrai qu’on adopta encore
une mauvaife méthode ; car au lieu’
d’obferver la Nature, 8c de s’attacher à bien
connoître les plantes mêmes dont on s’ôc-
eupoit, on s’efforça de faire renaître la1
Botanique des anciens. On ne trouva plus,
rien de bon que ce qui étoit dans leurs;
Ouvrages, que l’on commentoit 8c que l’on;
interprétoit de mille manières differentes r
en un m o t, il n’y eut plus rien de vrai que’
ce qu’avoit dit Théophrafte ou Diofcoride,,
&cc. Ainfi Iheodorus Ga^er, Hermolaüs
Barbants, Ruellius, Marcellus , Leomcerûrs,,
Sec. fe donnèrent la torture pour reftaurer
les .connoiffancés des anciens fur les végétaux
, 8c ces Auteurs négligeoient en général
les moyens de bien connoître les plantes
qui feules, dévoient faire le fia jet de leurs,
recherches.
Cependant ,, qnoiqu’albrs on s’occupât;
plus à feuilleter les livres qu’à étudier les;
plantes elles-mêmes, néanmoins il fallut:
enfin en venir à la détermination de celles;
dont on vouloit fe férvir. O r 1, quelques:
recherches que l’on fît pour rapporter ces.
plantes à celles dont avoient parlé les anciens
, les defcriptions courtes, incomplètes
, 8c fouvent fautives de ces anciens;
Auteurs, donnèrent lieu à tant de con—
jeâures , firent naître tant d’opinions, 8c
furent l’objet de tant de difputes-, que'
chacun alors attacha prefqu’àrbitrairement:
à telle plante qu’il rencontfoit,.le nom 8cTes-
propriétés d’une plante quelconque qu’il!
jugeoit à propos d’indiquer dans Diofcoride: